Abbildungen der Seite
PDF
EPUB
[blocks in formation]

Les armées françaises n'avaient pu se relever des désastres de la campagne de Russie et étaient repoussées de toutes parts par les forces coalisées de l'Europe. L'Italie et l'Espagne échappaient à Bonaparte, et les anciennes frontières de la France commençaient elles-mêmes à être envahies malgré les prodiges de valeur de nos soldats. Cependant le pape et Ferdinand VII étaient encore sous les verrous, l'un à Fontainebleau, l'autre à Valençay; le moment approchait où le sort des armes allait contraindre Bonaparte à les relâcher. Peut-être la fierté militaire lui dicta-t-elle le parti moins humiliant de les délivrer lui-même; peut-être le machiavélisme révolutionnaire incarné en sa personne, comme l'avait dit en plein parlement M. Pitt, lui fit-il espérer du retour de ses deux victimes dans leurs Etats, des divisions et des embarras propres à diminuer l'ensemble de l'ir

ruption étrangère qui se ruait sur lui; peut-être lui fit-il calculer que dans cette lutte provoquée par sa tyrannique domination, l'effort des peuples était plus redoutable que ne le serait celui de leurs anciens gouvernements.

Quoiqu'il en soit, le 2 février vers midi, la population toulousaine fut avertie que le pape, le vertueux et vénérable Pie VII, allait traverser la ville, venant de Fontainebleau et se dirigeant, ou plutôt étant dirigé vers l'Italie. Les rues voisines de l'hôtel de la poste aux chevaux furent bientôt remplies d'une foule immense, mais le bruit ne tarda pas s'y répandre que l'autorité ne permettait pas à la voiture de Sa Sainteté d'entrer dans la ville, que le maître de poste venait de recevoir l'ordre d'envoyer ses chevaux relayer à la porte des Minimes. En un instant les rues furent désertes et la population couvrit les promenades publiques, qu'allait nécessairement avoir à traverser la voiture de l'illustre prisonnier. J'y courus avec ma femme qui, comme toutes les mères, se sentait heureuse de pouvoir obtenir la bénédiction papale pour ses enfants qu'elle conduisait avec elle. Ce fut un beau spectacle, même pour ceux qui comprenaient le moins tout ce que renfermait d'important au point de vue religieux, moral et politique, la délivrance dont nous étions témoins. C'était en effet un spectacle significatif et touchant à la fois que celui de ces immenses avenues, qui, de la porte des Minimes à celle de Saint-Michel, entourent la moitié de la ville, couvertes de cinquante mille individus, hommes, femmes et enfants de toutes les classes, de tous les àges; les infirmes s'y faisaient porter; on

y voyait les enfants à la mamelle, que pas une mère, pas une nourrice, n'eût voulu oublier. La foule se jetait à genoux du plus loin qu'elle apercevait la voiture, et se prosternait avec respect devant le Saint-Père, dont la main ne cessait de la bénir. Malgré les précautions prises par l'autorité pour laisser ignorer à la population ce passage si rapide, il ne fut pas sans utilité pour la ville: le temps employé à relayer et le peu de distance du village où le Pape passa la nuit, furent mis à profit pour solliciter une foule de dispenses nécessaires à des consciences troublées par les saturnales de la Révolution; peu de demandes furent rejetées, et cette indulgence du souverain pontife, si opportune dans un pareil moment, contribua à ramener au bercail un grand nombre de brebis égarées, qui sans elle eussent peut-être été perdues sans retour. Le passage du Pape fut suivi, dès le 7 février, de celui de plusieurs cardinaux qui furent moins sévèrement traités et reçurent l'autorisation de s'arrêter dans la ville; on put les visiter, on put connaître l'état de dénûment dans lequel le gouvernement les laissait; et une quête à domicile, immédiatement organisée, pourvut abondamment à tous leurs besoins.

Six semaines après, un autre événement du même genre fournit aux habitants de Toulouse l'occasion de joindre à cette manifestation de foi religieuse un témoignage de leurs sentiments royalistes. Ce fut le 17 mars que s'arrêtèrent dans la ville le roi Ferdinand VII et ses augustes frères, venant de Valençay et se rendant en Espagne. A peine la population en fut-elle informée, qu'elle envahit l'hôtel de

France, où ils étaient descendus, et la place sur laquelle cet hôtel est situé : les plus empressés de la foule pénétrèrent jusque dans les appartements des princes, virent à plusieurs reprises ces intéressantes victimes de la plus odieuse des trahisons, et eurent la satisfaction de pouvoir sans danger laisser échapper de leurs bouches le cri, qui depuis si longtemps n'avait pu se faire entendre, de: « Vive le roi! vivent les Bourbons! >>

On a pu voir, par toutes les vexations dont j'ai rendu compte, jusqu'à quel point les populations du Midi devaient être lasses de l'oppression sous laquelle elles gémissaient. Le vingt-neuvième bulletin, contenant l'aveu des désastres de la retraite de Moscou, avait marqué le commencement des revers de l'homme extraordinaire qui avait jusque-là trouvé dans ses succès la gloire pour éblouir la France et la puissance pour la comprimer. De cette même époque dut également dater l'exagération de l'arbitraire et des vexations, qui pouvaient seuls désor· mais fournir aux besoins immenses de sa situation désespérée; dès lors aussi commencèrent à se manifester les sentiments les plus hostiles à sa tyrannique domination. Les associations, dont j'ai signalé les faibles commencements dans nos contrées, donnaient aux esprits une direction, qui leur aurait naturellement manqué; une sorte de réaction se faisait sentir dans l'opinion; elle n'était pas seulement opposée au gouvernement impérial, dont le déclin était si frappant et dont la chute devenait de plus en plus inévitable, mais elle avait encore pour tendance et pour but la restauration de nos princes

légitimes. Les événements qui se succédaient chaque jour, hâtèrent le développement de ces sentiments, au delà bien assurément de l'attente des esprits les plus clairvoyants et les plus confiants.

Le 4 mars, les équipages de pont de l'armée du maréchal Soult, qui venait d'être battue à Orthez, arrivèrent à Toulouse; le 14, nous apprîmes que Bordeaux s'était rendu aux Anglais, au nom de Louis XVIII, et que le duc d'Angoulême, jusque-là retenu à Saint-Jean-de-Luz, y était attendu. Le 22, nous sumes l'arrivée de Wellington à Auch; le 23, les bagages de l'armée du maréchal Soult entrèrent à Toulouse, et le 24 l'armée française prit position à la Patte-d'Oie en avant du faubourg Saint-Cyprien sur la rive gauche de la Garonne. Dès le lendemain l'armée anglaise parut et s'établit en face de la nôtre; Wellington tenta aussitôt de faire tourner la ville par une de ses colonnes, dans la direction de Cintegabelle et de Nailloux, mais l'état des chemins l'empêcha de faire passer son artillerie et le força à renoncer à cette opération. Le 2 avril, nous apprîmes l'entrée des armées coalisées à Lyon et la retraite jusqu'à Pont-Saint-Esprit de l'armée française qui leur était opposée. Les Anglais, ayant échoué dans leur tentative contre Toulouse par le Lauraguais, jetèrent un pont sur la Garonne près de Grenade, et le 4 avril firent passer quinze mille hommes sur la rive droite; mais une pluie abondante tomba dans la journée du 5, et la rivière venant à grossir rompit le pont; ce corps resta ainsi séparé du reste de l'armée pendant les trente-six heures que l'on mit à rétablir les communications. Les Français ne firent

« ZurückWeiter »