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Il est possible qu'aucune de ces deux conjectures ne soit fondée; mais telles nous les avons entendues, telles nous les rapportons : nous devons même ajouter, dans l'intérêt de la vérité qui nous guide, que le profond découragement qui se manifesta pendant les derniers jours de cette terrible crise provenoit en grande partie de l'opinion que le roi étoit mal entouré et mal

servi.

1815.

du

20 mars.

Le 20 mars, de très grand matin, toute la ville fut Journée instruite du départ du roi. Une foule immense se' précipita aussitôt vers le château pour s'assurer d'un fait qui consterna le plus grand nombre.

La matinée se passa dans une fluctuation d'opinions et de mouvements qui annonçoit d'un côté de sinistres projets, et inspiroit de l'autre de terribles frayeurs. Le gouvernement royal avoit cessé; celui de l'usurpateur n'étoit pas encore établi; tous les pouvoirs étoient suspendus, l'état social étoit dissous. Quelle situation pour une ville dont la moitié de l'immense population n'avoit rien à perdre, et pouvoit d'un moment à l'autre succomber à la tentation de tout gagner! Heureusement la garde nationale prit les armes vers les dix heures ; et son attitude seule imposa à la populace.

A midi, l'avant-garde de l'armée de Buonaparte parut aux portes de la ville, où elle entra sans difficulté. A deux heures, le général Excelmans prit possession du château, sur le haut duquel il fit arborer le drapeau tricolor.

Buonaparte avoit appris, dès sept heures du matin, le départ du roi, par un courrier que lui avoit expédié, à deux heures après minuit, de Lavalette. Il pouvoit partir immédiatement après, et arriver de jour à Pa

1815.

ris mais, soit crainte de rencontrer la garde royale, soit honte de paroître escorté de la lie du peuple, qui devoit aller au-devant de lui, il partit tard de Fontainebleau, et n'entra qu'à neuf heures du soir à

Paris.

En arrivant dans la cour du château, il la trouva remplie de sénateurs, de conseillers d'état, de chambellans, d'auditeurs, tous en costume, tous enivrés du plaisir de le voir, tous prêts à le recevoir dans leurs bras. Il descendit au milieu de cette foule, qui s'empressa tellement autour de lui, qu'il ne sut ce qu'on lui vouloit : il eut peur; il cria: On m'étouffe. Aussitôt ses aides-de-camp et ses généraux se précipitent vers lui, écartent avec violence les courtisans importuns qui l'entourent, s'emparent de sa personne, l'enlèvent dans leurs bras, et le portent ainsi jusque dans ses apparte

ments.

La journée n'étoit pas finie. C'étoit l'anniversaire de la naissance de son fils. Il en reçoit les compliments. On lui en demande des nouvelles; il répond: L'impératrice et le roi de Rome seront ici le 5 avril.

Étoit-ce un mensonge politique? étoit-il de bonne foi? nous n'affirmerons rien. Mais on a su depuis qu'il avoit conçu le projet et même tenté l'entreprise de faire enlever l'impératrice et son fils du château de Schoenbrunn. Tout étoit prêt, dit-on, pour l'exécution; chacun des agents avoit son cheval sellé et bridé; une des femmes de Marie-Louise tenoit déja l'enfant dans ses bras, lorsqu'à onze heures du soir un ordre de la cour survint d'arrêter tout, hommes, femmes, et chevaux. C'est ainsi que cette étrange nouvelle fut publiée dans

quelques papiers étrangers, soit d'après le fait, soit par le commandement des parties intéressées.

pas à

Ce qu'il y a de certain, c'est que depuis son retour Buonaparte annonça, à plusieurs reprises et avec assurance, que sa femme et son fils ne tarderoient venir le rejoindre. N'étoit-ce qu'un artifice pour rassurer ses partisans, et leur donner, dans la coopération de la maison d'Autriche, un espoir qu'il n'avoit pas lui-même ? cela n'est pas vraisemblable; un mensonge si facile à découvrir eût été une trop grande maladresse. Il fut donc le premier trompé.

Le lendemain 21, le ciel qui, depuis plusieurs jours, étoit triste comme nos pensées, s'éclaircit tout-à-coup, et nous fit jouir d'une des plus belles journées du printemps. Buonaparte ne manqua pas de s'emparer de cet heureux accident, en disant que le ciel favorisoit ses desseins. Le peuple, pour lequel ce mot avoit été prononcé, le répéta, en criant, vive l'empereur, avec beaucoup plus d'enthousiasme qu'il ne crioit la surveille, vive

le roi.

On peut s'affliger de ces misérables variations. Mais il n'est plus permis de s'en étonner. Notre histoire en est pleine.

Nos rois ont appris, à leurs dépens, que c'est un grand abus de compter sur l'attachement du peuple.

Et par ce mot, je n'entends pas seulement la classe qui gagne son pain à la sueur de son front, celle qui n'a reçu ni instruction, ni éducation, celle qui, n'ayant rien à perdre, appartient à quiconque veut l'a-cheter, etc...

J'entends cette foule d'honnêtes gens, sans humeur et

1815.

Varia

tions du

peuple.

1315.

sans honneur, qui, n'ayant jamais réfléchi sur le juste et l'injuste, regardent comme injuste tout ce qui blesse leurs intérêts, comme juste tout ce qui les favorise ; j'entends ces écrivains si vils qui, sans conscience comme sans talent, vont offrir leurs plumes à toutes les puissances du jour; qui, athées sous le directoire, déistes sous Buonaparte, deviennent missionnaires sous un prince dévot. J'entends ces sénateurs qui proclament successivement la déchéance et la restauration de l'empereur, qui vantent avec le même zèle les constitutions de l'empire et la charte du roi ; qui se montrent toujours prêts à calomnier le vaincu et à canoniser le vainqueur, et qui invoquent la nécessité comme l'excuse de toutes leurs désertions. J'entends enfin tous ces làches courtisans de la fortune, qui passent sans scrupule de l'antichambre de Cromwell dans celle de Charles II, et qui vont mendier sous Sylla les débris des pensions, qu'ils recevoient de Marius.

Que nos orateurs de tribunes fassent de belles phrases pour de l'argent; que nos écrivains périodiques écrivent pour de l'argent de longues pages sur la religion ou sur la liberté; que nos soldats prennent des villes et gagnent des batailles pour de l'argent; cela doit nous pa roître tout naturel, nous vivons dans le siècle de l'argent: mais qu'on cesse de nous parler de patriotisme et de royalisme; ce sont des mots usés et qui n'ont plus de

sens.

Lorsque dans une nation il n'y a plus d'autre passion que celle de l'argent, il n'y faut plus chercher d'autres vertus que celles de l'égoïsme et de la cupidité, symptômes honteux d'une vieillesse prématurée, derniers signes d'une vie qui s'éteint dans la décrépitude.

Si, par hasard, vous rencontrez dans ce pays quelques individus qui ont conservé l'habitude de se passionner pour l'honneur, que le zèle du bien public n'a pas cessé d'animer, qui sont également incapables de fléchir le genou devant Baal, et de renier le dieu d'Israël, dites que ce sont les débris d'une antique splendeur; contemplez-les avec admiration, comme le voyageur va contempler les ruines d'Athènes, de Rome et de Palmyre.

Mais ne vous étonnez pas de voir aujourd'hui prosternés devant Buonaparte ces mêmes courtisans qui, hier encore, étoient prosternés devant Louis XVIII... Ne vous étonnez pas d'entendre crier ce soir vive l'empereur par les mêmes bouches qui, ce matin, crioient vive le roi.

C'est à ce peuple avili par vingt-cinq ans d'outrages, de servitude et de déceptions, que, le lendemain de son arrivée, Buonaparte crut devoir rendre compte de son voyage en ces termes :

1815.

parte rend

compte

de son

<< Hier encore, on nous disoit que l'empereur traînoit Buonaà peine quelques hommes à sa suite; que la désertion régnoit dans ses troupes accablées de fatigues, exposées à tous les besoins. Il faut plaindre ceux qui ont pu recourir à ces impostures, et s'exposer, sans aucun avantage, aux conséquences du démenti terrible que la vérité va leur donner à la face de l'Europe.

"

Napoléon a débarqué avec une poignée d'hommes, il est vrai; mais à chaque pas il a trouvé des amis fidéles et des légions dévouées. Il lui a suffi de se présenter devant elles pour être à l'instant même reconnu et salué comme leur empereur et leur père. Il lui a suffi de se présenter devant le peuple pour réveiller par

voyage.

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