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toujours avec une accablante supériorité. Il fut condamné à mort avec dix-neuf de ses complices.

Le général Moreau ne déploya pas un moins beau caractère dans sa défense. Il déclara avec fermeté qu'il n'avoit jamais eu de liaisons avec Georges, et que, dans les entrevues qu'il avoit eues avec Pichegru, il n'avoit jamais été question de tuer le premier consul. Il défia tous ses accusateurs de citer un écrit, un mot, un témoignage, une seule pièce de conviction contre lui. Il opposa sa vie tout entière à ses dénonciateurs. Il fut défendu par M. Bonnet, un des plus célèbres avocats du barreau de Paris, mais dont le plaidoyer ne produisit pas, à beaucoup près, autant d'effet sur les juges et sur le public que le discours simple que l'illustre accusé avoit composé, et qu'il prononça avant celui de son avocat. C'est un modèle de dignité, et un de ces monuments que l'histoire doit soigneusement recueillir.

DISCOURS DE MOREAU A SES JUGES.

« Messieurs,

«< En me présentant devant vous, je demande à être entendu moi-même. Ma confiance dans les défenseurs que j'ai choisis est entière: je leur ai livré sans réserve le soin de défendre mon innocence; ce n'est que par leur voix que je veux parler à la justice, mais je sens le besoin de parler moi-même et à vous et à la nation.

« Des circonstances malheureuses, produites par le hasard ou préparées par la haine, peuvent obscurcir quelques instants de la vie du plus honnête homme. Avec beaucoup d'adresse un criminel peut éloigner de lui et les soupçons et les preuves de son crime. Une vie

entière est le plus sûr témoignage qu'on puisse appeler pour ou contre un accusé.

« C'est donc ma vie entière que j'oppose aux accusateurs qui me poursuivent. Elle a été assez publique pour être connue ; je n'en rappellerai que quelques époques, et les témoins que j'invoquerai sont le peuple françois, et les peuples que la France a vaincus.

« J'étois voué à l'étude des lois au commencement de cette révolution qui devoit fonder la liberté publique. Elle changea la destination de ma vie : je la vouai aux armes. J'embrassai l'état militaire par respect pour les droits de la nation, et je devins guerrier, parceque j'étois citoyen.

« Je portai ce caractère sous les drapeaux : je l'ai conservé. Plus j'aimois la liberté, plus je fus soumis à la discipline.

« J'avançai rapidement, mais toujours de grade en grade, et sans en franchir aucun. Parvenu au commandement en chef, lorsque la victoire nous faisoit avancer au milieu de la nation ennemie, je ne m'appliquai pas moins à faire respecter le caractère de la nation françoise qu'à faire redouter ses armes. La guerre, sous mes ordres, ne fut un fléau que sur le champ de bataille.

« Du milieu de leurs campagnes ravagées, plus d'une fois les nations ennemies m'ont rendu ce témoignage. Cette conduite, je la croyois aussi propre que nos victoires à faire des conquêtes à la France.

« Dans le temps même où les maximes contraires sembloient prévaloir dans les comités de gouvernement, cette conduite ne suscita contre moi ni calomnie ni persécution. Aucun nuage ne s'éleva jamais autour de

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ce que j'avois acquis de gloire militaire, jusqu'à cette journée trop fameuse du 18 fructidor.

« Ceux qui firent éclater cette journée avec tant de rapidité me reprochèrent d'avoir été trop lent à dénoncer un homme dans lequel je ne pouvois voir qu'un frère d'armes, jusqu'au moment où l'évidence des faits et des preuves me feroit voir qu'il étoit coupable.

« Le directoire, qui connoissoit toutes les circonstances de ma conduite, et n'étoit pas disposé à l'indulgence, ne m'en déclara pas moins irréprochable. Il me donna de l'emploi. Le poste n'étoit pas brillant, il ne tarda pas à le devenir.

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« J'ose croire que la nation n'a point oublié avec quel dévouement facile on me vit combattre en Italie dans des postes subalternes; comment je fus reporté au commandement en chef par les revers de nos armées, et comment j'en déposai le commandement, pour aller en prendre un d'une plus grande confiance.

« Je n'étois pas à cette époque de ma vie plus républicain que dans toutes les autres. Je le parus davantage. Je vis se porter sur moi d'une manière plus particulière les regards et la confiance de ceux qui étoient en possession d'imprimer des mouvements et des directions à la république.

« On me proposa de me mettre à la tête d'une journée à-peu-près semblable à celle du 18 brumaire. Mon ambition, si j'en avois eu beaucoup, pouvoit facilement ou se couvrir de toutes les apparences, ou s'honorer de tous les sentiments de l'amour de la patrie.

« La proposition m'étoit faite par des hommes célébres dans la révolution par leur patriotisme, et dans nos assemblées nationales par leurs talents; je la re

fusai: je me croyois fait pour commander aux armées, et ne voulois point commander à la république.

« Le 18 brumaire arriva, et j'étois à Paris. Cette révolution, provoquée par d'autres que par moi, ne pouvoit en rien alarmer ma conscience. Dirigée par un homme environné d'une grande gloire, elle pouvoit avoir d'heureux résultats. J'y entrai pour la seconder, tandis que d'autres partis me pressoient de me mettre à leur tête pour la combattre. Je reçus dans Paris les ordres du général Buonaparte. En les faisant exécuter, je concourus à l'élever à ce haut degré de puissance que les conjonctures rendoient nécessaire.

« Lorsqu'il m'offrit le commandement en chef de l'armée du Rhin, je l'acceptai de lui avec autant de dévouement que de la république elle-même. Jamais mes succès militaires ne furent plus rapides et plus décisifs, et leur éclat se répandoit sur le gouvernement qui m'accuse.

« Au retour de tant de succès, dont le plus grand de tous étoit d'avoir assuré la paix du continent, le soldat entendoit les cris éclatants de la reconnoissance nationale.

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Quel moment pour conspirer, si un tel dessein avoit pu jamais entrer dans mon ame!.. On connoît Je dévouement des armées pour les chefs qui les ont menées à la victoire.

« Un ambitieux, un conspirateur auroit-il laissé échapper l'occasion, à la tête d'une armée de cent mille hommes, tant de fois triomphante?

« Je ne songeai qu'à licencier la mienne, et je rentrai dans le repos de la vie civile.

<< Dans ce repos, qui n'étoit pas sans gloire, je jouis

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sois de ces honneurs qu'il n'est pas dans la puissance de m'arracher; du souvenir de ma vie, du témoignage de ma conscience, de l'estime de mes compatriotes et des étrangers.

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« J'étois content de ma fortune et de ma situation... Je me tenois éloigné de toutes les routes de l'ambition, et depuis la victoire de Hohenlinden jusqu'à mon arrestation, mes plus ardents ennemis n'ont pu me trouver d'autres torts que la liberté de mes discours.

«Eh bien! ces discours ont souvent été favorables au gouvernement, et s'ils ne l'ont pas toujours été, pouvois-je croire que cette liberté fût un crime chez un peuple qui avoit tant de fois décrété celle de la parole et de la presse?

« Je le confesse, né avec une grande franchise de caractère, je n'ai pu perdre cet attribut de la contrée de la France où j'ai reçu le jour (1), ni dans les camps, ni dans la révolution qui l'a toujours proclamée comme une vertu de l'homme et comme un devoir du citoyen. Mais ceux qui conspirent blâment-ils si hautement ce qu'ils n'approuvent pas? Tant de franchise s'accorde mal avec les attentats de la politique.

« Si j'avois voulu concevoir et suivre un plan de conspiration, j'aurois dissimulé mes opinions; j'aurois sollicité tous les emplois qui m'auroient replacé au milieu des forces de la nation.

« Pour me tracer cette marche, au défaut d'un génic politique que je n'eus jamais, j'avois des exemples connus de tout le monde, et rendus imposants par des succès. Je n'ignorois pas que Monck ne s'étoit pas éloi

(1) La Bretagne.

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