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route de Paris à Rochefort, on avait respecté l'incognito de l'empereur, quoiqu'il ne nous fût pas permis de douter qu'on ne l'eût reconnu, particulièrement à Niort; on lui avait témoigné partout le plus vif intérêt et la plus respectueuse déférence. Pourquoi cela fut-il différent à Saintes ? Nous ne l'avons pas su, nous n'avons pu que le conjecturer.

Le prince Joseph avait pris, en partant de Paris, la route de Bordeaux, où il voulait s'embarquer pour l'Amérique. Il joignit le convoi en chemin, et voulut venir dire un dernier adieu à l'empereur.

Ses voitures, ainsi que celles de l'empereur, furent arrêtées en arrivant à Saintes; on les conduisit à la municipalité, sous prétexte de visiter les voyageurs, et de reprendre les millions qu'ils emportaient, ce qui dénotait qu'on avait jeté quelques coureurs sur cette route.

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On entendit quelques propos qui annonçaient que c'était l'empereur qu'on cherchait, et l'on arrêta le prince Joseph avec d'assez mauvaises formes. Il fut conduit chez le maire, qui lui demanda son nom. Monsieur, lui répondit le prince, "je voyage sous tel nom, qui est sur mon passe-port, mais je "suis le prince Joseph, le frère de l'empereur; vous pouvez "faire de moi tout ce qu'il vous plaira." Le maire fut dèslors tout attention. Il eut pour Joseph toute sorte d'égards, Il lui dit que toute la ville avait été mise en mouvement par un garde-du-corps appelé Monfort ou Dufort; mais qu'il allait faire son possible pour rétablir l'ordre et faire atteler les voitures à la visite desquelles on procédait.

Il y parvint effectivement; le convoi se remit en route, et fut escorté par la gendarmerie jusqu'à Rochefort.

Je me servis encore du reste de déférence que les officiers de gendarmerie avaient conservé pour moi, qu'ils connaissaient tous depuis long-temps, pour leur demander comment le mouvement de Saintes avait eu lieu sans qu'ils en fussent informés. Ce qu'ils m'apprirent me confirma dans l'opinion

pas

où j'étais déjà, que quelqu'un (j'ai su plus tard qui c'était) avait suivi les traces de l'empereur depuis la Malmaison dans le dessein de lui faire un mauvais parti, et certes il n'était le seul. Heureusement l'assassin se trompa aux voitures; il prit les plus belles pour celles où se trouvait l'empereur : il s'était attaché à elles. Mais un autre misérable de même espèce ne se méprit pas à notre modeste équipage; il nous suivit avec quelques hommes de main, et ne cessa d'épier une occasion favorable pour nous égorger. Il est aujourd'hui chargé de titres; grand bien lui fasse !

Ces tentatives n'avaient, comme on l'a vu, rien de bien surprenant pour moi. Je savais d'ailleurs que Fouché avait mis en liberté M. de V. la veille du départ de l'empereur, et l'on se rappelle que c'était ce même personnage qui avait été chargé d'organiser la guerre civile dans le midi à l'époque du 20 mars. Je n'ignorais pas qu'au retour de l'île d'Elbe, il avait fait son possible pour trouver quelque sicaire qu'il pât envoyer poignarder l'empereur.

Le gouvernement provisoire avait fait plus; il avait expédié des agens sur la côte, et s'était ménagé les moyens d'enlever l'empereur, ou tout au moins d'empêcher qu'il ne trompât la vigilance des croisières anglaises. Le baron Richard, entre autres, fut employé à nouer des trames de cette espèce. Ancien conventionnel, il avait été sous l'empire, préfet de la Haute-Garonne et de la Charente-Inférieure. Destitué comme régicide par Louis XVIII, il avait sollicité et obtenu, en 1815, une nouvelle préfecture, celle du Finistère, d'où il avait été renvoyé bientôt après à cause de son étrange conduite dans ses nouvelles fonctions, Depuis cette destitution, il se traînait sur le passage de l'empereur pour tâcher de rentrer en grâce. Au Champ-de-Mai, et durant la cérémonie qui eut lieu immédiatement dans la galerie du Louvre, on le vit se ranger au milieu des électeurs du département de

la Haute-Garonne, dans l'espérance d'obtenir du monarque quelques mots de bienveillance.' Trompé dans son attente, Richard était sur le pavé de Paris, lors de la création de la commission de gouvernement, que présidait le duc d'Otrante,

son ami.

La situation de Richard tourna dans ce moment à son profit; c'était un mécontent: les gouvernans d'alors se flattèrent avec succès d'en faire un ingrat. Ils le mirent sur les pas de l'empereur, dont ils avaient tracé l'itinéraire, et le chargèrent de l'épier et de leur rendre compte de ses mouvemens, lorsqu'il serait sur les côtes de Rochefort. Par ce moyen, ils restaient les maîtres de s'emparer de lui aussitôt que la présence des troupes étrangères dans Paris aurait rendu infructueuse l'opposition qu'aurait pu créer l'enthousiasme qui naissait encore de la situation même de l'empereur. La commission du gouvernement envoya donc Richard à son ancienne préfecture de la Charente-Inférieure, et il y était déjà installé depuis quelque temps, faisant retentir les journaux du récit de ses évolutions nautiques pour cerner l'empereur Napoléon, lorsque l'embarquement de celui-ci à bord du Bellerophon eut lieu. Cela explique la source des avis anonymes que le capitaine Maitland recevait à bord de son vaisseau, et dont il parle dans sa relation publiée en

1826.

Le Moniteur nous apprend aussi, par une lettre qu'écrivit le 15 juillet 1815* le préfet maritime de Rochefort, M.

* Rochefort, le 15 juillet à dix heures du matin.

Pour exécuter les ordres de V. E., je me suis embarqué dans mon canot, accompagné de M. le baron Richard, préfet de la Charente-Inférieure. Les rapports de la rade de la journée du 14 ne m'étaient pas encore parvenus. Il me fut rendu compte par le capitaine de vaisseau Philibert, commandant la frégate l'Amphytrite, que Bonaparte s'était embarqué sur le brick l'Epervier, armé en parlementaire, déterminé à se rendre à la croisière anglaise.

En effet, au point du jour, nous le vîmes manœuvrer pour s'approcher du

Bonnefoux, que M. Richard, préfet de la Charente-Inférieure, s'était embarqué avec lui dans un canot " pour sup"pléer aux rapports de la rade de la journée du 14!"

Si l'on pouvait mettre en question la mission secrète donnée à M. Richard par la commission du gouvernement, on se demanderait pourquoi le 14 juillet il était déjà installé, depuis plusieurs jours, préfet à Rochefort, tandis que le roi ne l'avait nommé à cette préfecture que par l'ordonnance du 14 juillet, insérée au Moniteur le 17? On se demanderait aussi si la trahison dont Richard avait été l'instrument ne l'expliquait, comment il était, dans cette conjoncture, nommé de nouveau par le roi à une préfecture dont S. M. l'avait dépossédé quelques mois auparavant comme un des votans de la mort de Louis XVI? Il faut ajouter que, depuis 1816, la proscription qui a pesé sur les votans ne s'est pas étendue sur M. Richard.

L'empereur apprit, en arrivant à Rochefort, que ce n'était que l'avant-veille dans l'après-midi qu'il était arrivé une croisière anglaise devant l'embouchure de la Charente; elle n'était composée que d'un seul vaisseau et d'une corvette. Sans les difficultés que nous opposa Fouché, nous aurions pu mettre à la voile avant qu'elle se présentât.

Les voitures qui avaient pris leur route par le Berry, étaient successivement arrivées à Rochefort; l'empereur n'é

vaisseau anglais le Bellerophon, commandé par le capitaine Maitland, qui, voyant que Bonaparte se dirigeait sur lui, avait arboré pavillon blanc au mât de misaine.

Bonaparte a été reçu à bord du vaisseau anglais, ainsi que les personnes de sa suite. L'officier que j'avais laissé en observation m'avait informé de cette importante nouvelle, quand le général Becker, arrivé peu de momens après me l'a confirmée.

Signé, BONNEFOUX,

capitaine de vaisseau, préfet maritime.

tait occupé que de son départ qu'il voulait effectuer immédiatement.

Il ne pouvait croire qu'il serait mis la moindre opposition à son passage en Amérique, et il se livrait avec tant de sécurité à l'idée d'aller s'établir dans cette partie du monde, qu'il avait emmené des chevaux de choix et des objets qui devaient contribuer aux douceurs de son existence. Tout cela voyageait à petites journées, et devait s'embarquer dans un port où l'on aurait frété un vaisseau pour les transporter.

Rochefort avait un régiment d'artillerie de marine; un régiment de matelots était campé sur l'île d'Aix, dans la rade de Rochefort; quinze cents gardes nationaux étaient à la Rochelle; un corps de cavalerie occupait Niort, et il y avait dans les environs de cette ville à peu près trois mille hommes de gendarmerie, tant à pied qu'à cheval. La majeure partie de leurs officiers et sous-officiers avaient servi sous mes ordres, et avaient été nommés par moi. Le général Clausel était à Bordeaux et avait quelques régimens d'infanterie sous son commandement. Toutes ces troupes firent parvenir à l'empereur l'expression de leurs regrets et de leur dévouement. On lui offrait des services, on lui demandait à le suivre, il n'y eut pas un militaire à dix lieues à la ronde qui ne voulût venir le voir.

La population de Rochefort manifesta les mêmes sentimens. Elle ne quittait pas le dessous des fenêtres de l'empereur, qui était quelquefois obligé de se montrer pour satisfaire son impatience. Chaque fois qu'il parut, il fut accueilli avec le même respect que s'il eût triomphé de tous ses ennemis.

Rochefort est une des villes pour la salubrité de laquelle l'empereur avait le plus fait de dépenses; il n'avait pas cessé, pendant une longue suite d'années, de faire travailler au desséchement des marais dont elle était entourée, ainsi qu'à plusieurs ouvrages d'embellissement intérieur. Toutes ces en

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