Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

bons s'établir. La chose était facile: la plupart des places administratives étaient occupées par des hommes du parti.

Voilà donc Talleyrand décidé à faire adopter ce qu'il repoussait jusque-là de toutes ses forces. Dès lors il ne chercha plus qu'à fixer les irrésolutions de l'empereur Alexandre, et ne craignit pas, comme on dit, de le mettre au pied du mur. Il devenait au reste urgent de le décider, car le diplomate était déjà en butte aux reproches de tous ceux qui s'étaient engagés avec lui dans cette entreprise. Le gouvernement provisoire fut même sur le point de se dissoudre. M. de Talleyrand avait trop d'expérience des hommes et des affaires pour manquer de tête dans cette occasion: il réunit, à ce qui m'a été rapporté, les membres du gouvernement provisoire, à l'issue de la conférence qui avait dissipé tant d'illusions; il leur montra les dangers que chacun d'eux courait; il les détermina sans peine à le suivre chez l'empereur de Russie, qui occupait le premier étage de son hôtel. Il porta la parole et observa à ce prince que les personnes qui l'accompagnaient s'étaient exposées à tout perdre pour assurer son triomphe, que seuls ils avaient contenu la population dans l'obéissance, qu'ils n'avaient pas craint de compromettre leur existence, celle de leurs familles pour le servir, que pour prix de tant de dévouement ils allaient être abandonnés aux vengeances qu'ils avaient si aveuglement provoquées. Dans ce triste état de choses, ils venaient tous le supplier de leur assurer un asile, s'il persistait dans le dessein qu'il leur avait manifesté. Alexandre les rassura sur les dangers dont ils se croyaient menacés, et leur dit qu'à la vérité ses idées n'étaient pas encore arrêtées, mais qu'il n'abandonnerait pas des hommes qui avaient tout compromis pour son service, et leur assurerait une existence dont ils seraient satisfaits. Les choses en étaient là lorsque M. de Talleyrand acquit la certitude qu'il pouvait compter sur la défection de Marmont et sur le zèle d'Oudinot, Dès-lors il fut plus assuré de réussir,

et ne manqua pas de transmettre ses espérances à l'empereur de Russie, qui assembla le lendemain le conseil dans lequel on agita définitivement la question du renversement du gouvernement impérial en France. Je tiens d'un des membres de ce conseil le détail de ce qui s'y passa. Il était composé de l'empereur Alexandre, du roi de Prusse, du prince de Schwarzemberg, de M. de Metternich, et je crois du ministre d'Angleterre ; je n'oserais cependant assurer que ce dernier y fut. De Français, il y avait M. de Talleyrand, le duc Dalberg, M. Louis, le général Dupont, le général Dessoles, l'archevêque de Malines; je crois, sans en être sûr, que MM. de Montesquiou (l'abbé), Beurnonville et Jaucourt en faisaient partie. Ce fut l'empereur Alexandre qui ouvrit lá discussion. Il déclara qu'il avait dessein de renverser le gouvernement impérial, mais qu'avant de l'annoncer publiquement, il désirait connaître quel était l'ordre de choses qu'on pourrait lui substituer, pour éviter les dissensions intestines qui avaient déchiré ce pays pendant tant d'années. Il s'adressa à M. de Talleyrand en l'invitant à donner son opinion; celui-ci, ne voulant pas émettre devant tant de monde une opinion qui n'aurait peut-être pas été adoptée, et qui deviendrait peut-être un motif pour le faire éloigner de la faveur du gouvernement qui allait être élu, fit dans cette occasion ce que je lui ai vu faire dans les conseils où l'empereur l'appelait,

Il parla avec sa facilité ordinaire, insista sur la nécessité d'abattre l'empereur, mais aussi il énuméra les immenses intérêts qui reposaient sur le système impérial et en étaient inséparables. Il dit que l'on ne pouvait lui substituer qu'un ordre de choses qui garantirait à chacun la conservation de ce qu'il avait acquis, si l'on ne voulait pas faire revivre tous les désordres. Il ne s'expliqua pas plus clairement, mais son discours prouvait assez qu'il penchait toujours pour régence. M. Louis laissait entrevoir les opinions qui furent

la

reproduites par toutes les créatures du diplomate. Enfin arriva le tour du général Dessoles. Interpellé de s'expliquer sur ce qu'il convenait de faire, il répliqua vivement, en s'adressant à Alexandre: "Sire, la régence n'est qu'un mot; "le tigre est derrière, et ne tardera pas à reparaître, si on "la proclame*. Au surplus, mon parti est pris; je ne "demande rien pour moi, mais, Sire, mademoiselle Dam"pierre! sauvez-la! de grâce sauvez-la!" L'empereur de Russie, tout surpris de cette chaude allocution, cherchait ce que c'était que mademoiselle Dampierre; "C'est ma femme, Sire, "madame Dessoles; sans doute elle n'a pas un rapport bien "direct avec la question qui se débat, mais c'est mademoiselle "Dampierre; sauvez ce que j'ai de plus cher au monde !” Cette petite sollicitude conjugale dérida un moment le conseil; mais on se remit bientôt, et la discussion continua. C'était le tour de l'archevêque de Malines; il mit cartes sur table. "Messieurs, dit-il, il faut s'expliquer nettement. "Vous êtes décidés à en finir avec l'empereur. Pourquoi, ❝ dans ce cas, ne pas rendre à la France un gouvernement "sous lequel elle a été heureuse pendant tant de siècles? "Je ne crains pas d'avancer ici que c'est le vœu secret de "la grande majorité des Français, et que, si l'on n'ose l'é"mettre, c'est que l'esprit national est encore comprimé, et "qu'on craint de n'être pas appuyé en le manifestant. "Quant à moi, je déclare que je ne vois d'autre projet rai❝sonnable en abattant l'empereur que de rappeler les Bour"bons." Alexandre arrêta la discussion, et se tournant

[ocr errors]

* Ceux qui connaissent le général Dessoles ne seront pas étonnés de cette réponse. Elle est noire comme son âme, et tout-à-fait dans le goût des images que dessine sa figure. Cette expression atroce n'a du reste rien d'étrange ; c'est une réminiscence des élucubrations de 1798. Le général qui, en rendant compte des moyens qu'il avait employés pour insurger les Marches se flattait que "c'était une révolution faite par principes," ne devait pas ménager les termes, lorsqu'il s'agissait d'en opérer une autre.

:

vers Frédéric-Guillaume: "Votre opinion, roi de Prusse?" "Celle de l'archevêque de Malines," répondit Guillaume, L'empereur de Russie continua de recueillir les voix des étrangers, qui furent de l'opinion du roi de Prusse. Alexandre exposa la sienne à son tour, et dit que c'était une très grande affaire que de se fixer sur le gouvernement qui pouvait régner en France sans trouble et sans dangers pour la tranquillité de ses voisins qu'il pensait que la maison de Bourbon pouvait convenir; que néanmoins il remettait au lendemain à se décider; qu'on lui avait rendu compte de l'arrivée aux avant-postes d'une députation venant de Fontainebleau ; qu'il la recevrait et verrait ensuite. Le conseil se sépara. On n'ignorait, comme je l'ai dit, rien à Fontainebleau de ce qui se faisait à Paris. On y exagérait même les choses, quoique le mal fût très grand. L'empereur cependant ne se laissait pas imposer par les propos qu'on semait autour de lui. Tout entier à des combinaisons militaires, il se disposait à tenter de nouveau la fortune, lorsque le duc de Vicence arriva. Il n'apportait pas des nouvelles bien heureuses, mais du moins les alliés ne proscrivaient plus la régence. La condition était pénible, le soldat bouillait d'ardeur. Napoléon continue de tout disposer pour tenter la fortune; mais ses généraux n'ont plus d'élan; ils sont las de guerres, de combats, personne n'envisage qu'avec une sorte d'effroi les nouvelles chances qui vont s'ouvrir. C'est au milieu de cette anxiété générale que le décret de déchéance arrive à Fontainebleau. Dès qu'il le connaît, Napoléon n'hésite plus. La guerre civile lui apparaît avec toutes ses horreurs ; il se retire, et dresse lui-même l'acte qui le dépouille du pouvoir.* L'abdication signée, il choisit

[ocr errors]

* Les puissances alliées ayant proclamé que l'empereur Napoléon était le seul obstacle au rétablissement de la paix en Europe, l'empereur Napoléon, fidèle à son serment, déclare qu'il est prêt à descendre du trône, à quitter la

des négociateurs, qui, en la transmettant aux alliés, discutent les intérêts de la France et ceux des braves qui l'ont servie. Il nomme le duc de Vicence et le prince de la Moscowa; mais il ne les a pas plus tôt désignés, que son vieil aide-de-camp lui revient à la mémoire. Il va leur adjoindre Marmont, et veut que ce soit son plus ancien compagnon d'armes qui aille débattre les intérêts de sa famille. On lui observe que ceux de l'armée doivent aussi être défendus; qu'un homme qui a été moins avant dans ses affections, que Macdonald, par exemple, aurait plus de poids; il se rend et accepte le duc de Tarente. Sa prédilection néanmoins le domine encore; il donne l'ordre formel aux plénipotentiaires de prévenir le duc de Raguse qu'il ne l'a pas choisi, mais qu'il ne peut refuser à sa fidélité, garantie par tant de bienfaits d'un côté, et de services de l'autre, ce dernier témoignage de confiance; qu'en conséquence, s'il ne pense pas être plus utile à la tête de son corps qu'à Paris, il est le maître de se joindre aux plénipotentiaires, chargés d'expédier d'Essone un courrier qui rapportera ses pouvoirs.

Arrivés à Essone, les plénipotentiaires firent part au duc de Raguse de ce qui s'était passé à Fontainebleau, de l'abdication consentie par Napoléon, et de l'objet de leur mission à Paris. Ils lui transmirent également le message dont ils étaient chargés. Cette circonstance dut être pénible au maréchal, car il venait, comme nous l'avons vu, d'arrêter ses conditions avec le généralissime. Il ne cacha pas à ses collègues les termes où il en était avec les alliés. Il leur déclara qu'il n'avait agi isolément que par suite de la dispersion

France et même la vie pour le bien de la patrie, inséparable des droits de son fils, de ceux de la régence de l'impératrice et du maintien des lois de l'empire. Fait en notre palais de Fontainebleau le 4 avril 1814.

NAPOLEON.

« ZurückWeiter »