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jet? Je ne le pense pas, quoi qu'en dise M. de Pradt. Je n'ai, il est vrai, à cet égard, que mes conjectures, mais elles ont aussi leur valeur. Je vais les rapporter.

CHAPITRE V I.

Composition du gouvernement provisoire.-M. de Pradt.-Le duc de Vicence reçoit ordre de se retirer.—Marmont, séductions dont on l'entoure.-M. de Bourienne.-Le duc de Raguse ne veut rien entendre.-Artifices d'Alexandre. Toujours M. de Talleyrand. Il envoie des émissaires à Fontainebleau et à Essone.-Le maréchal Oudinot.-Montessuis.-Marmont se laisse séduire.-Conseil des généraux.

Je tiens d'un homme qui a servi de secrétaire à M. de Talleyrand dans cette circonstance, que ce grand désorganisateur avait fait son thême de deux manières; il avait porté sur la liste des personnes dont il voulait composer le gouvernement provisoire :

1o Lui-même, comme président;

2o Beurnonville, qui avait été son agent en Espagne et en Russie;

3o Jaucourt, son collègue de révolution ;

4o Dalberg, sa créature, qu'il avait marié à la fille de madame de Brignole ;

5o M. Barthélemy le sénateur, homme généralement estimé.

Ces choix n'annonçaient pas assurément le projet de rappeler la branche aînée de la maison de Bourbon, et garantissaient une majorité constanté aux opinions de M. de Talleyrand. Ce ne fut qu'après l'entretien qu'il eut avec l'empereur de Russie qu'il substitua l'abbé de Montesquiou à M. Barthélemy. Ainsi le marché d'Hartwell n'était pas ce

dont il se souciait le plus, et si l'empereur Alexandre ne lui eût laissé entrevoir qu'il penchait pour le retour de la maison de Bourbon, il est probable que le diplomate n'eût pas tenu grand compte de son traité. Une chose qui prouve combien peu il était disposé à travailler pour la légitimité, c'est que, même après avoir saisi la véritable pensée de l'autocrate, il ne prit parmi les amis de la monarchie que l'abbé de Montesquiou, afin de conserver la majorité, dans le cas où l'empereur de Russie ne se serait pas tellement prononcé qu'il n'y eût encore espérance de lui faire adopter une idée qu'on n'avait peut-être pas osé lui développer, et qui aurait rencontré des obstacles, s'il y avait eu dans le gouvernement plus d'un membre de la couleur de M. de Montesquiou.

Le gouvernement composé, on s'occupa de pourvoir aux places principales de l'administration. On fit choix de M. l'abbé Louis, conseiller d'Etat, pour les finances;

De M. Beugnot, conseiller d'Etat, pour l'intérieur ;

De M. Malouet, conseiller d'Etat (en exil), pour la marine.

Du général Dupont, pour la guerre ;

De M. Anglès, maître des requêtes, qui était chargé du troisième arrondissement de la police, pour le ministère de la police générale ;

Du général Dessoles, pour le commandement de la garde nationale;

De l'archevêque de Malines, pour la légion d'honneur ;

Et de M. de Bourienne, pour l'administration des postes. Ces travaux préparatoires achevés, M. de Talleyrand se rendit au sénat, où toutes ces mesures furent converties en décret.

Les divers individus que M. de Talleyrand s'était associés prirent possession des différentes branches d'administration auxquelles ils étaient si illégalement appelés, sans rencontrer aucune opposition, parce qu'on aime à voir sa responsabilité

à couvert lorsqu'on a besoin à chaque instant d'une direction nouvelle.

Ces places pourvues, l'administration se trouva organisée et commença à se donner du mouvement. Elle annonçait, ou du moins elle ne dissimulait pas ses vues, mais elle n'avait encore arboré aucun signe, pris aucune couleur que n'avouât pas la nation.

Le préfet de la Seine, M. de Chabrol, et le préfet de po lice, M. Pasquier, furent conservés, parce qu'ils convenaient l'un et l'autre aux deux hypothèses sur lesquelles M. de Talleyrand avait fait son thème. Ces deux magistrats n'étaient point des hommes de révolution, ils ne pouvaient qu'obéir aux événemens; on ne les avait laissés à Paris que pour cela.

M. de Talleyrand assembla chez lui les membres du gouvernement provisoire, et les présenta, ou, pour mieux dire, les livra à l'empereur de Russie, qui ne leur parla qu'en protecteur des grands travaux qu'ils allaient faire.* Il connaissait assez les hommes pour savoir que c'était la manière la plus sûre de les faire courir au-devant de ses désirs. Je tiens de l'archevêque de Malines lui-même, qu'il demanda dans cette présentation un entretien particulier à l'empereur Alexandre qui le lui accorda; il lui dit que, “quoi que l'on "se proposât de faire, l'opinion ne se prononcerait pas tant "qu'on ne serait pas assuré de ses sentimens particuliers, et 66 que d'ailleurs la présence de M. de Caulaincourt à Paris

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Un homme qui se disait mon allié, dit l'empereur Alexandre à la députation du sénat chargée de lui présenter la résolution que ce corps venait d'adopter, un homme qui se disait mon allié, est arrivé dans nos Etats en injuste agresseur (voyez les aveux de Boutourlin); c'est à lui que j'ai fait la guerre et non à la France (voir le traité de Paris). Je suis l'ami du peuple français; ce que vous venez de faire redouble encore ces sentimens : il est juste, il est sage de donner à la France des institutions fortes et libérales qui soient en rapport avec les lumières actuelles. Mes alliés et moi ne venons que pour protéger vos décisions.

La puissance de l'empereur Alexandre était déjà assez bien établie pour lui assurer le succès de ce qu'il allait entreprendre. Il donna audience le soir même à M. de Caulaincourt. Ce dernier ne m'a pas communiqué les détails de l'entretien, mais assurément il ne fut pas reçu comme l'ambassadeur de France, quoiqu'il le fût du reste avec la bienveillance habituelle que l'empereur de Russie employait à son égard. Le duc de Vicence ne voyait que trop ce qui allait arriver. Il était le seul qui eût eu assez de relations directes avec ce prince pour ne pas craindre de prendre le ton qui convenait à la circonstance, sans cependant le dépasser; il est présumable qu'il fit tout ce qui lui fut possible pour détourner l'orage, ou tout au moins suspendre l'explosion. Mais tous ses efforts furent inutiles; Alexandre lui notifia sèchement que sa présence comprimait l'opinion, qu'il l'empêchait de se prononcer, et que cependant les souverains avaient besoin de la connaître pour prendre une décision. En conséquence, il lui signifia qu'il eût à s'éloigner, que les alliés n'avaient rien à répondre aux communications qu'il avait faites.

Cette injonction, et surtout la déclaration dont les murs de la capitale étaient couverts, avaient accru les chances de la conspiration. Les sénateurs, étourdis par l'orage et comprimés par une surprise que je raconterai tout à l'heure, ne pouvaient opposer de résistance; la déchéance fut mise en délibération. Chacun était plus ou moins engagé, personne n'essaya de combattre la mesure, et la chute de l'empereur fut prononcée.

M. de Caulaincourt s'éloigna et revint à Fontainebleau, où l'empereur avait réuni sa faible armée, qui ne comptait pas soixante mille combattans. On juge aisément de la situation d'esprit dans laquelle le jeta la réponse d'Alexandre. Il avait auprès de lui les maréchaux Berthier, Moncey, Lefebvre, Ney, Macdonald, Oudinot, Mortier et Marmont,

dont le quartier-général était à Essone, à moitié chemin sur la route de Fontainebleau à Paris; celui du maréchal Mortier était auprès de Villeroi, un peu en arrière d'Essone du côté de Fontainebleau, de sorte que le premier faisait tête de colonne.

Avant de quitter Paris, il avait transmis à l'empereur la capitulation qu'il avait signée, et lui avait fait dire que, s'il voulait rentrer de force dans la capitale, il devait s'attendre à la voir tout entière s'armer contre lui. L'aide-de-camp rendit le message tel que le lui avait donné le duc de Raguse, mais il ne fut pas à l'épreuve de cet horrible mensonge; il en fut long-temps malade, et avoua à quelqu'un qui me l'a répété, que cette coupable faiblesse avait empoisonné sa vie.

Marmont alla lui-même voir l'empereur à Fontainebleau, mais ne lui dit pas un mot de ce qui s'était passé chez lui le soir de la capitulation; il se retira, et était déjà rentré à Essone lorsque M. de Caulaincourt y passa en revenant de chez l'empereur de Russie. L'empereur avait laissé ignorer aux maréchaux qui étaient près de lui les dangers qui menaçaient l'Etat ; mais les uns et les autres avaient leurs familles à Paris, ils furent bientôt instruits de tout ce qui s'était fait ou se préparait: on y prenait une résolution dont le mot de ralliement n'était pas encore prononcé. Les murailles étaient tapissées de proclamations de Louis XVIII; c'était l'idée principale que l'on jetait dans la multitude: était-ce par l'ordre ou avec l'assentiment de l'empereur de Russie qui voulait tåter l'opinion sans avoir l'air de la diriger, afin de pouvoir se retirer de la partie, si cela devenait nécessaire à une autre idée qu'il prévoyait peut-être qu'il serait obligé d'adopter; ou bien était-ce M. de Talleyrand qui faisait placarder ces proclamations, d'après l'ordre tacite ou les communications de ce prince? Je ne pourrais le dire, mais

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