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Telle était l'opinion que le maréchal Marmont avait laissée de lui à ses amis au moment où il quitta Paris pour rejoindre ses troupes sur le chemin de Fontainebleau. M. de Talleyrand n'avait rien obtenu; mais il était trop habile dans l'art de juger le cœur humain pour renoncer à l'espérance de séduire le maréchal, et l'on verra comment il réussit à l'égarer.

CHAPITRE V.

Méprise de Caulaincourt.-Il se persuade que tout est fini.-Alexandre évite de s'expliquer.-Réception qu'il fait au corps municipal.—Il envoie Nesselrode prendre langue à Paris.-Madame Aimée de Coigny.-Demande de Talleyrand.-Alexandre descend chez lui.

M. de Caulaincourt, en cherchant à connaître la situation des choses à Paris, ne put manquer de s'apercevoir que l'intrigue contre l'empereur s'agitait; ses mouvemens étaient d'autant plus visibles, qu'elle agissait sans entraves, car on avait fait partir tout ce qui aurait pu la croiser. Ne voyant, ne rencontrant partout que des intrus en fonctions, il dut penser que ces nouveaux choix étaient la conséquence des communications que l'on avait déjà eues avec les ennemis. Il dut d'autant plus le croire, qu'à Châtillon il avait été, mieux que personne, à portée de juger de leurs intentions. Il fut dupe des apparences, s'imagina que tout était arrangé, tandis que tout était encore à faire. M. de Talleyrand, chez lequel il ne manqua pas de se rendre, le confirma dans son erreur, car c'est un art particulier aux intrigans expérimentés que de présenter comme déjà fait ce qui est précisément à faire.

M. de Caulaincourt, dont la principale mission était pour le quartier-général de l'empereur de Russie, se hâta de s'y rendre, d'autant plus que là il pouvait s'expliquer le mot de l'énigme par le langage qu'on lui tiendrait, et qu'alors il réglerait la conduite qu'il devait tenir pour la seconde partie de sa mission, c'est-à-dire, pour être à Paris le commissaire de l'empereur pendant le séjour des alliés.

Dès que la capitulation eut été signée et notifiée aux autorités civiles, le conseil municipal s'assembla et alla en corps à Bondy demander à l'empereur de Russie de ménager la capitale. Il avait à sa tête, selon l'usage, le préfet du département et le préfet de police; il s'était mis en route le lendemain de la signature de la capitulation, et avait par conséquent devancé M. de Caulaincourt. Alexandre fit

attendre fort long-temps la députation avant de la recevoir, et je tiens de quelqu'un qui était présent qu'il l'accueillit un peu brusquement; ce fut du moins la première impression qu'il fit sur elle. Il se radoucit cependant et lui dit, entre autres choses, que "le sort de la guerre l'avait rendu "maître de la capitale, qu'il n'était point l'ennemi de la "nation, qu'il n'avait qu'un ennemi en France, que c'était à "lui qu'il faisait la guerre. Je plains, ajouta-t-il, les maux "qu'il a attirés sur vous, et je tâcherai de les alléger; je "mettrai dans Paris le moins de troupes possible, le reste

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sera placé dans les environs." Il demanda s'il y avait beaucoup de casernes à Paris; on lui répondit qu'il y en avait pour à peu près dix mille hommes. Il répliqua: “Eh "bien! ce sera autant de soulagement pour les habitans, ❝ auxquels je ne veux aucun mal, non plus que mes alliés. "Vous pouvez les en assurer de ma part et de la leur." Il congédia le corps municipal, qui remarqua qu'il avait évité de s'expliquer sur des projets que chacun lui connaissait.

Pendant que le conseil municipal se rendait à Bondy, l'em

pereur Alexandre avait dépêché à Paris son ministre des relations extérieures, le comte de Nesselrode, le même qui avait été attaché à la dernière légation russe. Il l'avait envoyé prendre langue auprès des chefs du parti, et s'assurer au juste des moyens dont la conspiration disposait. Nesselrode descendit chez Talleyrand, qu'il savait s'être encore tout fraîchement mis en communication plus intime avec Hartwell. Les conditions transmises par madame Aimée de Coigny avaient été acceptées. Cette dame, qui avait été successivement duchesse de Fleury, madame de Montron, et était redevenue, par suite de son divorce, ce qu'elle était d'abord, s'était adressée à son grand-père, le maréchal de Coigny, qui était à Londres. Celui-ci courut offrir au roi le repentir et le dévoûment de M. de Talleyrand, et lui soumettre les réserves du diplomate. "Acceptez, répondit le prince; si je remonte sur mon trône, vous pouvez tout promettre." Ce marché, connu de Castlereagh, ne devait pas être ignoré de l'empereur de Russie. Nesselrode pouvait adopter celui des projets de Francfort ou de Londres qui lui convenait le mieux. Son choix ne fut pas long.

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Alexandre avait depuis long-temps résolu de changer la dynastie qui gouvernait la France, si les événemens ne s'opposaient pas trop à ses desseins. Il s'était arrêté à cette idée depuis la conférence qu'il avait eue à Abbo avec Bernadotte, et n'avait sans doute appelé Moreau que pour le faire concourir à l'exécution de son dessein. Nesselrode somma en conséquence Talleyrand de tenir ses promesses. Celui-ci répondit qu'il ne demandait pas mieux, mais que, pour le faire avec succès, il fallait que l'empereur Alexandre lui donnât une marque solennelle de bienveillance qui le mît à même de se saisir de l'influence dont il avait besoin pour exécuter ce qu'il avait promis. Alexandre lui fit répondre sur-le-champ qu'il irait descendre et prendre son quartier chez lui.

TOME IV.-lère Partie.

M. de Caulaincourt, en sortant de la barrière de Paris pour se rendre à Bondy, s'annonça aux avant-postes russes comme parlementaire; on l'y retint jusqu'à ce que l'on eût pris les ordres de l'empereur. Alexandre fit dire de le recevoir; il rencontra, comme il se rendait au quartier-général, le corps municipal qui en revenait.

Je ne me rappelle pas si M. de Caulaincourt arriva jusqu'à Bondy avant d'être admis près de l'empereur de Russie, ou s'il le rencontra en chemin, venant lui-même à Paris pour y entrer à la tête de son armée, qui était assemblée sur la route; mais je suis certain qu'Alexandre, en l'accueillant, lui dit : "Il est bien temps de venir lorsqu'il n'y a plus de remède. "Je ne puis vous entretenir à présent; rendez-vous à Paris, 66 je vous y verrai." M. de Caulaincourt y revint fort attristé de voir ses pressentimens se réaliser. Il alla à la préfecture de la Seine et à celle de police, où l'on était tout-à-fait désabusé sur les intentions qu'on attribuait à l'empereur de Russie; on n'osait plus ni méconnaître son devoir, ni se compromettre davantage pour celui que la fortune couronnait de ses faveurs. Si M. de Caulaincourt eût voulu déployer son caractère de commissaire de l'empereur, la moindre chose qui eût pu lui en arriver était non seulement de n'être pas reçu par l'empereur de Russie, qui devait venir le soir même, mais encore de se faire renvoyer. Il fut donc obligé de laisser à chacun sa stupeur et de se contenter d'observer, ce qui était une douloureuse extrémité.

La colonne russe entra à Paris vers midi ou une heure le lendemain de la capitulation. C'est alors que les cœurs généreux eurent à souffrir d'un spectacle si affligeant pour des Français qui avaient été fiers de la gloire de leur pays.

Nos armées sont aussi entrées triomphantes dans les capitales étrangères, et, qui plus est, à la suite de batailles mémorables qui ont donné leur nom à toute la campagne dans laquelle elles ont eu lieu. On dira encore long-temps

la campagne de Marengo, la campagne d'Austerlitz, d'Iéna et de Moscou. Elles seront toujours les monumens de notre histoire en dépit de l'envie: mais quoiqu'à la suite de ces événemens glorieux pour nous, les vaincus aient eu la consolation de nous faire expier nos victoires, nous n'avons pas vu leurs familles accourir au-devant de nous ni nous recevoir comme des libérateurs; on n'est point venu embrasser nos bottes. Nos regards n'ont rencontré que de l'affliction, nous n'avons point vu de bassesse à Vienne et à Berlin, où l'on était fondé à craindre nos ressentimens. On garda la dignité nationale; on ne nous accorda que ce que l'on ne pouvait pas nous refuser.

Il était réservé à Paris d'offrir un honteux contraste, et de montrer aux ennemis qu'il était resté indifférent à notre gloire, tout en devenant dépositaire de tant de trophées accumulés dans ses murs. On blâmera sans doute cette manière de s'exprimer, mais mon intention est de n'adresser de reproches qu'aux hommes qui se sont dégradés dans cette circonstance. Je signale les bassesses de l'époque, afin que nos neveux, en se pénétrant de l'indignation qu'elles doivent faire naître, connaissent toutes les souillures qu'ils ont à purger.

Tout pousse, en France; les lauriers y sont indigènes : on a pu en faire une ample récolte. C'est une preuve qu'ils y avaient été bien cultivés, et que l'on avait besoin de les naturaliser où on les a transportés. Les ravisseurs en ont usé ainsi que l'on fait ordinairement du bien mal acquis; mais les racines et le climat nous restent, tout n'est pas perdu lorsqu'on a conservé du courage avec l'amour de la patrie.

Il y avait une foule innombrable pour voir entrer l'armée russe. La curiosité en avait réuni la majeure partie, l'indignation avait assemblé l'autre. La classe qui avait été jusqu'alors insignifiante dans la société, où elle était contenue dans les bornes de la bienséance, rompit le frein qui bridait

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