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l'impossibilité de conserver cette maison qui était d'un entretien dispendieux; en conséquence, il chercha à s'en défaire. Personne ne se présenta pour l'acquérir, mais il sut y suppléer. Il fit venir le fermier-général de l'entreprise des jeux de Paris, et lui proposa de lui acheter cette propriété; celuici déclina sa proposition, mais inutilement. On lui signifia qu'on ne l'avait pas fait appeler pour éprouver un refus, qu'il fallait acquérir, et que, si le contrat n'en était pas signé dans vingt-quatre heures, le bail était cassé et donné à un autre. Le fermier était sans appui, il avait affaire au chef du gouvernement provisoire, il se résigna et demanda le prix qu'on mettait à la maison. On lui répondit 250,000 francs; il les fit payer le jour même, sauf à se les faire rembourser par les joueurs, et à se défaire comme il pourrait de la maison.

Il fallait que M. de Talleyrand n'eût pas des pressentimens rassurans, pour se défaire, par de semblables moyens, de tout ce qui pouvait être d'une réalisation difficile. Mais revenons à la position de la France vis-à-vis des étrangers, qui avaient déclaré ne vouloir lui imposer aucun sacrifice.

On attendait le roi, dont l'arrivée avait été assignée à jour fixe. On pouvait discuter sur la paix à loisir, puisque l'on ne se battait plus, et qu'il n'y avait plus d'effusion de sang à arrêter. Cependant on se hâta d'ouvrir une négociation, et l'on fit signer au comte d'Artois des préliminaires qui nous dépouillaient de tout ce que nous possédions encore dans les contrées qui avaient été si long-temps annexées à la France. Flottes, arsenaux, places, constructions de toute espèce, nous nous dessaisîmes de tout. Comment achetâmes-nous si cher un armistice qui existait par le seul fait de l'abdication? Comment payâmes-nous si haut une suspension d'armes dont nous jouissions déjà? Comment M. de Talleyrand, qui connaissait si bien la valeur des objets négociables dans les transactions politiques, commença-t-il par priver la France

de tous ceux qu'elle avait? Il consentit à rendre à l'instant tout ce qu'elle possédait au-delà de son ancienne frontière, hormis Chambéri, et quelques lambeaux de territoire, autour de cette place. Mais la Toscane, le Piémont, Genève, la Belgique, le Palatinat, les places de guerre avec leurs armemens et approvisionnemens, Anvers avec sa flotte, l'arsenal et ses magasins, tout fut cédé aux ennemis, et l'on fit ratifier cette désastreuse disposition à M. le comte d'Artois, avant même qu'il pût être instruit de ce qu'on lui proposait. On expédia de suite des courriers à tous les commandans de ces places, avec ordre de les rendre telles qu'elles étaient aux troupes ennemies qui en faisaient le blocus, et de se mettre de suite en marche avec leurs garnisons pour rentrer en France. On voulut observer que toutes les places que l'on abandonnait ainsi renfermaient la presque totalité de l'artillerie qui composait l'armement de celles de l'ancienne frontière. On remarqua que l'inventaire de la première prise de possession de ces places par les Français existait encore. On proposa d'en faire la remise d'après cet inventaire, et conséquemment de ramener tout ce qui avait été tiré de l'intérieur. Mais le gouvernement provisoire reçut mal cette observation, et voulut que les places fussent rendues dans l'état où elles se trouvaient. Il poussa la libéralité jusqu'à ordonner que l'arsenal de Turin, qui n'était composé et rempli que de l'ancien établissement de Valence, ainsi que des approvisionnemens achetés par la France, fût livré sans en rien distraire. Il ne pouvait cependant pas ignorer ce qu'il abandonnait, puisqu'il y avait des états au bureau de la guerre, et que rien ne s'opposait à ce qu'il en demandât communication.

On ne peut pas faire à M. de Talleyrand l'injustice de croire qu'il a été surpris dans cette transaction par les ministres des puissances étrangères, ni qu'il s'est mépris sur l'immensité du sacrifice qu'il laissait imposer à la France.

Il voyait bien qu'il ne lui restait rien pour conclure la paix, et qu'il s'ôtait les moyens de prendre une position entre la nation et les ennemis, car que pouvait-il faire après la perte de ce qui aurait pu appuyer une prétention, quelque faible qu'elle fût? Comment M. de Talleyrand prit-il sur lui de conclure cette transaction avant l'arrivée du roi? D'une part, il n'y avait pas nécessité de traiter; de l'autre, aucun motif raisonnable ne justifiait les bases sur lesquelles on négociait. M. Talleyrand savait mieux que le comte d'Artois que la France avait encore plus de troupes que les alliés ne nous en avaient montrées. Il n'était besoin que de jeter les yeux sur les tableaux du ministre de la guerre pour s'en convaincre. Rien ne s'opposait plus à leur réunion; l'on pouvait donc s'en prévaloir dans la négociation.

Quand on cherche ce qui a pu déterminer M. de Talleyrand à ouvrir ou à ne pas renvoyer cette négociation jusqu'à l'arrivée du roi, on est, malgré soi, obligé d'accorder quelque croyance à des bruits qui coururent et rattachèrent la conclusion de cette affaire à des intérêts particuliers. On a dit, et on me l'a répété de bonne source, que M. de Talleyrand ayant eu la main forcée par les événemens, dans le retour des Bourbons, n'avait aucune confiance dans la position qu'il lui serait possible de prendre, parce qu'il jugeait déjà des sentimens dans lesquels ces princes revenaient, et que, ne prévoyant rien d'avantageux pour lui, il avait songé à acquérir une indépendance qui le mît à l'abri d'une disgrâce. Il avait, en un mot, usé de ses voies ordinaires pour faire arriver cette proposition d'armistice par les étrangers qui s'étaient engagés à reconnaître ses services. Comment en effet n'aurait-on pas été généreux envers celui qui, d'un trait de plume, remettait à des souverains étrangers un matériel d'artillerie avec des approvisionnemens tellement considérables, que la puissance la plus opulente n'aurait pu les acheter sans obérer ses finances? Quelque injurieux que

soit le soupçon, il a existé. Je le rapporte comme je l'ai entendu émettre par des personnes qui avaient l'habitude de juger M. de Talleyrand.

Après la signature de cette convention, quelle paix restaitil à conclure? On ne pouvait qu'assembler avec plus ou moins d'esprit des conditions qui aujourd'hui ne sont plus des garanties pour la tranquillité des peuples. Si, comme il est probable, M. de Talleyrand avait des projets autres que ceux auxquels il avait été obligé de prendre part, il ne pouvait employer de meilleur moyen pour calmer l'enthousiasme avec lequel il craignait que l'on accueillît le roi à son retour, que de stigmatiser cette époque par un sacrifice comme celui qu'il laissa imposer à la nation, lorsqu'elle pouvait encore faire respecter ce qu'elle avait acquis au prix de tant d'efforts.

Ce fut le 21 avril que le roi fit son entrée à Paris. Il avait débarqué à Calais, et était venu de là à Compiègne, où le gouvernement provisoire, les ministres et les maréchaux de France s'étaient rendus pour lui présenter leurs hommages et lui offrir les assurances de leur fidélité. L'empereur était encore à Fontainebleau. Il lui était réservé de voir tous ces hommes qu'il avait élevés, enrichis, déserter ses drapeaux pour courir au-devant d'une nouvelle fortune; c'est, peut-on le croire? ce même Berthier dont il a été tant de fois question, qui était à la tête des maréchaux; ce fut lui qui porta la parole au roi, qui lui dit que, depuis vingt-cinq ans, la France, gémissant sous le poids des malheurs dont elle était accablée, attendait le jour fortuné qu'elle voyait luire, et il n'y avait pas une semaine qu'à Fontainebleau il promettait à l'empereur de ne pas l'abandonner. Berthier, son compagnon d'armes, l'ami choisi pour aller à Vienne épouser la fille de l'empereur d'Autriche, Berthier s'oublier à ce point! Et pourtant il était attaché au souverain qu'il outrageait ; il payait tribut à la faiblesse de son caractère, au vertige de l'époque, sans cesser de chérir et de plaindre le bienfaiteur dont

il n'avait pas le courage de partager l'infortune. De Compiègne, le roi vint à Saint-Ouen, qui, comme l'on sait, n'est qu'à deux lieues de Paris. Il y reçut le sénat, qui apportait la dernière constitution par laquelle il croyait avoir immuablement fixé ses destinées. J'ai ouï dire à quelques uns d'entre ces messieurs qu'à peine étaient-ils sortis de l'audience, qu'ils avaient prévu ce qui allait arriver.

Le cortége qui devait accompagner le roi à son entrée dans Paris était réuni. Il se mit en marche et entra par le faubourg Saint-Martin, après avoir suivi les boulevards extérieurs. Berthier était à la tête de la voiture du roi, qu'accompagnaient plusieurs maréchaux, ainsi que le duc de Feltre, qui avait dit en plein conseil, devant l'impératrice, que tant qu'il resterait un village où l'autorité de l'empereur serait reconnue, là serait la capitale et le lieu où tous les Français devaient se réunir. J'étais dans la foule occupé à voir passer le cortége; il rappelait, il est vrai, quelques souvenirs, mais le tableau en était pénible. Si l'on avait vu à cheval à côté de la voiture du roi les hommes qui avaient partagé les malheurs de son exil, cela aurait paru naturel; mais il y avait quelque chose d'indécent à voir figurer à la suite de Louis XVIII des hommes qui occupaient les premières places dans les marches triomphales de l'empereur.

Le roi eût sans doute plus estimé ces nouveaux serviteurs de la légitimité, s'ils s'étaient excusés sur leur âge, leurs fatigues, et se fussent condamnés à la retraite, au lieu de s'avilir gratuitement; car enfin il ne les avait pas appelés, et il ne pouvait pas avoir une bien grande opinion d'hommes qui se conduisaient ainsi.

La pauvre espèce humaine est bien faible; elle a besoin de n'être pas mise à une trop forte épreuve. Que l'on dise après cela que le génie de quelques uns de ses lieutenans était d'un grand secours à l'empereur. Je n'avais pas eu besoin de cette circonstance pour m'étonner qu'il eût pu faire tant de

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