Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

n'ouvroient

pour

que rarement la bouche, et c'étoit proférer des juremens épouvantables, des malédictions sur les savans.

Il faut expliquer ici cette espèce de fureur qui animoit les soldats contre les savans: ils s'étoient persuadés que Bonaparte avoit été trompé par eux; qu'enfin c'étoit à eux que l'on devoit l'expédition d'Egypte, et par conséquent les maux qui nous accabloient. L'attente des richesses, les images riantes qu'on s'étoient formées, disparoissoient à l'aspect des privations, et l'espoir de raconter un jour ses malheurs, soutenoit à peine le courage. C'étoient donc les savans qui avoient préparé, causé le voyage en Egypte; la haine et les préventions du soldat s'étoient tournées contre eux. Toutes les fois qu'ils rencontrèrent un Français, non revêtu de l'habit militaire, ils l'appelèrent savant; enfin le commis aux distributions vouloit-il expliquer la différence des mesures du pays avec les nôtres, c'étoit un savant ces plaisanteries rappeloient quelquefois la gaîté dans les troupes.

Après avoir marché quelques instans, le murmure s'éleva de nouveau parmi les ouvriers, les boulangers, etc. Un d'entre eux laissa échapper une parole qui causa le plus grand trouble : peutêtre, cria-t-il, avons-nous dépassé Ouardân, et nous allons tomber dans les maitis des Mamelouks? y a plus de quatre heures que nous marchons,

[ocr errors]

dit un autre ; il faut retourner au camp, crie un troisième ; et de suite toute la cohue : oui, oui, il faut retourner. On fut obligé. de s'arrêter; personne ne vouloit plus avancer, et le désordre devint général. La réflexion du premier orateur avoit frappé les esprits, et de fait, le général en chef pouvoit s'être trompé, Ouardân n'être pas sur le rivage, et peut-être avions-nous dépassé les avantpostes de la division Desaix, trop éloignée pour nous avoir aperçus. Des feux qui s'éteignoient, et que nous rencontrâmes quelques pas plus loin en assez grand nombre, confirmèrent nos gens dans la certitude de notre malheur. L'adjudant-général céda aux clameurs de la cohue: on s'arrêta; et tandis que les autorités du convoi discutoient les mesures à prendre dans une circonstance aussi critique, on plaça des avant-postes pour protéger la halte.

[ocr errors]

Pendant ce fameux conseil, les uns s'étoient couchés; les autres, en silence, calculoient les moyens d'échapper aux dangers prétendus qui nous menaçoient à l'espoir de retourner au camp, où seulement ils voyoient leur salut, succédèrent les plus vives alarmes. Les sentinelles avancées qu'on avoit placées pendant les conférences, se replièrent sur nous en criant aux armes. On avoit entendu des chevaux ; c'étoient les Arabes. On se mit en défense, on se rapprocha un peu, on commanda le

silence....., mais rien ne parut, et l'alerte étoit fausse. Après une longue conférence, il fut résolu qu'on céderoit aux desirs de la majorité, et l'adjudantgénéral consentit à retourner au camp. Nous voilà révenant sur nos pas; l'assurance de rejoindre les troupės avoit commencé à faire parler,même les moins hardis on marchoit plus vîte ; nos soldats seuls se traînoient toujours avec peine, et restoient derrière nous. Cette longue ligne s'étoit à peine développée, que de nouveaux cris nous frappent; les inquiétudes revinrent; la tête de la colonne arrêtée ignoroit encore ce qui s'étoit passé à la queue; nous nous y transportâmes sur-le-champ, nous trouvâmes les traîneurs qui avoient saisi deux hommes nus comme la main, sur les corps desquels ils avoient marché sans les voir: Ces deux paysans, qui n'étoient probablement que des voleurs, comme beaucoup par la suite se sont introduits dans nos camps la nuit, devinrent nos guides et nos libérateurs. L'interprète qui étoit parmi nous leur promit la vie, d'après l'ordre de l'adjudant-général, s'ils nous conduisoient à Ouardân, qui ne devoit pas être éloigné. Ils le jurèrent; et leur serment ne rassura pas beaucoup la multitude inquiète et soupçonneuse. Enfin, après avoir marché encore quelques minutes, nous arrivâmes à Ouardân, que nous n'avions pas dépassé, mais qui n'étoit pas précisément sur le bord du fleuve.

(20

L'armée, réunie le 30 messidor ( 19 juillet ) à Ouardân, s'y repose les 1er et 2 thermidor ( et 21 juillet). Les soldats préparent leurs armes. Tout se dispose pour une grande affaire; MouradBey, à la tête de 6000 Mamelouks environ et d'une foule d'Arabes et de Fellahs (paysans), s'étoit disoit-on retranché au village d'Embabé, sur la rive gauche du Nil et vis-à-vis Boulac.

Le 3 thermidor (21 juillet), nous découvrîmes les grandes pyramides à quelques lieues sur notre droite. C'est en présence de ces monumens, témoins de tant de siècles écoulés, qu'alloit se décider le sort de l'Egypte. L'armée marchoit comme à l'ordinaire, ses cinq divisions formées en bataillons carrés et par échelons. Au bout de deux heures, on distingua quelques cavaliers, dont le nombre s'augmenta insensiblement ; ils se replioient à mesure que nous avançions: à deux heures après midi, on s'arrêta dans un champ de pastèques, qui fut bientôt ravagé. Depuis quatre heures du matin nous marchions, mais nous apercevions le Caire, et sa vue nous offroit la fin de nos peines. Les Mamelouks étaloient à nos yeux tout le luxe oriental. La variété de leur habillement, leurs brillantes armures, leurs cris tumultueux, la rapidité de leurs mouvemens, offroient un spectacle aussi neuf qu'intéressant. Inquiets de la manoeuvre que faisoit la division Desaix pour leur couper la retraite sur

[ocr errors]

notre droite, ils se décidèrent à la charger, et la chargèrent en effet avec la plus éclatante valeur. Les braves vinrent expirer sous le feu meurtrier d'une fusillade vive et bien nourrie. Cependant nos dia visions marchoient en même temps sur Embabé. L'affaire fut bientôt décidée, la redoute emportée, et tout ce qu'elle renfermoit, au pouvoir de nos troupes, qui oublièrent dans ce moment qu'elles étoient sur pied depuis quatre heures du matin, et qu'elles avoient faim. Les soldats couroient alors : l'espoir d'un riche butin avoit ranimé leurs forces; Embabé fut couvert d'ennemis. Des Mamelouks, qui voulurent se sauver par le Nil, se noyèrent; au milieu des cadavres, on vendoit des chevaux, des des vêtemens, des chameaux; le champ de bataille étoit devenu le marché, où chacun venoit' demander ce qu'il desiroit. Chaque soldat vantoit le prix de l'objet qu'il offroit à acheter, la légèreté du cheval qu'il avoit arrêté. Quelle confusion ! quel tableau! c'étoit la joie la plus bruyante dans le silence de la mort les uns mangeoient, buvoient; d'autres se couvroient la tête d'un turban encore ensanglanté celui-ci revêtoit une pelisse, c'étoit son trophée ; il l'avoit conquise au péril de sa vie : personne ne pensoit plus aux souffrances de la

armes,

route.

:

Bonaparte descendit de cheval à Embabé, et vint à pied jusqu'à Gizeh; le contentement étoit peint

« ZurückWeiter »