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Aussitôt que Desaix eut reçu les passeports de l'amiral Keith, il se rembarqua sur le même bâtiment qui l'avoit amené. Nous quittâmes Livourne avec une joie indicible; rien ne s'opposoit plus à notre retour en France.

Nous abordâmes les côtes près Fréjus; là, à la pointe du jour nous fùmes chassés par trois bâtimens. Deux sur notre droite étoient les moins éloignés, et le troisième à notre arrière. Nous n'augmentâmes point de voiles; qui pouvions-nous redouter? L'événement faillit nous convaincre que notre sécurité n'étoit pas fondée.

Les deux bâtimens de droite, bons voiliers, nous joignirent bientôt. A la portée du canon, ils brûlèrent une amorce ; nous mîmes en panne, et bientôt nous nous trouvâmes entre deux barbaresques. A la vue de leurs pavillons, nous ne fûmes pas exempts d'une certaine inquiétude. Les passe-ports anglais et ceux du Grand-Visir ne nous paroissoient plus des sauf-conduits assez puissans. L'appareil des équipages. des deux corsaires étoit horrible; les matelots étoient à leurs manoeuvres et tenoient leurs sabres dans les dents. Les canonniers à leurs pièces n'attendoient

la République. Kleber eut une entrevue avec ce célèbre Mamelouk, et tous les deux se séparerent pleins d'estime l'un pour l'autre.

qu'un signal pour nous, foudroyer. Le capitaine du Ragusais alla à bord; il ne vouloit point monter,. afin de nous éviter une seconde quarantaine, (c'étoit à nos esprits le moindre inconvénient), on le menaça de manière à le déterminer promptement; il entra dans la chambre du commandant, lui montra son passe-port. Le Bey, après l'avoir lu, lui dit qu'il ne signifioit rien, et que, quand ils seroient à Tunis, les Français, qui revenoient d'Egypte s'expliqueroient avec la Régence. Voilà l'affreux discours que nous rapporta notre capitaine et qui nous consterna tous. Quoi! être pris une seconde fois en vue des côtes de France, et pour être esclaves toute la vie peut-être ! Quelle perspective! Ce que nous souffrions dans cet instant ne sauroit se rendre. Le silence général qui régnoit sur notre bord, exprimoit assez les angoisses qui nous tourmentoient.

Le capitaine de l'aviso se rendit à son tour à bord du chebeck turc. On le força également à monter, Avec quelle agitation nous attendions qu'il sortît. Enfin, il prend un porte-voix, et nous crie ces paroles admirables: «Le capitaine est de mes amis »je prends une tasse de chocolat avec lui, et nous » allons faire notre route ». Alors nous sautâmes comme des fous, le sourire remplaça l'air tristé qui obscurcissoit notre figure, et le babil succéda au silence, Nous fesions mille extravagances, et telle étoit

notre méfiance continuelle, que ne comptant plus sur la justice de notre cause, nous nous estimions fort heureux qu'on nous laissât faire ce qu'on n'avoit point le droit d'empêcher.

Le capitaine Roustant vint nous annoncer, qu'ayant fait autrefois la guerre sur les côtes de Barbarie, il avoit beaucoup connu le commandant des deux chebecks turcs, qu'il lui avoit même rendu quelques services, et qu'en cette considération il avoit consenti à nous laisser partir, sur-tout après avoir connu les détails de la convention d'El-A'rich.

A peine étions-nous débarrassés des barbaresques, qu'un gros brick de guerre anglais qui nous avoit joints pendant notre halte, nous voyant mettre à la voile, nous tira un coup de canon. Nous mîmes de nouveau en panne. Nous devions croire vraiment que nous n'arriverions jamais en France.

Le commandant du brick anglais nous déclara, après avoir vu les passe-ports de l'amiral Keith, qu'il nous avoit reconnus de très-loin, et que, eraignant que les barbaresques ne voulussent nous emmener, il avoit coulé bas un petit bâtiment français, pris par lui la veille, afin de venir à notre secours. Il avoit en outre hissé son plus grand pavillon à son plus grand mât, afin que, distinguant plus facilement ses couleurs, l'assurance d'un prompt secours nous donnât l'idée de nous défendre pendant quelques instans.

Autant la conduite de l'amiral Keith nous avoit révoltés, autant je dois rendre justice ici à la bonne intention de l'officier commandant le brick anglais.

Enfin, après tous ces délais, nous entrâmes dans la rade de Toulon, le 4 floréal an 8 (24 avril), ce qui faisoit pour moi une absence de deux années moins vingt-six jours,

Lorque nous fumes ancrés, on nous fit descendre au Lazareth. Nous y passâmes vingt-cinq jours, Pendant ce temps, qui nous parut encore bien long, › nous reçûmes beaucoup de visites et des lettres de nos parens,

Desaix en reçut une de Bonaparte. Elle l'attendrit vivement. Le premier consul y peignoit les chagrins qui entourent les grandes places, et l'engageoit à se rendre sur-le-champ près de lui. Desaix, séduit par le ton triste et touchant de cette lettre, nous dit : Il est couvert de gloire, et il n'est pas heureux. Puis, lisant dans les journaux la marche de l'armée de réserve, il s'écrioit. Il ne nous laissera rien à faire!

Le 29

floréal (19 mai), nous sortîmes de quaran taine. Le surlendemain nous étions à Marseille. Desaix en partit pour l'Italie, où, du sacrifice de sa vie, à Marengo, il scella la paix avec l'Autriche, Les voyageurs se dispersèrent tous.

J'arrivai en moins de huit jours à Paris, et j'eus

le bonheur de retrouver ma famille bien portante. On n'avoit cru mort, on m'avoit pleuré, on pleura de nouveau, mais ces larmes étoient douces ; c'étoient celles de la joie pure que cause la vue d'un enfant que l'on croyoit perdu pour toujours,

FIN DU TROISIÈME LIVRE,

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