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ci répliqua que les croisières anglaises avoient reçu commission de l'amiral Keith d'arrêter tous les bâtimens français revenant d'Egypte; que c'étoit à Livourne, auprès de cet amiral, qu'il alloit nous con duire, ce qui nous donneroit la facilité de nous expliquer avec lui. Dans notre malheur, et d'après cet avis, nous nous estimâmes encore fort heureux de ne point aller à Mahon, persuadé que l'amiral Keith traiteroit, avec tous les égards commandés par les convenances, le général Desaix rentrant en France en vertu d'une convention faite par lui-même avec la médiation du plénipotentiaire de Sa Majesté britannique.

Pendant toutes ces discussions, et qu'on nous amarinoit, la brume se dissipa, et nous découvrîmes les îles d'Hières à trois lieues devant nous. Nous pouvions même fort bien distinguer la Croix des Signaux. Cette action déloyale, cette violation évidente du droit des gens, nous exaspéra contre les Anglais; nous devions bientôt avoir plus sujet encore de nous en plaindre.

Dans trente-cinq heures nous fâmes à Livourne. Lorsque les Anglais, qui conduisoient et manoeuvroient notre bâtiment, nous eurent assuré que l'amiral Keith étoit encore dans le port, nous conçûmes un peu d'espoir, fondé sur la confiance que nous inspiroit son grade et les pouvoirs dont il étoit revêtu.

Nous mouillâmes au milieu de nos ennemis. La quantité de bâtimens marchands qui entroient et sortoient étoit inconcevable. Il arrivoit sûrement plus de cent voiles par jour au port de Livourne.

A peine mouillés, Desaix écrivit à l'amiral Keith. Il se passa trois jours sans qu'il reçût de réponse.

Pendant ce temps, la nouvelle de notre arrivée s'étoit répandue dans Livourne. La garnison en étoit autrichienne, et le nom de Desaix avoit signalé plusieurs combats sur les bords du Rhin. A ce nom craint, mais respecté, les officiers de la garnison autrichienne vinrent dans des barques, en grande tenue, s'informer de la santé du général Desaix; ils exprimèrent le regret qu'ils avoient de ne pouvoir communiquer avec lui, et lui offrirent néanmoins tout ce qui pourroit adoucir sa position désagréable. Cette conduite, qui contrastoit si fortement avec celle des Anglais, nous attendrit tous. Desaix remercia les officiers autrichiens avec cette dignité et cette douceur qui lui étoient naturelles. Les Autrichiens, après avoir également demandé des nouvelles du général Kleber, se retirèrent sans même nous parler des victoires nombreuses qu'ils avoient remportées sur nos armées en Italie.

Cette démarche décente, noble et franche étoit la critique de celle indigne de l'amiral Keith, qui poussa la sottise et l'orgueil jusqu'à nous faire ôter nos voiles et notre gouvernail, la plus grande humi

liation qu'on puisse faire subir à un bâtiment prisonnier.

L'amiral Keith mit à la voile pour se rendre sur les côtes de Gênes. Desaix étoit furieux de n'avoir point de réponse et de ne pas se voir traiter avec les égards, non-seulement dus à son rang, mais au nom distingué qu'il portoit. Dans une conversation qu'il eut à ce sujet avec le général Davoust, ce dernier lui suggéra de s'évader en Corse sur la chaloupe du bâtiment. Ce conseil étoit d'une exécution difficile ; mais il flattoit l'imagination de Desaix, et il se crut libre un moment. A une certaine heure de la nuit, nous devions surprendre les Anglais sur notre bord, les menacer de la mort, s'ils crioient, et les faire descendre à fond de cale; ensuite Desaix devoit s'embarquer sur la chaloupe, qui ne pouvoit contenir plus de neuf personnes, y compris six matelots pour ramer, et s'échapper ainsi. Quoique nous fussions au milieu des vaisseaux anglais, ils avoient encore la précaution superflue de faire faire des rondes continuelles autour de nous. Cet obstacle n'arrêtoit point Desaix, mais il ne pouvoit emmener tous ses aides-de-camp, et aucun ne vouloit rester. On lui représenta avec fermeté combien il nous exposoit aux mauvais traitemens des Anglais, surtout après avoir violenté ceux qui nous avoient amarinés. Notre position eût été très-critique, et ces différentes observations finirent par déterminer Desaix à aban¬

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donuer un projet qui l'avoit d'abord séduit, mais qui, de sang froid, étoit inexécutable.

Après le départ de l'amiral Keith, Desaix reçut une lettre de lui. Elle annonçoit que c'étoit d'après des ordres précis du cabinet de Saint-James que nous étions arrêtés ; qu'un courrier avoit été expédié à la cour de Londres, et qu'en attendant la réponse, nous ferions notre quarantaine à Livourne. L'amiral ajoutoit qu'il s'empresseroit de communiquer au général Desaix les instructions qu'il pourroit recevoir sur le sort des Français appartenant à l'armée d'Egypte.

Le lendemain nous fûmes débarqués au troisième Lazareth, où nous fûmes renfermés pendant vingtneuf jours. Le capitaine qui commandoit l'établissement, vint à la descente du général Desaix, lui apprendre que le consul anglais nous avoit accordé vingt sols par jour pour notre nourriture, sans distinction de grades, et conformément à notre système d'égalité.

Cette fois, Desaix se fâcha, et me chargea de répondre au capitaine du lazareth, qu'il eût à répéter au consul anglais « que sa proposition étoit de la » dernière insolence; què s'il avoit besoin d'argent, » nous lui en donnerions, et qu'il n'avoit qu'à s'oc» cuper seulement de la subsistance de nos soldats. » Il est difficile de mettre plus de recherche et de goût en fait d'humiliation.

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Quand nous fumes habitués à notre nouvelle demeure, nous cherchâmes à nous égayer. J'étois le plus jeune de la société : Desaix m'avoit, en route, nommé officier des signaux; au lazareth, il ne nomma Edile des jeux de la prison. Je fis donc reparoître tous les plaisirs du collége. Nous jouions au diable boîteux, à la poële, à la marenne, au loup, etc. Enfin, nous étions devenus de francs collégiens. Quelquefois nous faisions des siéges, et nous cassions nos portes et nos fenêtres. Desaix commandoit un corps et le général Davoust l'autre. Le soir, avant la nuit, on venoit nous enfermer dans nos chambres. Desaix avoit un cabinet pour lui seul, et nous étions dix dans les deux chambres voisines. Nos hamacs étoient par terre, et faisoient l'ornement de nos tristes appartemens. Souvent, avant de nous endormir, notre général faisoit éteindre toutes les lumières, et chacun devoit compter des histoires de voleurs et de revenans. Elles nous divertissoient beaucoup, et les plus horribles étoient les plus gaies. Quelquefois la conversation s'établissoit sur différens points de morale, d'histoire ou de physique, et Desaix nous prouvoit qu'il étoit aussi instruit que bon militaire.

C'est ainsi que nous cherchions à dissimuler l'ennui de notre captivité et l'impatience qui nous dévoroit.

Enfin, le vingt-neuvième jour de notre détention,

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