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Le 20 ventose (11 mars), nous fîmes notre route en laissant au nord sur notre droite les petites îles de Nausio ( Anaphe) et Santorini (Thera). La dernière n'est remarquable que par le voisinage d'une petite île qui, en 1707, s'éleva subitement du sein des eaux. Le vent du nord souffla dans cette journée avec une force qui nous obligea de naviguer sous nos basses voiles. Il falloit absolument marcher, autrement nous nous exposions à nous voir jetés sur les côtes de Candie, qui étoient sous le vent à nous. Tout étoit en désordre sur notre bord; Desaix dans des convulsions continuelles, ne pouvoit articuler un mot, et la plupart des passagers étoient dans un état de souffrance à leur faire desirer la mort. On résolut, au risque de sombrer, de forcer de voiles malgré la furcur du vent, pour nous éviter un naufrage évident sur les bords escarpés de Candie. C'est au milieu de ce trouble extrême, que des matelots vinrent déclarer une voie d'eau considérable : nous nous crûmes perdus. Nos poules, nos canards, plusieurs pièces de bois furent emportés par les vagues qui, à tout instant, balayoient le pont; mais ces pertes n'étoient rien à côté des dangers pressans qui nous menaçoient.

Après avoir passé une partie de la journée dans la plus cruelle alternative, la brume qui nous enveloppoit ne nous permettant point de reconnoître si nous avions, ou si nous n'avions pas monté l'île de

Candie, et la force de la tempête nous faisant craindre que notre bâtiment, battu par les flots, ne s'entrouvrît tout-à-coup, nous aperçûmes au vent à nous une autre île que nous reconnûmes pour celle de Cerigo (Cythera). A l'abri de ses terres, qui nous protégeoient du vent et de la mer, nous eûmes une navigation moins tourmentée. L'espérance revint avec le calme.

Cependant notre voie d'eau étoit alarmante; il falloit pomper sans cesse. Il devenoit indispensable de remédier promptement à cet accident, trop périlleux dans une traversée aussi longue que celle qui nous restoit encore à faire. Nous apercevions le cap Matapan, le mont Teget, toujours couvert de neige. Desaix étoit épuisé par les convulsions et les efforts continuels du mal de mer: on résolut de relâcher à Coronne. Nous entrâmes dans le golfe qui porte son nom, et à la vue de nos pavillons parlementaires, des barques se détachèrent pour nous reconnoître. Nous annonçâmes que la paix étoit faite entre le Grand-Seigneur et l'armée d'Egypte, et nous demandâmes la permission de descendre à terre pendant le peu de temps qu'on emploieroit à fermer notre voie d'eau. Les Grecs qui nous avoient interrogés allèrent immédiatement prendre les ordres du Bey..

Nous examinâmes la position de la ville; elle est forte, bien bâtie et entourée de bonnes murailles.

Trois cents Turcs l'avoient défendue contre deux mille Russes, qui ne purent la prendre.

Le lendemain, nous obtînmes la faveur de des. cendre; on nous donna trois janissaires pour empêcher les habitans de communiquer avec nous. Nous trouvâmes à terre M. Sauvaise, français, qui s'empressa d'offrir au général Desaix tout ce qui pourroit lui être agréable. Desaix demanda une salade de laitue; nous la dévorâmes.

Le 23, le Bey voulut nous voir. L'entrevue se fit sur le bord de la mer. Mustapha étoit âgé; il portoit un costume très-riche: Desaix et lui s'entretinrent pendant quelques momens de la paix, de la guerre, et exprimèrent également le desir de voir l'ancienne intelligence rétablie entre les Turcs et les Français.

Le 25 ventose (16 mars), après avoir renouvelé nos provisions, nous prîmes congé du Bey. Les Grecs nous avoient vendu différentes marchandises, et dans plusieurs sacs remplis d'amandes, ils y avoient déposé des quartiers de boulets de fonte pour augmenter le poids. Les Grecs !......

Nous mêmes la proue sur Malte. Dans cette même journée, notre commis aux vivres, malade, mourut, et nous le jetâmes à la mer avec ses matelas, sa couverture et ses habits. Il n'avoit heureusement point la peste.

Le vent nous favorisoit. Nous avions déjà monté

l'île de Malte, que nous n'avions cependant point aperçue, lorsque le vent sauta à l'ouest, et s'éleva avec une telle force, que, pour ne point perdre le chemin que nous avions déjà fait, nous fumes obligés de mettre à la cape. Nous restâmes dans cette position pendant deux jours entiers. Ce que souffroient les passagers est inexprimable. Le troisième jour, nous reconnûmes les côtes de la Sicile, funestes à ces français malheureux, qui, croyant y trouver l'hospitalité et des secours, n'y reçurent que la mort. Desaix étoit accablé ; un peu roit soulagé : l'homme de confiance de M. Hamelin, embarqué sur notre bord, avoit, disoit-il, des amis à Sciacca, petite ville sur la côte méridionale ; nous y trouverions une rade et des rafraîchissemens; il proposa d'aller y mouiller. J'avoue que l'exemple

de repos

l'au

récent de la fin abominable de l'ordonnateur Sucy, me faisoit redouter un semblable mouillage; mais la majorité l'emporta sur moi, et l'on se moqua de

mes terreurs.

A peine avions-nous jeté l'ancre devant la ville de Sciacca, que les batteries tirèrent sur nous à boulet, quoiqu'ils dussent distinguer facilement nos pavillons parlementaires. Ce début promettoit, et tout en redoutant les effets de la mauvaise humeur des Siciliens à la simple vue de nos trois couleurs, j'éprouvai intérieurement un certain contentement de voir que les habitans de Sciacca paroissoient vou

loir réaliser mes soupçons. Les sentimens de l'homme sont quelquefois bien bizarres.

On s'empressa sur les deux bords de mettre les canots à la mer, et de les envoyer à terre. Le capitaine Ragusais revint ensuite nous annoncer qu'il avoit été reçu à merveille, qu'il avoit laissé à terre l'homme de confiance d'Hamelin, pour faire des provisions fraîches, et que nous aurions bientôt tout ce que pouvoient desirer des estomacs délabrés et fatigués. On se moqua encore de moi.

Vers les trois heures après midi, Hamelin, ne voyant point revenir le second canot, qui étoit à terre depuis le matin, voulut aller lui-même s'informer de ce qui pouvoit le retenir; je m'embarquai avec lui pour la curiosité de connoître Sciacca, et pour la satisfaction de pouvoir dire : « J'ai été en >> Sicile. »

Nous arrivâmes près d'un mauvais môle, qui se prolongeoit dans le port; il étoit couvert de sentinelles, ressemblans par leur costume et leurs figu res à ces brigands, dont les romans de madame Radclife nous ont si bien dépeint les forfaits et l'esprit vindicatif. Le peuple étoit monté sur les toits des maisons et couvroit le rivage. De loin nous n'avions supposé d'autres motifs à ce rassemblement que la nouveauté de la circonstance.

Lorsque nous abordâmes, un caporal, Te plus affreux de tous les caporaux du monde, nous cria

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