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notre grand étonnement, la révolution du 18 brumaire.

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Bonaparte, en renversant le directoire, avoit justifié les craintes trop fondées que ces foibles tarques avoient conçues de sa gloire naissante et de sa faveur populaire. La constitution française, idole prostituée à laquelle on renouveloit sans cesse des sermens frivoles, venoit d'être assise sur de nouvelles bases invariables, qu'un simple caprice devoit bientôt changer. Nous avions trois consuls, un sénat, un tribunat, un corps-législatif..... La France croyoit, en sortant de l'anarchie, toucher enfin au terme après lequel elle couroit vainement depuis si long-temps. Le général Berthier étoit ministre de la guerre, et je vis avec ravissement que mon frère, dont j'ignorois la destinée depuis deux ans, avoit été appelé de Hollande à Paris, et qu'il étoit secrétaire-général du ministère de la guerre. Dans les grands changemens, les hommes sont bien aises de trouver quelques circonstances flatteuses pour leurs intérêts particuliers. Je trouvai donc admirables les événemens qu'on nous racontoit.

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Bonaparte, dès le commencement de son consulat, s'occupoit tout-à-la-fois et de fermer les plaies encore saignantes de nos divisions intestines, et de rappeler la victoire sous les drapeaux de nos armées, repoussées sur presque tous les points. Son retour en France ne nous surprit pas moins qu'il n'avoit

surpris l'Europe et contrarié les Anglais. Nous en recevions les premiers bienfaits, puisque, à peine à la tête du gouvernement, Bonaparte vouloit rassurer l'armée d'Egypte et lui envoyer des renforts. En effet, le colonel Latour nous annonça qu'il se préparoit une expédition maritime (1).

Des nouvelles aussi agréables m'auroient causé un sommeil bien paisible, si les insectes, dévorant sur les champs d'Aboukir les cadavres desséchés des Ottomans, ne m'eussent réveillé plusieurs fois. Le soleil levé, je parcourus la presqu'île; je revis les positions des deux armées. Celle des Turcs sembloit imprenable. La redoute derrière leur retranchement existoit encore ; c'est sur cette même redoute que le général Murat fut blessé à la joue, lorsqu'il l'escalada à la tête de sa cavalerie. Tout étoit conservé comme le jour du combat, et l'œil, autour du village, en avant des fossés, près du fort, ne rencontroit que des membres dispersés. Ici je voyois un bras qui sortoit de terre; là, des pieds, des têtes, des jambes au milieu d'une quantité de robes longues, de gibernes, de fusils, de sabres rouillés, de

(1) Jamais Bonaparte n'a renoncé à l'espoir chimérique de conserver l'Egypte, et je n'en veux pour preuve que l'article 7 du traité secret de Tilsitt qui lui en garantissoit la possession.

On verra, dans l'Appendice, à quoi aboutit cette seconde expédition maritime.

turbans et de dépouilles de toute espèce. Les rivages de la mér étoient surtout remarquables par la quantité incalculable d'ossemens qu'elle avoit repoussés. Images de la destruction, que de pensées elles faisoient naître ! Rives malheureuses! flotte infortunée de Bruies! journée éclatante du 7 thermidor! Aboukir! ton nom est gravé dans l'avenir. Si tes bords ont reçu les débris de nos vaisseaux, ils sont cachés par les restes desséchés des Ottomans. Hélas! leurs manes irrités devoient être bientôt vengés sur cette même presqu'île arrosée de tant de sang (1). Je quittai avec plaisir ce séjour trop fameux.

Nous partîmes d'Aboukir le soir; en peu d'heures nous arrivâmes à Alexandrie. Le Thésée ne paroissoit plus, mais il ne tarda pas à revenir, et ce fut pour remettre le blocus.

Desaix voulut profiter du temps calme qui permettoit un passage facile au boghaze du port d'Alexandrie; et le 12 ventose ( 3 mars), au lever de l'aurore, le brick marchand ragusais, la SantaMaria delle Grazie et l'aviso l'Etoile, mirent à la voile. Sur le premier j'étois embarqué avec le général Desaix et ses aides-de-camp MM. Savary, Rapp et Clément.

L'aviso l'Etoile, commandé par le capitaine Rous

(1) Bataille du 21 mars 1801.

tan, nous suivoit en parlementaire, et portoit le général Davoust. Des pilotes turcs nous guidèrent à la passe, et bientôt déployant nos voiles au vent, nous filâmes au large.

Adieu l'Egypte! adieu Musulmans! Nous emportons de votre pays, avec le souvenir durable des superbes monumens qui le décorent, le souvenir pénible de vos déserts, de vos tristes cabanes, souvenir, auquel se rattache celui des douleurs, des privations qui nous ont fait payer si cher, la gloire d'avoir troublé votre repos, ensanglanté vos rivages.

Français! dont les manes reposent aux plaines d'Embabé, de Salêhiéh, de Sédiman, sous les murs renversés de Saint-Jean-d'Acre, vous êtes morts pour vos parens, pour vos amis....... ; vous vivrez dans les fastes de notre histoire. La France qui dut à votre valeur la grandeur de ses succès, pourroitelle oublier jamais que c'est du sacrifice de votre vie que vous avez payé l'éclat dont brillèrent ses armes!

Le vent de l'ouest souffloit avec force. Le 16 venlose (7 mars), nous aperçûmes des terres à notre avant. Tout nous faisoit croire qu'elles étoient l'île de Candie; nous fimes en vain des efforts pour la doubler, et le 18 (9 mars) nous reconnûmes une erreur qui ne pouvoit s'expliquer que par la rapidité des courans et la petitesse de nos bâtimens qui tenoient peu la mer. Les nouvelles terres que nous apercevions à notre réveil étoient l'île de Rhodes.

Quelle dérive considérable nous avions faite! Elle nous parut inconcevabie. C'est peut-être à cette marche surprenante et involontaire, que nous devons de n'avoir point rencontré les vaisseaux anglais qui apportoient l'ordre de l'amiral Keith de rétablir la croisière avec une nouvelle rigueur, et de recommencer les hostilités.

Nous passâmes devaut la ville de Rhodes; on distinguoit facilement la tour et le palais que les chevaliers de Malte occupoient autrefois, et qu'ils défendirent contre Soliman, ainsi que les deux môles sur lesquels s'appuyoit sans doute le colosse si célèbre de l'antiquité.

Nous tournâmes l'île, qui, à vue d'œil, a seize lieues de long et six de large.

Près des îles de Carchi et de Piscopi, nous fumes surpris par un calme inquiétant. L'horizon étoit obscurci; des nuages noirs sembloient nous fermer le passage entre ces deux îles, des éclairs se dessinoient rapidement sur ce fond rembruni. Ces parages sont très-dangereux; de tous côtés l'on ne voit que des rochers escarpés; ceux qui bordent la côte méridionale de la Natolie, n'offrent que des brisans affreux.aux vaisseaux battus par la tempête. Nous ne fîmes pas une lieue dans toute la nuit, qui, trompant nos alarmes, se passa fort tranquillement. Le vent s'éleva avec l'aurore, et nous dépassâmes les deux îles de Carchi et de Piscopi.

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