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même en marchant nous dormions. Je tombai deur! fois de cheval, et fus contraint de faire route à pied, pour éviter l'inconvénient de m'assoupir. Tout le monde eût acheté bien cher la faveur de se reposer quelques heures; mais l'armée n'avoit plus de vivres, et il falloit arriver à Jaffa.

C'est dans cette journée que nous commençâmes à incendier les villages et les moissons. Les habitans de ces cantons avoient commis de fréquens assassinats, avoient attaqué et surpris plusieurs de nos convois. Bonaparte crut devoir les punir. On peut supposer qu'il voulut probablement encore, mettre l'ennemi dans l'impossibilité de nous suivre, et le priver des ressources nécessaires pour tenter une incursion en Egypte. Ainsi, loin de leur laisser, comme les Turcs l'avoient fait si heureusement pour nous, des magasins bien approvisionnés, il mettoit le pays hors d'état de recueillir pour cette saison les riches produits de son territoire. Mais cette résolution dévastatrice n'avoit-elle point d'autres motifs? N'en trouveroit-on pas dans la mauvaise humeur que causoit un revers inattendu? Dans le mépris que quelques peuples, particulièrement les Nablouzins, avoient montré, pour des proclamations qu'on croyoit séduisantes? Enfin, dans le peu d'effet qu'avoit produit sur cette nation presque barbare, un nom déjà fameux en Europe? Le vent portoit la flamme jusques dans les montagnes; elle menaçoit les villages d'un incendie affreux, et

la terre, couverte de cendres, n'offroit plus que l'image de la désolation. Tandis que les bestiaux fuyoient en mugissant, les habitans effrayés, la rage dans le cœur, contemploient, sans pouvoir les arrêter, les désastres qui signaloient notre passage.

L'armée arrivée le 6 (25 mai) devant Jaffa, campa dans les jardins, et la cavalerie prit position à une demi-lieue, sur les bords d'un ravin et observant les montagnes de Nablous.

Les Arabes et les Nablouzins qui nous suivoient dans notre retraite, vinrent attaquer le général Murat, qui les dégoûta d'une seconde tentative.

L'armée séjourna à Jaffa les 6, 7 et 8 prairial (25, 26 et 27 mai).

Pendant ce séjour, on distribua à la troupe tout ee que renfermoient les magasins; il y avoit du tabac et du savon. On fit sauter les fortifications.

Voici une autre anecdote sur la peste; elle est également caractéristique.

Parmi les officiers de santé employés à l'hôpital de Jaffa, un chirurgien de troisième classe se trouva éprouver un mal-aise, qu'il crut être un symptôme de la peste. Le chirurgien en chef de l'hôpital lui conseilla de faire un grand exercice, pour obtenir: une forte transpiration, ou d'atteindre le même résultat, en buvant des liqueurs échauffantes et en se couvrant soigneusement dans son lit. Le malade prit ce dernier parti, parce qu'il lui sembla le plus com-. mode et le plus favorable à l'engourdissement qu'il

ressentoit. Les infirmiers, instruits de l'événement; regardant le chirurgien comme mort, puisqu'il avoit la peste, forcèrent la porte de sa chambre, soulevèrent sa tête et son oreiller, et lui prirent dessous sa montre et son argent. Mais soit que la crise fût moins forte, que le tempérament protégeât ce jeune homme, ou que l'abondante transpiration le sauvât, il ne mourut point, et rendit compte de ce qu'il avoit éprouvé lorsque les infirmiers, qu'il reconnut fort bien, étoient venus le voler. Il lui sembloit, au moment même où jouissant encore de toute sa connoissance, on lui déroboit ses foibles richesses, que le suprême bonheur étoit de rester dans l'état d'apathie où il se trouvoit ; ouvrir la bouche, prononcer un mot, tourner la tête, étoient des choses trop pénibles et trop fatigantes, et il lui parut préférable de se laisser voler paisiblement, à se donner le moindre mouvement pour l'empêcher.

Le 9 prairial (28 mai ) l'armée se mit en marche, la division Régnier formant la colonne de gauche, les divisions Bon et Lannes marchant au centre. Kleber faisoit l'arrière-garde.

De Jaffa, la cavalerie marcha le long des dunes, ramassant tous les bestiaux que nous rencontrions, ce qui fit que dans cette route nous eûmes toujours abondamment de la viande fraîche; les autres divisions, sur notre gauche, achevoient d'incendier les villages et les moissons. La Palestine étoit en feu. Quel fatal souvenir nous avons dû laisser à ce pays!

Le 11 (30 mai) nous arrivâmes à Ghazah, qui fut respecté; on fit seulement sauter le fort.

La cavalérie reçut ici l'ordre de passer la première le désert.

Je ne répéterai pas les nouvelles souffrances que nous eûmes à supporter pendant cette séconde traversée. Elles furent moindres cependant qu'au premier voyage, parce que nous trouvâmes sur notre route des magasins bien approvisionnés.

C'est avec plaisir que je me vois arrivé à la fin du récit de cette expédition. Le lecteur sera, comme moi, fatigué des images tristes que j'ai dû retracer. C'est la mort, toujours la mort, sous des aspects divers. A chaque instant nous avons eu à regretter des héros, ou à gémir sur les malheurs d'une guerre faite contre des barbares. Par-tout des obstacles sans nombre et des dangers nouveaux.

Il me semble à cette partie de mes mémoires, que je n'ai plus que des choses riantes à écrire, et je ressens, en pensant à mon retour en Egypte cette douce consolation que j'éprouvai effectivement lorsque je rentrai au Caire. L'Egypte, depuis la campagne pénible que nous venions de faire, étoit devenue pour nous une seconde patrie; nous devions y trouver des douceurs, que des privations constantes rendoient inappréciables...., la tranquillité, une résidence dans une grande ville, le plaisir de la table, la jouissance de coucher dans un lit,

et par-dessus tout, celle de revoir nos camarades. Le Caire nous parut embelli, c'est-à-dire qu'il s'y étoit formé, pendant notre absence, des établissemens de tous genres, des restaurateurs, une tannerie, une boutique où l'on vendoit des sirops; des tailleurs, des bottiers, des chapeliers, enfin tout ce qui nous devenoit nécessaire.

Avant de faire son entrée au Caire, Bonaparte fit rassembler toute l'armée, le 26 prairial (14 juin) devant Lacoubé. Elle se rangea sur une seule ligne, dont la force dut étonner les habitans de la ville, qui s'at tendoient sûrement, d'après les bruits qu'on avoit répandus, à voir le général en chef revenir sans troupes.

Voilà le précis des principaux événemens de l'expédition en Syrie, je ne crois pas qu'aucun fait intéressant me soit échappé, et j'aurai rempli mon but si le lecteur s'est cru un moment au milieu de nos bataillons, marchant avec nous, partageant nos souffrances et nos privations.

FIN DU DEUXIÈME LIVRE,

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