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L'armée vêtue d'une simple toile bleue, fort convenable au climat sec et brûlant de l'Egypte, souffrit étonnamment des pluies abondantes qui tombèrent dès ses premiers pas en Syrie. La fraîcheur de la terre et l'humidité des nuits rendoit le sommeil dangereux; les insectes même troubloient le peu de repos que goûtoient nos soldats, obligés de passer une partie de la nuit à se chauffer, pour sécher leurs vêtemens.

C'est dans cet état que l'armée arriva devant Jaffa.

Jaffa fut pris en quatre jours; il étoit difficile de mettre moins de temps à s'en emparer. La ville fut pillée et nos troupes victorieuses se couvrirent, ainsi qu'en Egypte, des dépouilles de leurs ennemis. Mais la peste régnoit déjà dans Jaffa, et la garnison nous laissa en héritage cette affreuse épidémie qui vint se mêler à nos trophées.

Maîtres de Jaffa, nous emportâmes, avec l'espoir de réduire rapidement Saint-Jean d'Acre, les principes du fléau qui germèrent pendant notre route, et se développèrent avec plus de force devant cette dernière place.

Si, dans le commencement du siége, le pain étoit bon, il n'y avoit point de viande, et le soldat ne mangeoit avec sa ration que le peu de figues sèches ou de fromage qu'il pouvoit acheter. L'eau que nous buvions dans le Kerdané n'étoit pas très-bonne,

elle étoit légèrement saumâtre et fade; elle se corrompoit sans doute dans le terrain marécageux qu' 'elle parcouroit avant de venir à son embouchure. Vers la fin du siége, les ressources de Caïffa et de Nazareth épuisées, l'on recourut aux magasins de Tabarié ils étoient remplis de doura et de sesame (sesamum orientale). Ces grains faisoient un pain pâtcux, et qui filoit sous la dent comme une colle épaisse. Cette nourriture n'étoit point saine; elle étoit cependant la seule pour les généraux comme pour les soldats.

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Le mal-être de notre position s'accroissoit ainsi de toutes les privations qué nous étions contraints de supporter. On sait qu'en Europe, à l'armée, dans de certains pays, le soldat est peu scrupuleux sur les moyens de se procurer ce dont il manque. N'a-t-il plus de souliers? Il sait très-bien obliger un paysan à lui céder les siens. A-t-il faim? il ne craint pas de s'écarter de la colonne pour aller chercher des vivres. Ici de semblables ressources étoient trop périlleuses. Aussi ai-je dit plus haut que l'expédition au pont d'Iacoub étoit véritablement une bonne fortune. Cependant, au milieu de toutes leurs souffrances, les soldats étoient soutenus par l'espoir de prendre Saint-Jean-d'Acre et de s'y dédommager amplement des jeunes forcés de la campagne. Ils firent devant cette place, dans le courant du siége les efforts les plus extraordinaires; j'en ai vu qui,

blessés aux premières attaques, retournoient au feu, après s'être fait panser. Mais à la fin, épuisés par le besoin et les fatigues, la plupart ne se battoient plus avec cette ardeur qui prévient les ordres même du chef. Le vide qui se découvroit chaque jour dans les rangs, les faisoit réfléchir, et l'on sait qu'il ne faut pas laisser au soldat le temps de la réflexion.) La puanteur qui régnoit dans la tranchée ne contribua pas peu à enraciner la peste parmi nous. La garde dans les boyaux ne pouvoit s'asseoir ou marcher que sur des cadavres. Outre ces inconvé piens majeurs, la plaine d'Acre n'est point salubre, et le matin surtout elle étoit couverte de vapeurs malignes que l'armée respiroit continuellement,

La peste fit donc des ravages affreux parmi nous elle n'épargna aucune classe. Des généraux, des officiers, des commissaires des guerres, des employés en grand nombre en furent attaqués et y succombèrent.

Les coups de feu devenoient extrêmement dangereux à cause de l'insalubrité de l'air. Le tétanos suivoit souvent l'amputation, et le blessé mouroit au bout de deux ou trois fois vingt-quatre heures. d

A la fin de ce siége désastreux, en passant dans les rues du camp, on pouvoit facilement observer combien chaque division s'éclaircissoit par les pertes fréquentes qu'elle faisoit.

Il étoit temps de se retirer; un plus long séjour

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devant Acre nous eût peut-être mis dans l'impossibilité de repasser le désert. Des rassemblemens nombreux se formoient de nouveau dans les montagnes, car nous n'avions point, au mont Thabor, détruit l'armée de Damas et les habitans de Nablous; nous les avions seulement dispersés.

L'armée affoiblie regrettoit à chaque instant quelques-uns de ses officiers les plus distingués. Bonaparte avoit trois de ses aides-de-camp hors de combat (1); le génie avoit particulièrement souffert, et le nombre des officiers de ce corps qui revinrent en Egypte fut peu considérable.

Notre petite armée avoit eu à remplir sans cesse la tâche pénible de suivre un siége opiniâtre, de parcourir les montagnes pour repousser les troupes qui s'approchoient, de supporter toutes les privations imaginables, et de lutter contre un ennemi bien plus dangereux, puisque la valeur ne pouvoit l'en défendre. Les Français seuls étoient dans le cas de ne pas succomber à tant de maux. Traverser des déserts mouvans, endurer la soif, la faim, et, cé qui est plus terrible peut-être, le besoin du sommeil, souffrir courageusement l'absence de ce qui fait aimer la vie, voilà ce qu'ils faisoient journelle

ment.

(1) MM. Duroc, Eugène Beauharnais et Croisier. Ce dernier est mort dans la traversée du désert.

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EXPEDITION EN SYRIE.

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Quoique Bonaparte, dans sa lettre au Directoire en date du 21 floréal (10 mai), n'évalue la perte de l'armée durant l'expédition, qu'à cinq cents hommes tués et mille blessés, le lecteur a pu s'assurer que le siége de Saint-Jean d'Acre a dû à lui seul coûter plus de monde, indépendamment des pertes occasionnées par la peste, et que le général Berthier élève jusqu'à sept cents hommes. Ce calcul est loin d'être exagéré. Le général en chef mande également au Directoire que l'ennemi a perdu plus de quinze mille hommes, et le général Berthier n'en porte le nombre qu'à sept mille, ce total me paroît plus exact que le premier.

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Voici les motifs que Bonaparte met en avant pour expliquer la levée du siége et son retour en Egypte, Aujourdui 21 floréal (10 mai), nous sommes » maîtres des principaux points du rempart. L'en>>> nemi a fait une seconde enceinte, ayant pour point » d'appui le château de Djezzar.

>> Il nous resterait à cheminer dans la ville; il >> faudroit ouvrir la tranchée devant chaque maison, >> et perdre plus de monde que je ne le veux faire. » La saison d'ailleurs est trop avancée; le but » que je m'étois proposé se trouve rempli; l'Egypte » m'appelle.

» Je fais placer une batterie de vingt-quatre pour » raser le palais de Djezzar, et les principaux mo» numens de la ville; je fais jeter un millier de bom

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