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A peine la nouvelle du départ de Bernadotte fut-elle connue à Paris, que le Directoire, qui craignoit qu'il n'entraînât de nouvelles hostilités, sentit tout le besoin dont Bonaparte pouvoit lui être, et se jeta aussitôt à sa tête (1). Un arrêté pris spontanément remit à ce général les pouvoirs les plus étendus, et le chargea du soin de tout réparer.

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Bonaparte, content de lui-même et de sa position, se plaignit des fautes de Bernadotte: «Voyez, dit-il ce qu'elles nous coû» tent, il faut renoncer à la plus grande expédition que j'aie jamais méditée, pour » retourner à Rastadt (2), et abandonner >> des plans dont l'exécution pouvoit changer » tous les rapports politiques de l'Europe ». Mais à travers ce vain ressentiment, il étoit facile de démêler qu'une satisfaction réelle l'emportoit sur les regrets qu'il manifestoit. En effet, le Directoire en le chargeant des négociations que l'événement de Vienne

(1) Bonaparte devoit partir dans la nuit du 3 floréal, pour Toulon.

(2) En effet, ce nouveau départ fut annoncé pour le 6 floréal (25 avril).

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alloit ouvrir, le replaçoit positivement dans la position où il desiroit se trouver. Le sort de la France et de son gouvernement étoit encore une fois remis entre ses mains. Arbitre de la paix ou de la guerre, il commandoit l'une ou faisoit l'autre, suivant que ses rapports avec le Directoire lui rendoient l'une ou l'autre nécessaire. Enfin, vainqueur de nouveau ou pacificateur adoré, il revenoit à Paris avec une puissance accrue de tout ce que ces deux titres lui auroient donné de force, et il exécutoit alors ce qu'il fit depuis au 18 brumaire.

Mais soit qu'il ne cachât pas avec assez de soin ses projets et ses espérances, soit que la pusillanime prudence du Directoire eût entrevu une partie des dangers, soit enfin que la lettre écrite par Bonaparte à M. de Cobentzel (1), l'eût suffisamment

(1) Cette lettre fut écrite sans l'aveu du Directoire. Elle parloit très-peu de l'affaire de Bernadotte, mais beaucoup d'un changement politique qui pût terminer les difficultés que le traité de Campo-Formio avoit fait naître ou n'avoit point résolues. Cobentzel joué par Thugut, ne vint que sur cette lettre, il la crut la véritable base des négociations qu'il devoit discuter avec François de Neufchâteau, et fut fort surpris de

éclairé sur le rôle qu'il vouloit jouer, le
gouvernement revint sur ses pas, et il fut

décidé
à Rastadt,
que Bonaparte n'iroit pas
et que François de Neufchâteau, qui devoit
sortir par le sort au tirage de prairial, se-
roit chargé des négociations. Barras fut dé-
signé pour faire part à Bonaparte de cette
dernière résolution, et la manière dont il
s'acquitta de cette commission est sans doute
cause de la haine que Bonaparte conçut
contre lui.

Quoi qu'il en soit des détails de l'entrevue de Barras avec Bonaparte, voici du moins ce qui se passa ostensiblement.

Le soir du 16 floréal, Bonaparte ne s'oc• cupoit encore que de son voyage à Rastadt; le projet de l'expédition étoit tout à fait

voir qu'elle n'étoit pas connue de ce dernier. La répa-
ration demandée pour l'injure faite à Bernadotte,
n'étoit qu'un prétexte, et c'est à la faveur de ce pré-
texte même qu'on vouloit consolider la paix. Thugut,
qui prévoyoit quelle seroit la conduite du Directoire,
laissa volontiers à Cobentzel une commission dont l'is-
sue ne pouvoit être que honteuse pour son rival,
et le
temps prouva qu'il avoit calculé juste.

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oublié; il parloit même de la manière de vivre qu'il adopteroit à son retour, lorsque Barras entra, l'air extraordinairement sombre; il prend très-peu de part à la conversation du salon, et passe après quelques instans de silence dans un cabinet voisin, avec Bonaparte. L'entretien dura un quart d'heure. Barras sortit, et quitta la société. sans échanger à peine deux paroles avec madame Bonaparte.Bonaparte reparoît après lui, ne dit rien à personne, et se retire de nouveau dans son cabinet, dont il ferme brusquement la porte. Dans la nuit il partit pour Toulon.

Cette anecdote semble tout expliquer, et l'on ne voit plus alors, dans l'expédition d'Egypte, si malheureuse par ses résultats, si funeste par le coup mortel qu'elle devoit porter à notre marine et à notre commerce, qu'une nouvelle preuve des maux incalculables qu'attirent sur les Empires, les haines et les préventions exagérées de ceux que le hasard ou une fatale célébrité a placés à leur tête.

Au surplus, Bonaparte auquel il ne restoit peut-être que l'alternative d'exécuter

cette chevaleresque entreprise ou d'être perdu tout à fait, ne se dissimula pas le danger qu'il alloit courir; il se flattoit cependant que des démarches faites à Constantinople en écarteroient une partie, et que l'on parviendroit à faire consentir la Porte à cette invasion. C'étoit sans doute une grossière erreur, et l'on ne peut croire que M. de Taleyrand, qui rassuroit plus que personne Bonaparte sur ce point, la partageât sincèrement. Cependant, comme Bonaparte veut toujours que les hommes s'engagent personnellement, et comme il a toujours cherché dans les périls qu'il fit courir aux autres avec lui, une garantie contre l'abandon où la perfidie des conseils (1), il n'avoit pas oublié d'exiger que M. de Taleyrand se rendroit à Constantinople, et il partit convaincu que celui-ci y seroit avant que lui-même fût arrivé en Egypte; mais il avoit affaire à un homme trop habile; M. de Taleyrand le laissa partir, et prévoyant d'avance les suites de cette expédition, il resta

(1) Il emmena, avec lui, en Egypte, le jeune Merlin, fils du président du Directoire.

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