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déplorables; on écrivoit malgré les ceps qui enchaînoient la pensée. On continuoit de faire des journaux, des vers, des drames, des romans et même de gros livres; mais les gros livres étoient également étrangers à la morale et à la politique; les romans étoient sans imagination, les drames sans couleur, les vers sans poésie, les journaux sans esprit.

Les journalistes frappés du double timbre de la poste et de la peur, étoient couchés ventre à terre devant l'autorité suprême qui les méprisoit autant depuis le 18 fructidor, qu'elle les avoit redoutés auparavant.

Exceptons pourtant de la sévérité de cet arrêt le Censeur-Dramatique par M. Grimod de la Reynière, qui continua d'écrire après le 18 avec le même courage, le même esprit et la même décence..... L'existence de cette feuille quoiqu'étrangère à la politique contrastoit trop évidemment avec tout ce qui existoit alors, pour ne pas choquer l'œil du despote.

C'étoit une espèce de monument antique qui s'élèyoit au milieu des ruines générales, Un ordre émané du Luxembourg le 22 pluviose an V, vint le renverser à côté des

autres.

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Les poëtes réduits à mettre en vers la prose de La Reveillère, ou les amours de Mde. Angot, se tourmentoient le corps et l'ame pour éviter une allusion, pour , pour chanter nos victoires, et pour obtenir une lecture au lycée, ou une place à l'Institut.

Le théâtre français étoit descendu tout entier chez Nicolet. Au lieu de Racine et de Molière, on ne connoissoit plus à Paris que les CC. Luce et Picard; au lieu de Merope, de Phèdre et du Tartuffe, on jouoit les Pénitens Noirs, le Moine, le Fat intrigant, les Funérailles de Hoche, Themistocle et Falkland, chefs-d'oeuvres de nos modernes Pradons; monumens passagers de platitude et de mauvais goût. Tout cela est oublié aujourd'hui.

Pour ne pas exposer leurs feuilles légères aux caprices des vents, nos jeunes poëtes mettoient leurs talens en société ; il en résultoit des recueils décadaires sous le nom de Décades philosophiques, de Mercures, de Veillées des Muses, etc... dans lesquels on trouvoit de tout, excepté du goût; malgré l'hommage que lui rendoit le cit. Vigée

dans ces vers:

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Le goût don précieux que l'esprit peut sentir,
Et que le vers jamais n'a bien su définir.

Tu m'en offres l'image, aimable sensitive,
Lorsque te recueillant dans ta feuille craintive,
Et dérobant ton sein à mon œil abusé,

Tu fuis soudain le doigt qui sur toi s'est posé.

Veillées des Muses, No. 3.

C'étoit dans ces reçueils innocens qu'on voyoit le citoyen Davrigni, emporté par son génie, saisir la lire de Pindare et chanter ainsi l'expédition d'Angleterre :

Tel qu'un pic élancé des cavernes profondes,
Dont l'éternel sommet soutient le poids des ondes
Au bruit des flots grondans se dresse dans les airs,
Monte, grandit, étend l'orgueil de ses rivages,
Et debout sur les eaux, le front ceint de nuages
Voit mourir à ses pieds le vain courroux des mers.
Tel l'Hercule français.

C'étoit-là qu'on entendoit une jeune veuve s'écrier d'un style plus grivois que plaintif ;

D'un époux que j'aimois, mort à la fleur de l'âge,
Mon cœur déploroit le trépas,

Et sous les crêpes du véuvage,
J'ensevelissois mes appas.

Que voulez-vous ? c'étoit une rage que celle des vers. Tous les jeunes gens qui ne se battoient pas contre les Autrichiens, vouloient à tout prix faire leur cour aux muses. Ils chantoient tantôt les faveurs imaginaires de leurs tendres Aspasies, tantôt les bontés

réelles de leurs Mecénes. On les voyoit passer rapidement du collège à la cour de François (de Neufchâteau), et de la cour au lycée.

Il y avoit 25 ou 26 bureaux d'esprits établis à Paris sous le nom de lycées, dans ce tems où il étoit défendu sous peine de mort, 'd'avoir d'autre esprit que celui du Luxem bourg.

Mais en récompense, il étoit permis au grand Legouvé d'élever aux nues le grand Arnaud; et à l'auteur de Falkland, de mettre celui de Marius au-dessus de tous les poëtes anciens et modernes.

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Peut-être à tant d'orgueil, convenoit-il 'd'unir un peu d'indulgence pour les autres; mais le génie ne sait pas s'assujétir aux calculs de la prudence.

Les pigmées fâchés de se voir exclus par les géants, et du sanctuaire des muses et de la table des dieux, s'en vengèrent par

ces vers connus.

S'il n'étoient qu'entêtés, impérieux et tristes,
Détracteurs indiscrets ou faux panégiristes.
Passe encore! mais j'ai su mieux connoître mes gens ;
Je tolère les sots, et poursuis les méchans,

Et l'on sait s'il le sont égoïstes suprêmes ;

eur dieu, c'est l'intérêt, ils n'aiment rien qu'eux-mêmes,

Echauffer un succès, en refroidir un autre,
Selon leurs passions, leur but et leurs desirs;
Voilà leur douce étude et leurs nobles plaisirs.
Ce trafic effronté de louange et de blâme

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De tous temps, j'en conviens a révolté mon ame.
Les prôneurs.

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Je ne fais point d'application ; je ne désigne personne; mais tel étoit en général l'esprit de ces cotteries, moitié politiques, moitié littéraires, composées de demi poëtes, de demi orateurs, de demi philosophes, qu'après y avoir jargonné sur les arts, on finissoit par y tyranniser les opinions, on n'y juroit que par tel ou tel maître. Il falloit se prosterner devant l'idole du jour ou se voir écraser par ses adorateurs.....Telle étoit l'ordre émané du Luxembourg, telle la règle suivie dans ces lycées.

Je sors du lycée des étrangers, me disoit un jour le malin Dancourt, et je ne reviens pas de ma surprise; j'ai vu réunis dans le même local les hommes les moins faits pour aller ensemble; BrousseDesfaucherets étoit assis à côté de Chénier, et Maimieux causoit tranquillement avec la Chabeaussière, etc....

Tant mieux, lui dis-je, ces rappro

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