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n'apperçut plus que des cabales, des jalousies, des ressentimens et des fureurs. Au bout de deux mois, il étoit sur une mer inconnue, tempêtueuse, sans fonds et sans bords. Déjà il ne doutoit plus de son naufrage. Le 18 fructidor sillonne la nue, le frappe et le submerge.... à l'image triomphale de Henri IV succédèrent les cyprès de Louis XVI.

Vers les cinq heures, le bruit se répandit dans la ville que le faubourg Saint-Antoine marchoit en armes vers le Luxembourg.

Etoit-ce pour l'attaquer, étoit ce pour le défendre? C'est ce que la peur, qui grossit tout, et ne raisonne jamais, ne put nous apprendre.

Nous allâmes voir par nous-mêmes ce que cette nouvelle avoit de réel ou d'exagéré.

En arrivant sur le Pont Neuf, par la rue de la Monnoie, nous apperçûmes trois cents bandits de la plus horrible espèce, armés de piques, les bras retroussés, brandissant des sabres, blasphêmant le ciel et Pichegru, trainant trois pièces, deux de canons et une d'eau-de-vie, et hurlant d'une manière effrayante la chanson nommée Marseillaise (1).

(1) Voyez la note à la fin du chapitre.

C

Quel étoit leur but? Ils alloient féliciter le directoire et lui offrir des bras pour en finir.

Le pour en finir n'étoit pas équivoque. A leurs figures, à leurs discours, il étoit clair que le second acte de la tragédie de septembre en étoit l'objet.

Le Directoire ne jugea pas à propos d'y consentir, dans la crainte bien fondée que ces bêtes féroces une fois déchaînées, ne le confondissent avec la proie qu'ils demandoient, et ne le dévorassent en même-tems que ses ennemis.

On leur fit jetter une cinquantaine de louis, et on les congédia avant la nuit.

Cette longue journée finissoit. Déjà on ne voyoit plus dans les rues que quelques patrouilles silencieuses, ou des ordonnances brûlantes (1).

Chaque bourgeois tristement retiré dans le fonds de son salon, regardoit avec inquiétude sous son lit, derrière sa tapisserie, aux portes et aux fenêtres, s'il n'appercevroit pas les mèches ensoufrées qui devoient mettre le feu

(1) C'est ainsi qu'on appelle des gendarmes ou des hussards qui courent ventre à terre porter les ordres de tel ou tel maître à tel ou tel valet.

à sa maison; et las de craindre ou de chercher inutilement, se livroit, dans le sein de sa famille, aux plus sinistres conjectures.

Pour moi, j'errois encore dans cette vaste solitude; observant attentivement, espérant contre toute espérance un dénouement inattendu. <<Toujours crédule et toujours trompé, l'homme, dit Young, ne sort d'une erreur que pour retomber dans une autre. L'expérience ne le corrige point. Il veut voir l'instant qu'il n'a point vu; la mort seule lui révèle le secret de la vie ».

Enfin, je rentrai chez moi où je trouvai quelques amis désolés de ce qui arrivoit, et fort inquiets de ce qui devoit suivre.

Tout est fini, leur dis je, et vous pouvez aller vous coucher.

-Il n'y a donc plus rien à craindre.

Ah! pardonnez-moi. Vous avec à craindre des arrestations arbitraires, des enlèvemens nocturnes, des fusillades, des fusillades, des déportations, la guerre, la famine, le pillage, les

anglois et les russes.

Vous avez à craindre des tigres à vos portes, des brigands sur les routes, des vols publics et impunis, des emprunts forcés, des assassinats, des réquisitions, des conscrip

Ca

tions, la mauvaise - foi dans les traités, le mensonge dans toutes les bouches, le désespoir dans tous les cœurs... mais cela n'empêche pas d'aller se coucher.

-Qu'elle résignation!

-La nécessité modère plus de peines que

la raison.

-Vous n'avez pas chargé le tableau ?

-Je n'ai pas tout dit: un des plus funestes effets de cette journée est d'avoir détruit pour toujours le prestige de la représentation nationale, en violant sans pudeur et son intégralité, et la constitution qui la garantissoit. C'est d'avoir démontré sans équivoque et sans appel la vanité, l'illusion et même la sottise d'une constitution républicaine pour les Français qui s'en firent une idôle pendant dix-huit mois, sans avoir jamais su ni la défendre ni être défendus par elle un seul instant: c'est, en un mot, de nous avoir mis dans la cruelle nécessité de souhaiter la prompte dissolution d'un gouvernement homicide, violent et contradictoire, sans que nous sachions, sans que nous puissions prévoir ce qui le remplacera; d'un senat, d'un protecteur ou d'un roi.

Mais une chose très-certaine et dont j'at

!

testerois, s'il le falloit, toute l'histoire ancienne et moderne, c'est que notre situation est trop violente pour durer, et que les auteurs de cette journée ne tarderont pas à s'en repentir..

Maintenant mes amis, allons-nous cou

cher.

(i) On dit ce cantique fort beau. Je n'en sais rien. Mais toutes les fois que je l'entends, j'éprouve des oppressions d'estomac; je vois la guillotine, le 2 septembre, et madame de Lamballe éventrée sous mes yeux. Préjugés de royalistes, dites vous! non, citoyens, c'est instinct d'humanité. Tel air rappelle telle image, comme telle image rappelle telle personne. Laissons, croyez - moi, les chants d'Ossian et la Marseillaise aux peuplades naissantes, aux sauvages, aux algonquins pour qui les combats sont des jeux, la fureur un délassement, la vue du sang un besoin. Laissons aux Macassarois leur cri, leur calumet aux algonquins, aux Anglois leur spléen et leur ranz des vaches aux Suisses: rentrons dans la nature, reprenons, avec notre caractère, nos folies et nos lays d'amour, nos gais vaudevilles et notre amabilité... « en échangeant nos grâces légères contre la triste philosophie de nos voisins, disoit M. de Rivarol, nous n'avons point acquis de philosophie, et nous avons perdu les grâces».

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