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Widranges, qui partit sur-le-champ. Il étoit spécialement chargé de porter à S. A. R. une copie de l'adresse des royalistes de Troyes, aux souverains coalisés : le marquis de Widranges rallia en route, soit à Dijon, soit à Langres et à Vesoul, les fidèles serviteurs du trône des Bourbons, et leur annonça que l'usurpateur étoit poursuivi par des armées triomphantes, jusques dans ses derniers retranchemens.

Forcé d'abandonner la ville de Troyes, Napoléon n'avoit pu gagner Nogent-surSeine que par deux marches rétrogrades qui avoient épuisé et accablé l'armée française. Des pluies continuelles ayant délabré de plus en plus les routes, les soldats avoient éprouvé un surcroît de fatigues, de désagrémens et de privations, que les plus jeunes se montroient incapables de supporter; le découragement étoit au comble. On sait d'ailleurs le moindre mouvement de retraite influe sur le moral du soldat français, et le jette dans l'abattement. Aucune précaution n'avoit assuré les subsistances dans un pays déjà ruiné, et ces deux jours de marches pénibles coûtèrent à l'armée un grand nombre d'hommes qui, s'étant éparpillés dans les villages et dans

que

les fermes, furent la plupart atteints par les escadrons ennemis. Sous ces tristes auspices, Buonaparte s'établit à Nogent, c'est-à-dire à vingt-trois lieues de sa capitale. L'armée prit position sur un plateau en avant de cette ville, et dont les approches sont garanties par un ruisseau et par quelques endroits marécageux susceptibles de défense; elle reçut quelques renforts qui réparèrent un peu les vides occasionnés par les pertes récentes; on savoit, d'ailleurs, que douze mille vieux soldats, détachés des armées d'Espagne, arrivoient en poste, et que d'autres troupes étoient en marche. Mais en vain Napoléon s'efforçoit de réparer le désordre qu'avoit entraîné sa retraite.

Paris offroit alors le spectacle morne et lugubre d'une ville servant de refuge à une armée battue. Les Parisiens virent sous leurs propres yeux les restes de ces phalanges qui avoient fait la gloire de la France se fondre, pour ainsi dire, par bandes dans leurs murs; ils virent des conscrits, d'anciens soldats, pâles, défigurés, accablés de misère, se traînant dans les rues ou s'appuyant sur les bornes, tenant à peine d'une main l'arme avec laquelle ils avoient défendu la patrie, et de l'autre main implorant des secours ; ils virent des malheureux arrachés

à leurs chaumières avant d'avoir atteint l'âge viril, et menés avec leurs habits champêtres sur le champ de bataille pour y épuiser le feu de l'ennemi dans les endroits les plus périlleux; les Parisiens virent aussi la Seine chargée de barques couvertes de blessés et de mourans ; ils virent les avenues, les quais encombrés de chariots, de voitures où étoient entassés des soldats percés de balles, de coups de lance les uns sans jambe, les autres sans bras; ils en virent même qui, n'ayant pas reçu le premier appareil à leurs blessures, en proie à de cruelles souffrances, prioient les passans de les achever.

La consternation étoit universelle; chacun ne songeoit plus qu'à sa propre sûreté et à sauver les débris de sa fortune. Au milieu du silence de la nuit se faisoient entendre les coups redoublés de pieux et de marteaux, dans les murs, dans les caves, dans les lieux solitaires où étoient ensevelis l'or, l'argent et les effets précieux. Les familles opulentes se réfugioient en Normandie ou en Bretagne, où filoit en sûreté la plus grande partie des richesses de la capitale. Cette émigration successive de la classe aisée ne diminuoit en rien la population, dont le vide étoit aussitôt compensé par

les nombreux fugitifs qui accouroient des provinces envahies. Paris se croyoit sur un volcan et à la veille d'une épouvantable catastrophe: rien ne pouvoit rassurer ses malheureux habitans: « Si Napoléon se retire dans nos murs, » disoient-ils, s'il vient disputer Paris aux » alliés, Paris est perdu, sa destruction est >> inévitable. Puisse le ciel nous préserver d'une destinée si funeste! Puissent les en> nemis devancer notre oppresseur, et ne lui » laisser d'autre retraite que la Loire ! » Si de pareils vœux s'étoient réalisés, les calamités de la guerre se seroient prolongées en changeant de théâtre; mais les Parisiens ne voyoient de salut pour la France que lorsque Paris ne seroit plus exposé à un danger immédiat.

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Le courage et la confiance abandonnèrent même les ministres et les courtisans, lorsqu'après s'être flattés que Napoléon conserveroit la position de Troyes, ou obtiendroit un armistice, ils virent leur espoir évanoui. Qui pouvoit désormais s'opposer à la marche de l'armée de Silésie sur la capitale? Cette armée s'avançoit par les routes de la Marne, tandis que Napoléon étoit encore à Nogentsur-Seine, peut-être aux prises avec la grande armée alliée telle étoit l'appréhension des

courtisans; mais non, le dominateur de la France luttoit contre l'indiscipline de ses soldats, qui, dénués de tout, se livroient au pillage. Le mal étoit au comble, ainsi que l'irritation des esprits; les paysans français fuyoient devant les soldats français, et tous les fléaux qu'entraîne la guerre ravageoient les plus belles provinces de l'Empire: on se demandoit de quel côté se trouvoient les plus dangereux ennemis de la France. Napoléon crut mettre un terme à tant de maux par l'ordre du jour suivant, daté de Nogent le 8 février, et qu'on ne publia que dans les camps pour le dérober à la connoissance du public:

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L'empereur témoigne son mécontente» ment à l'armée sur les excès auxquels elle » se livre. Ces excès, qui sont blâmables dans >> toutes circonstances, deviennent le plus

grand crime lorsqu'ils sont commis sur notre >> propre territoire. Les chefs de corps et les gé» néraux sont prévenus qu'ils sont responsables » de tous les désordres. Les habitans fuient par» tout, et l'armée qui doit défendre le pays » en devient le fléau. Les trains d'artillerie et » les équipages sont désignés comme se por» tant aux plus grands excès. Les chefs de ces

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