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Voilà une de ces questions épineuses et subtiles qui diviseront long-tems les personnes qui s'occupent de l'art de guérir. Les humoristes, et M. Gastellier paraît se ranger sous leurs bannières, voient dans le lait une liqueur susceptible d'éprouver beaucoup d'altérations et de produire, par suite de son transport sur les organes, les affections les plus profondes comme les plus fàcheuses. Les solidistes, au contraire, répugnent à admettre ces altérations primitives des humeurs et ne voient dans ces maladies que des actions vitales dérangées, des spasmes, des inflammations ou de l'atonie dont les liqueurs animales se ressentent plus ou moins. Dans le premier systême, le lait est quelquefois un ennemi perfide qu'on ne saurait trop redouter, un être qu'on doit poursuivre dans toutes les routes de la circulation et dans les cellules les plus profondes de l'organisation humaine. Dans le se cond, on ne voit en lui qu'une liqueur douce, incapable de nuire et qui suit constamment les irritations et les mouvemens des solides. Quel que soit le parti que l'on embrasse dans cette lutte médicale, les conséquences n'en sont point fàcheuses pour les malades, Ces opinions ne changent heureusement rien au traitement, et il est vrai de dire pour l'honneur des médecins et le repos des familles, que les solidistes comme les humoristes s'accordent presqu'en tout sur les règles du traitement. Nous ne saurions trop faire l'éloge de M. Gastellier pour les observations savantes qu'il a consignées dans son livre. Toutes annoncent un homme profondément versé dans l'art médical; lorsqu'il décrit une maladie, ce n'est qu'après l'avoir bien vue et analysée. Craint-il de laisser des doutes sur une question? il a recours à l'autorité des plus grands médecins, et ce n'est pas sans quelque étonnement que l'on envisage son érudition et l'exactitude de ses recherches. Il signale aussi avec beaucoup de sagacié les erreurs funestes que commettent encore les personnes chargées du soin des femmes en couche. Qui n'a pas vu, nous dit-il, ces dernières enterrées presque toules vivantes dans un lit hermétiquement fermé par ses rideaux, dans l'intention de provoquer une sueur abondante? Les portes,

les croisées, tout est exactement clos, et la malheureuse victime de l'ignorance et des préjugés, ne reçoit de lumière que le peu qui lui est fourni par une espèce de lampe sépulcrale placée dans la cheminée. Qui ne sait encore qu'on ne croit point devoir lui donner de linge blanc, comme si celui-ci portait avec lui un principe de dérangement fâcheux et même de mort? Des chemises mille fois imprégnées par des flots de sueurs, voilà les nobles vêtemens que la sottise lui accordait sans qu'il fût possible à la raison d'interposer son autorité. Delà des éruptions miliaires, des maladies inflammatoires, putrides, malignes, résultats constans d'une méthode aussi blâmable.

Si nous passons au style de M. Gastellier, nous le voyons partout clair, précis et quelquefois même élégant. Son ouvrage n'offre point à la lecture cette sécheresse que l'on reproche quelquefois avec raison aux livres des savans. L'occasion le lui permet-elle, tour-à-tour il cite Horace et Virgile, Juvénal et Sénèque, dont les meilleures maximes viennent servir comme de point d'appui à ses idées propres.

SALGUES, médecin.

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LITTÉRATURE ET BEAUX-ARTS.

Narcisse dans L'ÎLE DE VENUS, poëme en quatre chants; par MALFILATRE.

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Un vol. in-18. A Paris, chez l'Editeur, rue du Battoir, no 13; Arthus-Bertrand, libraire, rue Hautefeuille, n° 23; Delaunay, libr., au Palais-Royal, galerie de bois, no 243; Poley, libraire, rue du Bac, no 46.

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LA faim mit au tombeau Malfilâtre ignoré ;

S'il n'eût été qu'un sot, n'eût-il pas prospéré?

On peut regarder ces vers comme un hommage rendu au malheur et au génie mais cette fleur cueillie au champ de la satire honorerait peu la tombe de Malfilâtre, sans le nom de Gilbert qui lui donne quelque lustre. Gilbert, dans sa colère poétique, plaidait sa cause autant que celle de Malfilâtre. L'auteur du poëme 'de Narcisse et celui de la Satire du dix-huitième siècle, eurent un double rapport, l'infortune et le talent. Leur genre de mort, sans être le même, fut aussi déplorable; leurs succès se fortifient et s'accroissent tous les jours. Gilbert, peu versé dans les langues mortes, se modela sur les illustres écrivains contemporains du siècle de Louis XIV; c'est dans les excellens ouvrages de l'auteur du Lutrin et de l'Art Poétique, et dans les belles Odes de J.-B. Rousseau, qu'il puisa son talent. Malfilâtre, idolâtre des anciens, s'était tellement naturalisé dans la terre classique, que sans la langue que parlait sa muse, on l'eût pris pour un poëte grec ou romain. On pourrait le comparer au statuaire enthousiaste qui détourne l'œil du modèle vivant, offert à ses yeux, pour interroger le marbre antique à qui l'art imprima l'immortalité.

Mais, dira-t-on, quel intérêt présente un sujet tel que celui d'Echo et Narcisse? quel attrait pouvait-il offrir à Malfilâtre ?

Vénus forme une île peuplée d'adolescens des deux

sexes. Elle veut qu'avant qu'ils parviennent au temple de l'Amour, ils passent par celui de l'Amitié. La déesse leur donne pour guide le dévin Tirésias, infortuné que Junon frappa de cécité en punition de son imprudence. Vénus ordonne au vieillard de lui raconter l'histoire de ses malheurs, histoire passablement graveleuse, et qui devrait alarmer la pudeur de Vénus même. It obéit la curieuse Echo prête l'oreille au travers d'un buisson, et ne perd pas un mot du récit de son père. Junon, ainsi que sa chaste sœur Diane, connue pour ne point aimer les curieux, métamorphose Echo en rocher et Narcisse en cette fleur qui à hérité de son nom. Il n'est certes rien là qui puisse vivement intéresser. Malfilâtre s'est laissé séduire par le prestige des descriptions qui se présentaient en foule à son imagination amoureuse du merveilleux. Il aspirait sans doute à la gloire de lutter avec Ovide, et de faire usage des richesses qu'il avait conquises sur l'antiquité. D'ailleurs ce sujet le transportait dans le beau site de la Grèce ; il errait parmi les divinités mythologiques; il s'élançait, enfin, d'un monde créé, pour voyager dans un monde idéal. Eût-il été poëte, s'il eût résisté à des illusions qui font le charme de la poésie? Aussi planet-il constamment sur son sujet. Il commande à sa pensée qui lui sourit sans cesse. Il dispose, il ordonne; il semble que les muses s'empressent de lui cueillir les fleurs les plus fraîches et les plus variées, écloses dans leur domaine. Rien n'arrête son vol: comme il sait s'élever et descendre! Que de souplesse et de légèreté, de grâce et de force! Il marche l'égal de Virgile dans la description énergique et animée: témoin celle des deux serpens qui viennent assiéger à Samos l'autel de Junon, à l'instant où le fer du sacrificateur est prêt à tomber sur le front du taureau immolé à la déesse, des cription inimitable et que je citerais toute entière, sans les citations multipliées qu'on en a faites. Il est aussi passionné que Properce, aussi gracieux que Catulle, aussi tendre que Tibulle. Plus correct en général que Lafontaine, il me rappelle quelquefois la malicieuse naïveté du bonhomme. Ne croirait-on pas, dans les vers

qu'on va lire, entendre le conteur ingénieux qui fit parler Joconde ? ·

Elle était fille, elle était amoureuse,

Elle tremblait pour l'objet de ses vœux ;
C'était assez pour être curieuse

:

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C'était assez filles lé sont pour moins.
Mais je ne veux fronder ce sexe aimable.
Et pour Echo, sa fauté est excusable.
Si cette nymphe est coupable en ceci,
Je lui pardonne : amour la fit coupable,
Puisse le sort lui pardonner aussí!

Doucement et d'une main habile,
En écartant le feuillage mobile,
L'œil et l'oreille avidement ouverts,
Elle regarde, elle écoute à travers,
Ne peut qu'à peine en ce petit asile
Trouver sa place, et craint de se montrer,
Ne se meut pas, et n'ose respirer,
Sait ramasser son corps souple et facile,
Se promettant durant son entretien,
D'épier tout, un mot, un geste, un rien.

Un mot, un geste, un rien, tout est utile.

Elle écoute à travers. De graves censeurs trouveront peut-être cette ellipse un peu hasardée, mais peut-on ne pas l'approuver dans le sujet, et au lieu où elle est employée? Un corps souple et facile, est aussi une expression elliptique, car on ne dit pas un corps facile, mais un corps facile, aisé dans ses mouvemens. La poésie a ses priviléges, et c'est au goût à fixer la place où ces aimables négligences peuvent plaire ou déplaire. Eh! qui fut doué de plus de goût, d'un tact plus exquis et

plus fin que Malfilâtré? C'est par l'effet de ce même ins

tinct qu'il a fait choix du rhythme le plus convenable à son sujet. La marche du vers alexandrin eût été trop imposante. Le vers de dix syllabes se prête mieux à la flexibilité, à la variété des coupes. L'enjambement à la quatrième syllabe sert le poète ; il est non-seulement permis, mais il a même de la grâce. Malfilâtre, si bien servi par la nature, n'avait rien négligé de ce que l'art

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