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LITTÉRATURE ET BEAUX-ARTS.

VOYAGES EN RUSSIE, EN TARTARIE ET EN TURQUIE; par M. E. D. CLARKE, professeur de minéralogie en l'Université de Cambridge; traduits de l'anglais. - Trois vol. in-8°, avec trois cartes géographiques et deux plans. Prix, 18 fr., et 22 fr. franc de port; papier vélin 36 fr. A Paris, chez Buisson, libraire, rue Gilles-Cœur, n° 10; et Arthus-Bertrand, libraire, rue Hautefeuille, no 23.

Si les voyages du professeur Clarke ont en France le même succès qu'en Angleterre, ce voyageur en devra savoir quelque gré au traducteur habile et judicieux qui a entrepris de nous faire connaître cet ouvrage, et qui, par les notes critiques et savantes dont il l'a enrichi, lui a assuré pour nous un nouveau degré d'intérêt. C'est déjà depuis 1810 que le D. Clarke jouit dans les trois royaumes de toute la plénitude de sa gloire; mais chez nous, malgré le goût bien prononcé du public pour les livres de ce genre, le sien n'était guère connu que dans le monde savant. Il paraît même que le ton d'aigreur et de violence avec lequel l'auteur à tout propos, ou même hors de propos, s'exprime contre la Russie, l'avait fait assez généralement regarder comme le factum déguisé ou le Mémoire d'un agent politique jeté dans le cadre de l'itinéraire d'un voyageur, plutôt que comme un livre véritablement consacré aux progrès de la géographie et des sciences qui en dépendent. C'était du moins à-peu-près ainsi que l'avait considéré M. le rédacteur des Annales des Voyages, qui, dans son 54° numéro, en avait offert à ses lecteurs une assez longue analyse, où il reprochait aux Anglais de regarder souvent et de vouloir faire passer comme neuf en fait de sciences ou de découvertes, ce qu'ils avaient refait d'après vingt livres allemands ou français. Il terminait

son article en énonçant l'opinion que si on venait à entreprendre une traduction française de ces Voyages, elle devrait pour l'honneur de notre littérature être accompagnée de beaucoup de notes correctives. M. le rédacteur des Annales aura aujourd'hui la satisfaction de voir son idée réalisée dans la traduction qui nous occupe; et le public en même tems pourra suivre avec sécurité, graces à ces noles correctives, les récits d'un voyageur, quelquefois égaré par son anglicisme et son caractère passionné, mais dont les observations purement scientifi ques ne nous paraissent pas méprisables, et qui, par la' facilité de sa narration, par la variété de ses tableaux, par l'étrangeté des pays qu'il a parcourus, a bien quelques droits à revendiquer pour le compte de son propre mérite une bonne partie des succès qu'il a déjà obtenus chez ses compatriotes, et qu'il obtiendra probablement encore de la traduction qui va le faire connaître parmi nous.

Telle est du moins l'impression que nous avons reçue de la lecture de ces Voyages; tel est le point de vue sous lequel nous croyons pouvoir en présenter l'auteur dans l'exposé sommaire que nous allons en faire à nos lecteurs.

Le D. Clarke, et son ami et compagnon de voyage; M. Cripps, attaché comme lui à l'Université de Cambridge, se trouvaient à Pétersbourg en 1800, lorsque Paul 1, revenu aux idées d'une politique continentale, menaçait l'Angleterre dans son commerce, dans ses pos sessions, et poursuivait le projet d'affranchir la Russie de son alliance oppressive, de sa périlleuse amitié. C'était là aux yeux des Anglais une trahison, un vrai crime de forfaiture envers le principe secret et inviolable de la suzeraineté britannique. Les plaintes audacieuses de leurs agens ne firent qu'aigrir Paul qui, avec plus d'énergie peut-être que de prudence et d'habileté dans l'exécution, découvrit trop hautement des desseins faits pour alarmer Londres, et se livra, si l'on en eroit le D. Clarke, même contre de simples particuliers, à un système de persécution, tel que Mungot-Parck supporta moins de rigueurs, d'exactions et d'insultes au milieu des Maures en Afrique, que ses compatriotes n'en

eurent alors à souffrir en Russie, et particulièrement à Pétersbourg. Ce fut, d'après cet état de choses, que les deux amis reçurent de lord Withworth, ambassadeur d'Angleterre, le conseil et l'invitation pressante de quitter la capitale de la Russie pour se réfugier d'abord à Moscow, et de là voyager dans le midi de cet Empire. Il paraîtra peut-être ici singulier que deux savans, deux membres d'un corps enseignant, eussent quelque chose à démêler avec la politique de Paul et tant à craindre de ses fureurs, et plus singulier sans doute encore non-seulement qu'ils aient choisi ces circonstances pour explorer divers points importans, et les frontières de son Empire, mais même que, d'après leur propre relation, et malgré force déclamations contre la tyrannie et la barbarie russe, ils l'aient fait avec autant d'agrément que de sécurité. Ce pourrait bien être là un des points de cette narration à éclaircir ou corriger. Quoi qu'il en soit, tels sont les motifs appa rens qui déterminèrent le D. Clarke à quitter Pétersbourg, et auxquels nous devons le voyage qu'il paraît d'ailleurs avoir beaucoup désiré d'exécuter. De Moscow il se porta au midi de la Russie en tirant vers l'est; visitą les Cosaques du Don, et ceux de la Mer-Noire ou du Kouban; assista à l'expédition que ceux-ci entreprirent pour repousser les Circassiens vers le Caucase, et ent occasion d'observer ces féroces montagnards lors de la conclusion du traité qui termina cette expédition. Revenant de là vers l'ouest, et suivant la frontière de la Mer-Noire, il en décrit plusieurs points importans, tels que les bouches du Don, lile Taman, la Chersonèse, où il visita le savant Pallas, et chercha avec lui les débris et les traces presque totalement effacées du temple ou des temples où Diane demandait le sacrifice des étrangers jetés par le sort sur ces rivages inhospitaliers.

En passant à Aktiar, il s'y procure le relevé de sa baie et des autres points de cette position maritime d'une grande importance, afin de faciliter à son gouvernement les moyens de l'occuper, d'inquiéter et de dominer le commerce du midi de la Russie, lui dicter des lois, et punir

où prévenir, selon l'expression même de notre voyageur, les trahisons de son cabinet.

A Cherson, il rend hommage aux restes de son compatriote le philanthrope Howard, et demande vainement la place de ceux du puissant Potemkin, déjà dérobés aux regards des hommes, et disparus du théâtre même de sa gloire. Embarqué à Odessa pour Constantinople, il côtoie les provinces de la Turquie européenne, et engagé dans le Bosphore, il y cherche les traces de l'ancien déchirement qui ouvrit entre l'Europe et l'Asie le passage aux nouvelles conquêtes d'une vaste mer, occupant primitivement le plateau de la Tartarie, et dont l'Euxin, la mer Caspienne et l'Aral étaient des portions ou des golfes, et en sont restées comme des points indicateurs. Parvenu à Constantinople, le D. Clarke y termine sa narration, quoique ce n'ait point été là le terme de ses courses. La magnificence de cette position, ses avantages politiques et commerciaux lui font prophétiser que tant de biens, tant de richesses ne resteront pas dans les mains de leurs aveugles et insoucians possesseurs; mais il est permis de croire que cette prophétie n'est qu'un vœu patriotique anglais, et que le savant professeur prend ici trop aisément ses espérances pour des réalités.

On peut aisément distinguer, deux hommes dans le D. Clarke, l'angiais et le savant ou le voyageur. L'anglais, toujours interprète des prétentions, ainsi que des passions de son gouvernement, et quelquefois des siennes propres, méprise, fronde, déchire tout ce qui tient à l'Empire russe, et donne, à cet égard, à la vérité même une couleur d'exagération et de violence, telle que l'on est tenté de révoquer en doute le mal qu'on en croyait ou qu'on en savait avant lui. Les tableaux qu'il trace des Russes, de leur mal-propreté, de leur gourmandise, de leur grossièreté, de leur frivolité, de leurs débauches, de leur bassesse sous le fouet du despote, de leurs goûts stupides, cruels et destructeurs, de leurs mœurs barbares, de leur penchant, pour ainsi dire, national au vol, à la mauvaise foi dans toutes les transactions, à la paresse, à l'ivrognerie, seul ressort avec le bâton qui puisse mettre en mouvement cet être abruti, en font véri

tablement un peuple hideux et révoltant. Les femmes seules ont trouvé quelque grace devant ses yeux il leux pardonne bien volontiers de se rendre assez facilement infidèles à des époux qui ne peuvent que leur inspirer le mépris, le dégoût ou l'horreur; et le plus grand défaut qu'il leur trouve, c'est d'être encore trop soumises auplas vil comme au plus méchant des esclaves. En En vérué, le docteur Clarke conserve de bien terribles ressentimens contre ces pauvres Russes; il semble avoir pris pour devise à leur égard :

Dolus an virtus quis in hoste requirat?

Et quand il serait vrai qu'ils auraient voulu le chasser de leurs pays, seraient-ils si blåmables d'avoir redouté la présence d'un ennemi qui, non content de prendre une part active aux querelles de peuple à peuple, se montre, en véritable anglais, très-peu scrupuleux sur le choix des moyens, pour amasser les vengeances jusque sur la tête des particuliers?

Cependant, au milieu de toutes ses déclamations contre cette nation inhospitalière, notre voyageur se représente lui-même par-tout où il passe comme l'objet des soins des attentions, de l'intérêt des classes les plus distinguées de la société; son costume sert de modèle aux merveilleux de Moscow; ailleurs son arrivée est un jour de fête; il est si peu surveillé qu'il relève un point militaire et maritime important, en fait passer les plans à son gouvernement pour que celui-ci puisse s'en emparer comme d'une chose de son domaine et tout-à-fait à sa convenance: certes voilà bien la reconnaissance britannique; voilà le prix de l'anglomanie des Russes! Ingratitude, orgueil, intérêt; faut-il s'étonner que ce soit par-là que se terminent à toute époque et en toute circonstance leurs relations avec le gouvernement anglais, quand les simples particuliers pensent, à ce qu'il paraît, faire preuve d'esprit national en suivant avec eux les mêmes principes de conduite? Au reste, et nous l'avons fait sentir plus haut, nous conviendrons volontiers avec le D. Clarke que le Russe est réellement très-en arrière de la civilisation européenne; nous pensons seulement

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