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mais comme l'argent était la meilleure de toutes, en peu de jours Kadib se vit possesseur d'une fortune considérable.

Alors il envoie chercher le père de la belle Agéli, afin de lui commander une paire de babouches. Lorsque le vieux cordonnier Rustafapprend qu'il est choisi pour avoir l'honneur de chausser le grand-visir, il est près de mourir de joie; tant il faut peu de choses pour faire mourir un homme! Il arrive au palais du visir, après avoir pris ses plus beaux habits et s'être coiffé d'un turban tout neuf. I! entre dans l'appartement magnifique où Kadib, entouré d'une centaine de personnes richement vêtues, était couché sur une ottomane et fumait des aromates. Rustaf tremble comme une feuille agitée par le vent. Il se met à genoux dès la porte de l'appartement et s'avance ainsi jusqu'aux pieds du visir, qu'il n'ose regarder en face et qui lui tend négligemment sa jambe, sans lui dire un seul mot. Quand Rustaf lui a pris mesure d'une paire de babouches, Kadib prend la parole et lui dit, en déguisant sa voix: Tu as une fille? Oui, magnifique seigneur. - Est-elle belle? Oui, seigneur, à votre service. Elle aime, dit-on, un jeune homme nommé Kadib. Hélas! seigneur...... Est-ce vrai? Que trop vrai. Quel est ce Kadib? Un mauvais sujet, seigneur, un paresseux qui ne fera jamais rien et qui ne sera toute sa vie que le plus misérable de tous les cordonniers. J'ai eu quelque tems l'envie de le prendre pour me faire des babouches.-Ah! seigneur! que votre magnificence eût été mal chaussée ! — Ce Kadib dont tu dis tant de mal, a-t-il encore d'autres défauts? Il en a plus, seigneur, que vous n'avez de cheveux sur la tête; mais quand il serait sans défauts, je ne pourrais lui donner ma fille! Pourquoi donc cela? C'est un homme sans parens, sans aveu..... Sans parens! tiens, lève les yeux et regarde autour de toi; voilà tous les parens de Kadib.

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Le vieux Rustaf promène autour de l'appartement des regards ébahis, mais quand il voit tant de grands seigneurs réunis et si magnifiquement vêtus, il croit que le grand-visir se moque de lui; il ose enfin le regarder en tremblant et reconnaît Kadib. A cette reconnaissance imprévue, le pauvre Rustaf tombe à la renverse et s'écrie: Allah! allah!

je suis mort!

Cette exclamation fit rire Kadib et tous les spectateurs. Non, non, Rustaf, tu n'es pas mort, répond Kadib; tu es mon beau-père, si toutefois tu me trouves aujourd'hui

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un assez grand nombre de parens. Va donc sur-le-champ me chercher ta fille; je vais donner ordre au cadi de venir célébrer le mariage dans mon palais. Demain peut-être il ne serait plus tems.

Rustaf est toujours à genoux, il voudrait parler, mais sa langue est enchaînée comme sa pensée. Il aurait tant de choses à dire qu'il ne peut articuler un seul mot. Il se lève enfin, sort de l'appartement du visir et va préparer sa fille au sort brillant qui lui est réservé.

Je ne peindrai point la joie et la surprise de la belle Agéli: de fille d'un pauvre cordonnier, elle devient tout-àcoup la femme d'un homme qu'elle aime et d'un grandvisir! Son amour et sa vanité sont également satisfaits, et qui ne connaît les jouissances de l'amour peut apprécier au moins celles de la vanité.

Le mariage est bientôt célébré avec une magnificence digne des deux époux. La cérémonie est suivie d'un repas somptueux, auquel sont invités tous les parens de Kadib, Rien selon eux n'est plus beau dans la nature que la belle Agéli. On chante des vers à sa louange; on la compare aux houris, à cela près que les hours ont moins de charmes. Dans cet encens prodigué par la tendresse des parens, Kadib reçoit aussi son tribut d'hommages. C'est le plus grand de tous les visirs qui jusqu'à ce jour ont tenu les rênes de l'Etat ; c'est le premier politique du monde. On ne sait ce que l'on doit le plus admirer, les grâces, la finesse de son esprit, ou la profondeur de son génie et l'étendue de ses connaissances. Déjà on le gratifie du titre de grand, on célèbre la gloire de Kadib-le-Grand. Le vieux Rustaf même n'est pas oublié, et la flatteuse poésie trouve le moyen d'en faire quelque chose, tant la poésie a de puissance! tant la tendresse des parens est ingénieuse dans ces circonstances importantes!

Pendant que cette famille intéressante et nombreuse s'abandonnait aux transports de la joie la plus vive et se livrait sans réserve aux doux épanchemens de la confiance et de l'amitié, on annonce un envoyé du calife. Tous les parens ne doutent pas que cet envoyé n'apporte au visir quelque magnifique présent. Leur curiosité est dans l'attente. L'envoyé est introduit; il s'avance d'un pas grave, tire de sa poche un papier, impose silence à toute l'assem.blée, et lit:

<< De la part du commandeur des croyans, le grand Haroun-al-Raschid.

A ces mots, les convives se prosternent la face contre terre, et l'envoyé continue:

"Moi, Haroun-al-Raschid, représentant du prophète, il m'a plu de nommer Kadib mon premier visir après avoir disgracié Giafar. Aujourd'hui il me plaît de rappeler Giafar et de disgracier Kadib avec toute sa famille. Qu'il abandonne donc un poste pour lequel il n'est point fait, et qu'il rentre dans la poussière d'où je l'ai tiré. »

Après la lecture de cet arrêt foudroyant, les convives.se relèvent, se regardent avec étonnement et stupeur. Toutes leurs espérances sont détruites ; il n'auront point ces belles et bonnes places sur lesquelles ils avaient si bien compté. La disgrace de Kadib entraîne celle de toute sa famille; il n'a plus de parens, c'est à qui ne le sera pas, et dans un clin-d'œil la salle du festin est déserte; il n'y reste plus que le bon Kadib qui rit, le vieux Rustaf qui tremble et la belle Ageli qui pleure. Kadib prend le premier la parole et dit en riant: Vous voilà bien étonnés, mes chers amis? Tout‚à-l'heure mon palais était rempli de parens qui célébraient mes louanges et qui m'aimaient à la folie ; et maintenant il ne m'en reste pas un seul. La fortune me les avait donnés, la fortune me les ôte. J'étais un visir de circonstance, et j'avais beaucoup de parens de circonstance; mais grâce à Mahomet et à mon adresse, ces parens-là m'en ont valu d'autres qui me consoleront de leur perte, qui sont nombreux et ne m'abandonneront pas au besoin. Vous vous demandez où sont ces bons parens dont je vous parle? dans .mes coffres, mes chers amis, dans mes coffres. J'ai pour le moins six cent mille tomans, et ces cousins-là sont plus solides que les autres. ADRIEN DE Sarrazin.

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VARIÉTÉS.

SPECTACLES. Théâtre de l'Impératrice (1). Le Voyageur Malencontreux.

Rivarol, précieuse ridicule de son siècle, et qui débitait

(1) Quelques abonnés ayant paru désirer que nous donnassions 'une certaine étendue à nos articles sur les grands théâtres, un homme de lettres connu a bien voulu se charger de la rédaction de ces arti-cles, qui contiendront à l'avenir plus de détails et d'observations littéraires.

avec assez d'art une trentaine de conversations écrites d'avance dans sa mémoire, assis au banquet de quelques gens de qualité, chez lesquels il n'était pas fâché de faire croire à sa qualité, récitait souvent ce vers, qu'il a consigné dans une épître anti-poétique, adressée au roi de Prusse, qui ne l'a jamais lue :

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Le vaste champ des arts n'est plus qu'un cimetière.

Ce cimetière s'est bien accru depuis même qu'il est mort d'une indigestion à Berlin. On n'a jamais vu plus de funérailles, plus de convois d'auteurs. N'est-il pas juste, au reste, que la sotte vanité qui porte une jeunesse imberbe à s'élancer dans une carrière que lui ferma la nature, reçoive à la fin son châtiment ? Plus l'éducation s'affaiblit, plus s'affaissent ses ressorts, plus la démangeaison de produire s'exalte et se fortifie. L'ignorance est sans pudeur. Ce déluge d'écrivains morts-nés se fait sur-toutsenlir après les époques calamiteuses. Le champ des arts en est alors inondé. C'est ainsi qu'à la suite des longs orages, les charmilles des jardins et les feuilles des arbres se peuplent de chenilles et d'insectes de toute espèce.

C'est cette effervescence inconsidérée de la jeunesse qui semble avoir donné le jour au Voyageur Malencontreux. Son peu de succès a justifié son titre. Les Voyageurs de M. Charlemagne n'avaient rencontré que des amis sur leur route; et le Voyage Interrompu de M. Picard ne l'a point empêché d'arriver à bon port. C'est que l'ouvrage du premier de ces auteurs est semé de vers piquans et agréables, que les scènes en sont l'une à l'autre liées; et que celui du second, quoiqu'il ne soit pas d'un comique fort élevé, étincèle d'une gaîté franche et naturelle, apanage particulier du talent de M. Picard. On y remarque surtout une scène fort divertissante, celle du notaire. Appelé pour dresser un contrat de mariage qu'on sollicite avec instance, il s'entretient de tout autre chose que de l'objet qui l'amène. Cette scène est visiblement empruntée d'une pièce anglaise, intitulée, si je ne me trompe: My Great Mother. C'est un barbier, des plus bavards, qui se présente pour raser un jeune homme d'un caractère vif et bouillant. Avant de se mettre en devoir d'exercer son ministère, il lui fait mille contes, et met à l'épreuve sa patience. A l'instant de faire glisser le rasoir sur son visage, -il entame de nouvelles histoires, et lui chante des couplets. A Londres comme à Paris cette scène provoque un

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rire franc et jovial, parce qu'elle fait ressortir le contraste des caractères. Je suis bien loin de faire an crime à M. Picard d'une imitation semblable. Les largits sur les étrangers sont des conquêtes. On ne dérobe pas toujours aussi adroitement que lui; et en bonne conscience le volé devrait remercier le voleur. Il n'en est pas ainsi des auteurs du Voyageur Malencontreux, car deux auteurs se sont cotisés pour cette production : l'un est encore debout el l'autre a vu, dit-on, le noir rivage; leur destinée physique est différente, mais celle de leur esprit est la même. Nous désirions analyser la pièce, mais son existence menace d'être si courte, que nous ne voulons point perdre notre tems et abuser de la patience du lecteur.

J'aurais voulu pourdes auteurs que le public eût oublié les sifflets. Ils avaient préludé d'une manière peu satisfaisante pour la pièce au premier acte: ils ont retenti à la fin avec un acharnement inconcevable. Le fait est qu'il n'y a point de motif de pièce. Il n'était pas nécessaire de courir les grands chemins et les auberges pour duper d'aussi bons diables qu'un tuteur et un prétendu tels que ceux qu'on a mais sur la scène.

Mais, dira-t-on, pourquoi offrir aux gens de goût de semblables ouvrages? Parce que les bons ouvrages sont Tares, et qu'on n'a pas le droit d'exercer son palais sur des mets plus exquis. D'ailleurs, ne faut-il pas amorcer le public par des nouveautés? Une sotte pièce peut avoir une heureuse destinée. Les preuves ne nous manquent pas. Quand on est soutenu par un excellent répertoire, on peut attendre, et se montrer difficile. La Comédie française court peu après les ouvrages nouveaux. Elle fait même de tems en tems des actes d'indulgence envers certains auteurs, dont les noms expulsés depuis long-tems de l'affiche sont tout étonnés de s'y retrouver. Eh que lui fait le succès ou la chute de plus d'une pièce? Le lendemain elle se console avec le Misanthrope, Tartuffe, la jeunesse de Henri V, les Héritiers, les Deux Gendres, Bruyeis et Palaprat, les Etourdis. Mais à l'Odéon, après une chute signalée, il faut regarder de quel côté vient le vent.

D.

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