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Senèque dit quelque part que, de son tems, les hommes étaient plus jaloux de leur parure que les femmes. Au risque de passer pour une savante en us, je vous citerai encore le grand Hortensius qui traduisit en justice un pauvre malheureux, seulement pour avoir, par mégarde, dérangé un pli de sa robe. Lucullus se vantait d'avoir cinq mille habits à changer. Néron ne porta jamais deux fois le même.

Sans remonter si haut, que de bizarreries dans les modes successivement adoptées en France par les hommes ! La coiffure à l'oiseau royal était-elle assez plaisante? Celle que vous avez adoptée est plus naturelle, je l'avoue, et en général votre habillement offre plus de simplicité; mais cette coiffure et cet habillement sont encore, pour la forme, assujétis à tous les caprices de la mode.

Hier, les cheveux élégamment bouclés devaient tomber sur le front, et ombrager les yeux de leurs masses touffues, fandis que le derrière de la tête était rasé de si près que j'ai cru qu'on en viendrait à enlever la première peau. Aujourd'hui ce n'est plus cela. Les cheveux bien relevés imitent, par leur roideur, les défenses du hérisson, et laissent à découvert plus d'un front qu'il ne faudrait pas soumettre aux épreuves physionognomoniques de Lavater.

Tantôt on vous voit le menton empaqueté dans une triple cravate, comme si vous vouliez hâter la résolution d'une esquinancie; tantôt l'usage veut que la tête d'un petit-maître soit comme celle du héron, emmanchée d'un long cou.

Vos habits tombent souvent dans la caricature ; et des variations survenues seulement dans la forme et dans la couleur du collet, on ferait un livre plus gros que celui des variations de l'église; collets verts, collets noirs, collets plissés, froncés, juponnés, collets-schalls, collets debout, collets-capuchons, sans compter ceux que MM. les tailleurs, ministres ingénieux de la mode, inventeront encore, à la plus grande gloire des arts.

Vous voyez, M. l'Observateur, que les hommes partagent tout-au-moins ce goût pour la parure, objet de vos plaisanteries. J'ai fait aussi dans la petite ville que j'habite quelques observations qui confirment pleinement ce que

J'avance.

Par exemple, nos jeunes gens rougiraient de porter un habit fait en province. Le bon ton vent qu'il vienne à grands frais de la capitale, ou tout au moins de la grande

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FEVRIER 1813.

ville la plus voisine. Un. honnête bottier leur fouirat pour la somme de 30 francs, une paire de bottes bien copen ditionnées; mais il faut qu'elles en coûtent au moins 48 et qu'elles sortent d'une main célèbre dans les fastes de la chaussure. Aussi un tailleur ou un cordonnier qui a la vogue est aujourd'hui un personnage important. Il sait mettre à profit les faveurs du caprice. On ne le voit plus, comme autrefois, travailler dans une modeste boutique. Que dis-je ? il ne travaille plus. C'est dans d'immeuses magasins, où la richesse éclate de toute part, qu'il coinmande à de nombreux ouvriers. Rien n'égale le luxe qui l'entoure, si ce n'est son insolence et sa mauvaise foi. On ne brille pas sans faire des dupes. C'est pour en augmenter le nombre qu'il a des commis voyageurs chargés de parcourir les petites villes et de mettre à contribution la vanité des provinciaux qui visent à l'élégance.

Si du costume je passais aux manières, je pourrais prendre une revanche complète. Le tems n'est pas loin où un jeune homme devait, avec de très-bons yeux, porter une paire de besicles, grassayer en parlant, et ne prononcer que la moitié des syllabes. Ces petites mignardises avec lesquelles il croyait nous charmer ne sont plus de mode, je le sais ; mais il les remplace auprès de nous par un petit air délibéré, un certain sans-façon qui n'est pas celui de la bonhomie, et qui frise par fois l'impertinence. Il voudrait, au moyen de cette familiarité avec les femmes, et à l'aide de quelques demi mots, de quelques demiapparences, faire croire à des succès plus intimes. On dit même qu'il préfère ces bonnes fortunes imaginaires, pourvu que le public en jase, à celles qui plus réelles sont couvertes des voiles du mystère.

Je ne pousserai pas plus loin cette récrimination. Elle prouve assez qu'en fait de ridicules chaque sexe a les siens. J'espère donc, monsieur l'Observateur, que si vous continuez vos tableaux de mœurs, nous cesserons d'y occuper le premier plan. Tout mon sexe vous jette la pierre ; je pense trop bien de votre galanterie pour croire que Vous puissiez vivre heureux sous le poids de notre courroux. J'ai l'honneur de vous saluer.

THERESINA DE B....

S

Réponse de l'Observateur provincial.

Eh quoi! Madame on Mesdames, ma plume jusqu'ici trop futile n'a fait qu'effleurer quelques ridicules peu importans, ceux qui au fond nuisent le moins à la société, et déjà j'entends vos clameurs. Que serait-ce donc si, usant de mon droit d'observateur moraliste, je venais à signaler des penchans plus dangereux, et qui, par cela même qu'ils naissent du cœur, tiennent plus à un vice qu'à un ridicule ? Que serait-ce donc si j'avais ou le cynisme de Montaigue, ou l'amertume de la Rochefoucauld, on l'austérité mordante de La Bruyère? Que serait-ce enfin, si j'avais leur génie ? Voilà de terribles adversaires, d'autant plus redoutables qu'ils sont immortels. Mais qu'avez-vous à craindre d'un badinage éphémère qui meurt avec le jour qui l'a vu naître ? Suis-je donc votre ennemi pour quelques vérités dites sans fiel, et pour quelques traits puisés dans le carquois de Momus? non, sans doute. Vos véritables ennemis sont les flatteurs.

Un philosophe de l'antiquité disait que les fils des rois ne pouvaient apprendre qu'à bien monter à cheval, parce que leurs coursiers ne connaissaient pas la flatterie. Vous les, sous ce rapport, plus à plaindre que les fils des rois, puisque l'exercice de cet art n'entre pas dans votre éducation. C'est un petit malheur, sans donte, mais c'en est un que d'être, dès votre enfance, livrées à un commerce puéril d'adorations trop souvent simulées. Il en résulte que l'apparence d'une vérité vous blesse, comme le pli d'une feuille de rose blessait jadis un sybarite.

Vous connaissez le trait de celle dame qui se faisant peindre se pinçait les lèvres afin d'avoir la bouche plus petite. Madame, ne vous gênez pas, lui dit le peintre; pour peu que vous le désiriez, je n'en ferai pas du tout. Si f'artiste, exagérant le désir de la dame, eût supprimé la bouche dans son portrait, il aurait remplacé un léger défaut par une difformité. Voilà l'effet de la flatterie. Pourquoi proclamer sans cesse une perfection qui n'est pas dans la nature, à laquelle on ne croit pas, et qui serait peut-être le pire de tous les défauts? Je suis, je l'avoue, un peu moins complaisant que le peintre dont je viens de parler, et je n'ai pas suivi le précepte de je ne sais quel enthousiaste qui veut que lorsqu'on écrit sur les femmes on trempe sa plume dans l'are-en-ciel. Mais peut-être me devez-vous plus de reconnaissance qu'à tant d'auteurs doucereux qui,

à force de vous prodiguer leur encens banal, parviennent à corrompre mille dons heureux que vous tenez de la nature.

J'ai attaqué le goût un peu vif que vous avez pour la parure. Vous me répondez par une récrimination dont je ne conteste point la vérité. Il est des hommes qui, j'en conviens, attachent quelqu'importance à leur toilette; mais les sacrifices qu'ils font à la mode sent autant d'hommages qu'ils vous rendent :

De celle qu'on adore

On adopte aisément la patrie et les Dieux.

CAMP.

Souffrez à ce propos que je vous fasse le récit d'un procès qui vient de se plaider dans un département assez voisin de celui où j'écris. L'anecdote est un pen burlesque, mais elle est vraie. Vous avez été chercher des autorités jusque chez les Romains. Les miennes sont contemporaines; si elles font moins d'honneur à mon érudition, elles seront plus utiles à ma catise.

Un jeune homme estimable sous tous les rapports, et doué d'un caractère heureux, se leva un matin avec la fantaisie de se marier. Après un mûr examen des beautés de sa connaissance, il en distingua une, et courut lui porter ses vœux et son hommage. Avec le titre de prétendu, on est -sûr d'être écouté et d'exciter une attention toute particulière. C'est ce qui arriva. Le jeune homme, encouragé par le plus doux accueil, crut devoir faire sa demande en forme. Une personne tierce fut, comme cela se pratique, chargée de négocier auprès du père. Celui-ci enchanté fait venir sa fille et s'empresse de lui nommer son époux, ne doutant pas qu'il ne fut accepté. Quelle est sa surprise d'essuyer un refus positif et soutenu! Ma fille, y pensezvons? s'écria-t-il; ce jeune homme vous convient. — Qui, mon père. - Il est doux et honnête. — Oui, mon père. Sa fortune est égale à la vôtre. — Oui, mon père.-Eh bien! - Eh bien ! mon père, il a une queue.

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En effet, le jeune homme avait une queue qu'il conservait, non sans doute pour sa commodité, mais par habitude, ou comme un monument de la coiffure de ses aïeux. C'est vainement que l'on voulut faire entendre raison à la jeune personne. Elle voyait toujours cette queue,, cette fatale queue réprouvée par la mode, et qui à ses yeux détruisait tout le mérite de celui qui la portait.

Sa

Le négociateur, un peu honteux de son ambassade, fut obligé d'en rendre compte à celui qui l'avait envoyé. Quelle douleur pour notre prétendu! Il tenait beaucoup à sa queue, et s'en défaire lui paraissait une dure extrémité; il délibère, il hésite; puis il s'écrie :

Omnia vincit amor, et nos cedamus amori.

VIR.

Par-tout l'amour triomphe, et je cède à l'amour.

B.

1

Le coiffeur est mandé; il arrive, et les ciseaux complaisans ont bientôt consommé ce grand sacrifice. Le voilà enfin à la Titus. Tout fier de sa inétamorphose, il vole auprès de son amante, bien persuadé qu'il va recevoir le prix de son dévoûment. O caprice indéfinissable ! A peine l'a-t-elle aperçu qu'elle le refuse une seconde fois, en disant que la coiffure à la Titus lui allait encore plus mal que celle qu'il venait de quitter.

Outré avec raison d'un procédé aussi bizarre, notre malheureux amant a intenté un procès à cette nouvelle Dalila, et lui a demandé de gros dédommagemens pour cette queue, cette, portion de lui-même qu'il lui a si vainement sacrifiée.

:

J'ignore le résultat d'une procédure aussi plaisante que nouvelle mais qu'importe le dénouement? Vous conviendrez, Madame, que le fond de l'aventure atteste assez T'empire des petites choses sur les actions les plus importantes de votre vie. C'est ce qui a fait dire aux malins que Prométhée avait sans doute usé tout son flambeau lorsqu'il voulut animer la beauté, et que c'est pour suppléer à l'inertie du cœur qu'il alluma dans sa tête le léger phosphore des fantaisies.

J'ai l'honneur de vous saluer.

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SPECTACLES. Théâtre-Français.

- Tippoo-Saëb, tra

gédie en cinq actes et en vers de M. de Jony.

Le public avait le droit d'attendre une tragédie de l'auteur de la Vestale, M. de Jouy a tenu parole; examinons le sujet qu'il a mis à la scène.

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