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LA FEUILLE DES GENS DU MONDE, ou le Journal Imaginaire; par Mme DE GENLIS. Un vol. in-8°.

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Iz est presque impossible d'avoir à rendre compte d'un livre de Mme de Genlis, sans parler en même tems de sa personne. Mme de Genlis a naturellement l'humeur belliqueuse. Elle ne souffre point la critique, et quand elle publie un ouvrage elle est convaincue qu'il ne reste à ceux qui ont le bonheur de le lire d'autre parti que de l'admirer. Mme de Genlis se plaît à attaquer les plus illustres réputations littéraires, mais elle veut qu'on révère la sienne. Elle ne craint pas de prêcher l'intolérance, mais elle prétend qu'on doit tout tolérer de sa part. Elle ne cesse de réclamer des égards, mais elle se dispense d'égards envers tout le monde. Elle professe des principes de morale et de religion, mais sa religion est superbe et hautaine, et semblable au pharisien qui, debout devant les autels, remerciait Dieu de ne l'avoir point fait comme les autres hommes, injuste, ravisseur, adultère, elle se glorifie, comme lui, de jeûner deux fois le jour du sabbat, et de remplir tous les devoirs de la foi.

Mme de Genlis a été, pendant quelque tems, attachée à la rédaction du Mercure de France. Ce journal était alors, à ses yeux, le premier des ouvrages périodiques. Elle a cessé d'y travailler, et dès ce jour elle n'a plus aperçu aucun mérite dans le Mercure.

Quand on lit les préfaces de Mae de Genlis, il est impossible de ne pas se persuader qu'elle aspire à la suprématie de la littérature; qu'elle se croit sincèrement au-dessus de tous les beaux génies qui l'ont précédée ; qu'elle ne doute pas que la nature ne l'ait faite pour ré-` genter l'univers et donner des modèles de tous les genres' de productions.

Je suis persuadé que c'est de très-bonne foi qu'elle a composé le Journal Imaginaire; elle s'est dit : « Les » hommes de lettres chargés de la rédaction du Mer» cure n'ont pas reçu du ciel ces dons supérieurs qui

me distinguent, ils s'acquittent faiblement de leur » tâche. Composons pour eux un journal qui puisse leur servir de guide, les éclairer dans la carrière qu'ils » parcourent, et leur montrer par quel art on peut, » avec honneur, remplir le noble ministère de la crin tique. Il existe dans la nature un beau idéal; indi» quons-leur ce beau idéal, et pour cela intitulons »notre feuille le Journal Imaginaire. »

Il ne faut, en effet, que jeter un coup-d'œil sur cette nouvelle production de Mme de Geniis, pour se convaincre que son intention a été de faire une heureuse parodie du Mercure de France, et de montrer avec quelle supériorité cette feuille eût été rédigée, si elle eût été exclusivement confiée à Mme de Genlis.

C'est le même format, le même ordre, la même distribution des matières. L'énigme, le logogriphe et les poésies fugitives n'y manquent point. On y trouve des analyses de livres, des contes, des lettres aux rédacteurs, des annonces de musique, et jusqu'à des articles sur une exposition imaginaire de tableaux. Ce sont donc des modèles dans tous les genres, et la littérature ne saurait trop se féliciter d'avoir trouvé, dans M de Gentis, un de ces génies universels capables de tout concevoir et de tout entreprendre. Qu'on n'accuse point Mme de Genlis de trop de présomption, un travai! de ce genre ne lui parait qu'un simple délassement.

« Un auteur, dit-elle, qui se fiatterait de faire avec un » égal succès des romans, des opéras, des odes, des livres d'histoire, des comédies, des tragédies et des » poëmes épiques, aurait assurément une haute opinion » de lui-même; mais parler raisonnablement sur toutes » ces choses, n'est que l'espèce de talent que tout jour"naliste doit avoir, et il ne faut qu'un pon d'instruction » et d'imagination pour indiquer ou pour inventer quel» ques sujets nouveaux dans ces différens genres. »

Il est rare qu'un journaliste quand il exprime son opinion avec franchise, ou qu'il assaisonne sa critique de quelques grains de malignité, ne fasse pas quelques mécontens. Le Journal Imaginaire est à l'abri de ce danger; ear, si j'en crois Mme de Genlis, tout est imaginaire

dans ce prétendu journal. Les critiques tombent sur des ouvrages qui n'existent point. Les éloges et les disputes n'ont pas plus de fondement. Les extraits de pièces dramatiques, de poëmes, de romans et d'histoire qu'on y donne, ne sont que des fictions et des plans d'ouvrages, parmi lesquels les jeunes auteurs pourront peutêtre trouver quelques idées neuves.

Quand on procède avec tant de franchise et d'innocence, aurait-on lieu de s'attendre à trouver des contradicteurs? Cependant Me de Genlis en a trouvé, et (ce que l'on aura peine à concevoir), elle en a trouvé lors même que son ouvrage n'était encore qu'en épreuves. A quoi la gloire et le génie ne sont-ils pas exposés ?

« Nous apprenons, dit Mme de Genlis, au moment » où l'on nous apporte l'épreuve de notre préface, que, » dans la Gazette de France, un journaliste, acharné » depuis dix ans à nous dire des injures, quoique nous. » n'ayons jamais eu l'honneur de lui répondre un mot, » vient de faire d'avance la satire la plus amère de ce » journal, parce qu'il croit (par une supposition qui »> nous honore) qu'on y trouvera des sentimens religieux. » Nous pouvons pourtant l'assurer que nous n'avons » point parlé de religion dans les charades, les énigmes, » les logogriphes, les petites pièces de poésie, les ex» traits de pièces de théatre, de livres d'histoire, de » voyages, de divers traités moraux, de romans, dans. » les contes de féerie, les poëmes dont les sujets sont » tirés de la mythologie, etc. »>

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On sait combien la Gazette de France est modeste et retenue dans ses critiques. Nulle part les bienséances ne sont plus scrupuleusement observées; et si l'on avait quelque reproche à lui faire, ce serait un excès de modération qui lui donne quelquefois l'air de la timidité et de la faiblesse.

Quel est ce rédacteur, quel est ce téméraire, qui s'éle-, vant au-dessus des lois de la Gazette, s'acharne depuis dix ans contre Mme de Genlis? Hélas! faut-il l'avouer à, ma grande confusion? c'est à moi que Mme de Genlis impute ce délit. Il ne faut rien retrancher de son acte d'accusation.

« Il est vrai, dit-elle, que nous n'avons point inséré » dans ce recueil des épigrammes contre la religion, et >> des traits malins contre ses ministres : les lecteurs in» trépides qui veulent tout lire, pourront trouver toutes » ces choses dans un petit extrait d'un vieux livre (le n Traité de l'opinion), extrait intitulé: des Erreurs et des » Préjugés populaires, et que le compilateur a semé de » sarcasmes tirés des œuvres de Voltaire; mais nous » avouons qu'il ne s'est approprié que le fonds des » pensées. Il n'en a pris ni les tournures piquantes, ni » la gaîté. Sa plume se refuse absolument à ce genre de plagiat. »

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Ainsi, je suis non-seulement un ennemi acharné de Mme de Genlis, mais un détracteur de la religion et de ses ministres, mais un servile compilateur qui me suis approprié les ouvrages et l'esprit d'autrui. Il faut répondre à ces diverses inculpations.

Et d'abord je demanderai à Mme de Genlis comment elle sait que je suis l'auteur de l'article publié dans la Gazette de France, quelque tems avant que son Journal Imaginaire parut? J'étais alors à la campagne, l'article était jeté dans le corps du Journal, il ne portait aucun signe caractéristique qui en indiquât l'auteur. Mon accusatrice aurait-elle des affidés jusque dans l'ombre des imprimeries? Mais je veux bien me charger de tout le poids du délit. De quelle offense suis-je coupable envers Mme de Genlis? Elle parle d'injures; on la prie de citer dans cet article et dans tous ceux qui sont sortis de la même plume une seule expression injurieuse, un seul reproche qui ne soit pas fondé sur la plus exacte vérité. J'ai rendu compte dans la Gazette de France d'une historielle qui figure aujourd'hui dans le Journal Imaginaire. Le Journal de Paris en avait publié une partie. J'en ai parlé comme d'une production puérile, ridicule, indécente; j'ai pris la liberté de m'en moquer, mais de m'en moquer avec décence. Que pouvais-je faire de moins? L'opinion publique n'a-t-elle pas depuis frappé d'improbation ce conte, dont les détails souvent licencieux n'auraient pas dû échapper à une femme qui se respecte?

Me de Genlis se glorifie sans cesse de son respect pour la morale et la religion; comment se fait-il qu'elle aime promener si souvent son imagination à travers des scènes que ni la morale, ni la religion, ni la bienséance même ne sauraient approuver? Voudrait-elle que je lui rappelasse quelques épisodes de son roman d'Alphonsine, de ses Chevaliers du Cygne? Si quelquefois j'ai blâmé ces écarts d'une imagination évaporée ( et comment Mmo de Genlis, à son âge, a-t-elle encore une imagination évaporée?), s'ensuit-il que je me sois acharné contre Mme de Genlis? Loin de m'acharner contre elle, je me suis souvent fait un devoir agréable de louer quelquesuns de ses ouvrages. Car, malgré les injustices de M1 de Genlis envers moi, je me plais à être juste envers ellé. Je conviens avec plaisir qu'elle joint à un esprit distingué une instruction assez étendue; qu'elle écrit habituellement avec pureté, quelquefois avec grâce; qu'elle possède sur-tout le talent de peindre d'une manière intéressante, les mœurs, les habitudes, les ridicules de la bonne compagnie; qu'on s'aperçoit aisément qu'elle y a vécu long-tems et qu'elle l'a étudiée avec soin.

Mais je suis loin de partager toutes les opinions de Mme de Genlis, de m'associer à ses petites ambitions, de caresser cet esprit de tracasserie qui perce dans la plupart de ses écrits. J'ai même pris quelquefois la liberté de lui adresser de respectueuses remontrances sur ce beau système d'intolérance qu'elle voulait introduire dans la religion; sur certaines images voluptueuses qui me semblaient figurer assez mal dans des livres consacrés à la morale et à la piété; et quand j'ai parlé du Journal Imaginaire, je n'ai fait attention qu'au conte de Célestine, historiette d'une innocence et d'une naïveté si singulière, qu'aucune mère de famille n'oserait la laisser entre les mains de sa fille. J'ai constamment soutenu qu'on ne devait point introduire l'abomination de la désolation dans le lieu saint, et que c'était l'y mettre en quelque sorte que de traîner les augustes vérités de la religion dans la licence et la profanation des romans. Mm de Genlis s'est persuadée qu'elle me ferait je ne sais quel tort dans je ne sais quelle classe de la société, en

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