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état de choses. Malgré les horreurs dont elle est accompagnée, la lutte serait préférable à la consolidation d'un pied de paix qui amène à grands pas la ruine, la misère, la banqueroute des nations les plus riches et les plus puis

santes.

Si, pour ne pas allonger démesurément ce chapitre, nous nous bornons à examiner les conséquences du nouvel équilibre européen chez les trois peuples qui occupent en ce moment l'attention du monde civilisé, nous arrivons à des chiffres malheureusement trop démonstratifs.

Avant la guerre de 1870, l'Allemagne du Nord consacrait le chiffre de 340 millions de francs à son armée et à sa marine. Ces dépenses se sont élevées depuis d'une façon progressive; elles étaient l'an dernier de 610 millions, ce qui représente un surcroît de dépense de 270 millions. L'effectif a subi une augmentation de 50,000 hommes, et les lois présentées au Reischrath indiquent que ces sacrifices ne sont pas considérés comme suffisants pour la sécurité du nouvel empire.

Pendant ce temps, l'effectif de l'armée française a passé de 360,000 à 470,000 hommes, soit un accroissement de 110,000 hommes. Le budget de la guerre et de la marine a plus que doublé,

il n'était que de 397 millions, il a passé à 826, avec une augmentation de 429 millions.

Le budget russe s'est enflé également dans une proportion ruineuse. Il n'était que de 416 millions, il est actuellement de 785, ce qui représente un excédent de 369 millions.

A cette époque, l'armée russe ne comptait pas sous les drapeaux moins de 600,000 hommes sur le pied de paix.

Sans parler du reste de l'Europe, trois nations entretenaient à elles seules, il y a plus d'un an, un excédent de près de 300,000 hommes, sur les chiffres de 1870. En moins de 16 années, le nombre des hommes valides, retirés de la production, la plupart contre leur gré et nourris aux dépens des travailleurs, a augmenté de trois cent mille bouches rendues inutiles par la fièvre militaire.

Que serait-ce si on recommençait ce tableau à la fin de l'année courante, et si on y ajoutait tous les accroissements d'effectifs des nations qui se sont laissé entraîner à suivre l'exemple des trois principales parties intéressées au conflit. En effet, on ne saurait en citer une seule qui n'ait pas obéi au mouvement belliqueux, dont la présentation du septennat a donné le signal.

Eux-mêmes, les Etats-Unis, quoique généralement plus raisonnables, se sont cru obligés de

sacrifier au Moloch, car le Congrès de Washington a voté des fonds considérables pour la construction de canonnières destinées à la protection des côtes.

Mais l'augmentation écrasante des budgets militaires et maritimes est un mal véniel, auprès des flots de sang que fera verser une déclaration de guerre.

Nous savons, par une triste expérience, ce que furent les horreurs de cette immense conflagration, dont une femme, l'impératrice des Français, eut la singulière inspiration, de réclamer la maternité en disant le sourire sur les lèvres : « Cette guerre sera ma guerre ». Il ne serait peut-être point hors de propos de nous figurer ce que seraient les calamités déchaînées sur le genre humain, par une lutte dont le véritable auteur cherche à éviter le jugement de l'histoire, et dont il voudrait fixer la responsabilité précisément sur les hommes d'Etat, cherchant à éviter ces atroces épreuves.

M. Jules Simon les a développées avec beaucoup d'éloquence dans son article du 5 février du Matin.

On parle, dit l'illustre homme d'État, du premier Bonaparte, de ses batailles, de ses tueries. Quelles batailles! Alors il énumère avec un air

de mépris les pertes de la bataille d'Eylau, où il y eut 7,000 tués, 15,000 blessés, 15,000 prisonniers; en nombre rond, 50,000 hommes hors de combat dans les deux camps; puis il ajoute, en s'adressant au chancelier de l'empire d'Allemagne :

<< Ce n'est pas là la grande guerre; la grande guerre, c'est la vôtre, où cent mille hommes hors de combat sont remplacés par cent mille autres, et par cent mille autres encore, et puis, de nouveau, par d'autres centaines de mille hommes, accourant vers la mort par les trains rapides de tous les chemins de fer. »>

Quelle image, faisant oublier celle de la ballade allemande, qui a donné naissance à la légende les morts vont vite. En effet, les squelettes se contentaient alors de galoper sur la croupe du cheval maudit. Aujourd'hui, ils pourraient grimper sur le tender d'une locomotive.

Mais laissons continuer l'illustre secrétaire perpétuel de l'Académie :

«Que de cadavres ! que d'incendies! que de champs rendus stériles pour de longues années! que d'industries florissantes mises à mal! que de pères sans enfants! de femmes sans maris! de vieillards sans soutien ! Que d'orphelins, grands Dieux! Quelle perte pour les Etats! quelle ruine! Chaque coup de canon tiré coûte 4,675 fr.! Et les canons, les grands canons Krupp, l'épouvante de 1870, les voilà perdus, oubliés, remplacés par la roburite. »

Il faudrait avoir le cœur doublé du triple airain dont parle le poète pour ne pas être saisi d'horreur, d'effroi indicible, à l'idée de trois ou quatre millions d'infortunés se ruant malgré eux les uns sur les autres.

Il ne faut pas s'étonner qu'il se trouve des hommes infâmes, plus méprisables peut-être que ceux qui dépouillent les cadavres, pour exploiter ces lugubres perspectives.

Est-ce une paix, que la paix au milieu de semblables éventualités? Ne demande-t-on pas aux travailleurs d'avoir un courage semblable à celui de Jean Bart, fumant sa pipe sur un baril de poudre, quand on leur propose de continuer paisiblement leurs labeurs?

Evidemment il ne faut pas s'étonner que les paniques de Bourse soient si fréquentes, mais uniquement, peut-être, de ce qu'elles ne sont ni plus fréquentes, ni plus cruelles.

En tout cas, leur résultat est d'autant plus terrible, d'autant plus infaillible, qu'il dépend d'un seul homme de les provoquer, et que cet homme est maître de semer la perturbation et la ruine. Entre ses mains, la terreur financière est un moyen de destruction dont l'efficacité dépasse celle de la mélinite.

Il n'est pas difficile de voir que cette manière

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