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alliance, leurs vœux et leurs déterminations. Eloignés de toute vue d'ambition et de conquête, animés du seul désir de voir l'Europe reconstruite sur une juste échelle de proportion entre les puissances, décidés à ne point poser les armes avant d'avoir atteint le noble but de leurs efforts, ils manifestèrent la constance de leurs intentions par un acte public, et ils n'hésitèrent pas à s'expliquer vis-à-vis du gouvernement ennemi dans un sens conforme à leur immuable détermination.

Le gouvernement français se prévalut des explications franches des cours alliées pour témoigner des dispositions pacifiques. Il avait besoin sans doute d'en emprunter les apparences, pour justifier aux yeux de ses peuples les nouveaux efforts qu'il ne cessait de leur demander. Tout cependant prouvait aux cabinets alliés qu'il ne visait qu'à tirer parti d'une négociation apparente, dans l'intention de disposer l'opinion publique en sa faveur, et que la paix de l'Europe était loin encore de sa pensée.

Les puissances, pénétrant ces vues secrètes, se décidèrent à aller conquérir, sur le sol même de la France, cette paix tant désirée. Des armées nombreuses passèrent le Rhin; à peine eurent-elles franchi les premières barrières, que le ministre des relations extérieures de France se présenta aux avant-postes. Toutes les démarches du gouvernement français n'eurent plus dès lors d'autre but que de donner le change à l'opinion, de fasciner les yeux du peuple français sur ses véritables pensées, et de chercher à rejeter sur les alliés l'odieux des malheurs inséparables d'une guerre d'invasion.

La marche des événements avait donné à cette époque aux grandes cours le sentiment de toute la force de la ligue européenne. Les principes qui présidaient aux conseils des souverains alliés, dès leur première réunion pour le salut commun, avaient reçu tout leur développement. Rien n'empêchait plus qu'ils n'énonçassent les conditions nécessaires à la reconstruction de l'édifice social. Ces conditions ne devaient plus, à la suite de tant de victoires, former un obstacle à la paix. La seule puissance appelée à placer dans la balance de la paix des compensations pour la France, l'Angleterre, pouvait énoncer avec détail les sacrifices qu'elle était prête à faire à la pacification générale. Les

souverains alliés pouvaient espérer enfin que l'expérience du passé aurait influé sur un conquérant en butte aux reproches d'une grande nation, et pour la première fois, dans sa capitale, témoin de ses souffrances. Cette expérience pouvait l'avoir conduit au sentiment que la conservation des trônes se lie essentiellement à la modération et à la justice. Toutefois les souverains alliés, convaincus que l'essai qu'ils feraient ne devait pas compromettre la marche des opérations militaires, convinrent que ces opérations continueraient pendant la négociation. L'histoire du passé et de funestes souvenirs leur avaient démontré la nécessité de cette marche.

Leurs plénipotentiaires se réunirent à Châtillon avec celui du gouvernement français.

Bientôt les armées victorieuses s'avancèrent jusqu'aux approches de la capitale. Le gouvernement ne songea dans ce moment qu'à la sauver d'une occupation ennemie. Le plénipotentiaire de France reçut l'ordre de proposer un armistice fondé sur des bases conformes à celles que les cours alliées jugeaient ellesmêmes nécessaires au rétablissement de la paix générale. Il offrit la remise immédiate de places fortes dans les pays que la France céderait, le tout à la condition d'une suspension des opérations militaires.

Les cours alliées, convaincues par vingt années d'expérience, que, dans les négociations avec le cabinet français, les apparences doivent être soigneusement séparées des intentions, déclinèrent cette proposition d'armistice; elles offrirent de signer sur-lechamp les préliminaires de la paix. Cette signature avait pour la France tous les avantages d'un armistice, sans entraîner pour les alliés les inconvénients d'une suspension d'armes.

Quelques succès partiels venaient cependant de marquer les premiers pas d'une armée formée, sous les murs de Paris, de la fleur de la génération actuelle, dernière espérance de la nation, et des débris d'un million de braves, morts sur les champs de bataille, ou abandonnés sur les grandes routes depuis Lisbonne jusqu'à Moscou, et sacrifiés à des intérêts étrangers à la France. Aussitôt les conférences de Châtillon-changèrent de caractère; le plénipotentiaire français demeura sans instructions, et fut hors

d'état de répondre aux propositions des cours alliées. Les vues du gouvernement français paraissant claires aux puissances, elles se décidèrent pour une marche prononcée, la seule qui fût digne d'elles, de leur force, et de la droiture de leurs intentions. Elles chargèrent leurs plénipotentiaires de remettre un projet de traité préliminaire renfermant toutes les bases qu'elles jugeaient nécessaires pour le rétablissement de l'équilibre politique, et qui, peu de jours auparavant, avaient été offertes par le gouvernement français lui-même, dans un moment où il croyait sans doute son existence compromise. Les principes de la reconstruction de l'Europe se trouvaient établis dans ce projet. La France, rendue aux dimensions que des siècles de gloire et de prospérité, sous la domination de ses rois, lui avaient assurées, devait partager avec l'Europe les bienfaits de la liberté, de l'indépendance nationale et de la paix. Il ne dépendait que de son gouvernement de mettre, par un seul mot, un terme aux souffrances de la nation, de lui rendre, avec la paix, ses colonies, son commerce et le libre exercice de son industrie. Voulait-il plus? Les puissances s'étaient offertes à discuter, dans un esprit de conciliation, ses vœux sur des objets de possession d'une mutuelle convenance qui dépassaient les limites de la France avant les guerres de la révolution.

Quinze jours se passèrent sans réponse de la part du gouvernement français. Les plénipotentiaires alliés insistèrent sur un terme péremptoire pour l'acceptation ou le refus des conditions de la paix. On laissa au plénipotentiaire français la latitude de présenter un contre-projet qui répondît à l'esprit et à la substance des conditions proposées par les cours alliées. Le terme du 10 mars fut fixé d'un commun accord. Le plénipotentiaire français ne produisit, à l'échéance du terme, que des pièces dont la discussion, loin de rapprocher du but, n'eût fait que prolonger de stériles négociations. Un nouveau terme de peu de jours fut accordé à la demande du plénipotentiaire de France. Le 15 mars enfin ce plénipotentiaire remit un contre-projet qui ne laissa plus de doute que les malheurs de la France n'avaient pas encore changé les vues de son gouvernement. Revenant sur ceux qu'il avait proposés lui-même, le gouvernement français

demanda, dans ce nouveau projet, que des peuples étrangers à l'esprit français, des peuples que des siècles de domination ne fondraient pas dans la nation française, continuassent à en faire partie. La France devait conserver des dimensions incompatibles avec l'établissement d'un système d'équilibre, et hors de toute proportion avec les autres grands corps politiques en Europe. Elle devait garder les positions et les points offensifs au moyen desquels son gouvernement avait, pour le malheur de l'Europe et de la France, amené la chute de tant de trônes dans les dernières années, et opéré tant de bouleversements. Des membres de la famille régnante en France devaient être replacés sur des trônes étrangers; le gouvernement français enfin, ce gouvernement qui depuis tant d'années n'a pas moins cherché à régner sur l'Europe, en semant la discorde, que par la force des armes, devait rester l'arbitre des rapports intérieurs et du sort des puissances de l'Europe.

Les cours alliées, en continuant la négociation sous de tels auspices, eussent manqué à tout ce qu'elles se doivent à elles-mêmes; elles eussent, dès ce moment, renoncé au but glorieux qu'elles se proposent; leurs efforts n'eussent plus tourné que contre leurs peuples. En signant un traité sur les bases du contre-projet français, les puissances eussent trompé l'attente de leurs peuples et la confiance de leurs alliés.

C'est dans un moment aussi décisif pour le salut du monde que les souverains alliés renouvellent l'engagement solennel qu'ils ne poseront pas les armes avant d'avoir atteint le grand objet de leur alliance. La France ne peut s'en prendre qu'à elle-même des maux qu'elle souffre. La paix seule pourra fermer les plaies que l'esprit de domination universelle de son gouvernement, sans exemple dans les annales du monde, lui a faites. Cette paix sera plus que jamais celle de l'Europe. Il est temps enfin que les princes puissent, sans influence étrangère, veiller au bien-être de leurs peuples; que les nations respectent leur indépendance réciproque; que les institutions sociales soient à l'abri de bouleversements journaliers, les propriétés assurées et le commerce libre. L'Europe entière ne forme qu'un vou; ce vœu est l'expression du premier besoin de tous les peuples. Tous sont réunis pour le

soutien d'une seule et même cause cette cause triomphera du seul obstacle qui lui reste à vaincre.

Déclaration de l'empereur de Russie, lors de l'entrée des alliés à Paris. (1814.)

Les armées des puissances alliées ont occupé la capitale de la France. Les souverains alliés accueillent le vœu de la nation française.

Ils déclarent:

Que si les conditions de la paix devaient renfermer de plus fortes garanties lorsqu'il s'agissait d'enchaîner l'ambition de Bonaparte, elles doivent être plus favorables lorsque, par un retour vers un gouvernement sage, la France elle-même offrira l'assurance de ce repos.

Les souverains alliés proclament en conséquence:

Qu'ils ne traiteront plus avec Napoléon Bonaparte ni avec aucun membre de sa famille;

Qu'ils respectent l'intégrité de l'ancienne France, telle qu'elle a existé sous ses rois légitimes: qu'ils peuvent même faire plus, parce qu'ils professent toujours le principe que, pour le bonheur de l'Europe, il faut que la France soit grande et forte;

Qu'ils reconnaîtront et garantiront la constitution que la nation française se donnera. Ils invitent en conséquence le sénat à désigner un gouvernement provisoire qui puisse pourvoir aux besoins de l'administration et préparer la constitution qui conviendra au peuple français.

Les intentions que je viens d'exprimer me sont communes avec toutes les puissances alliées.

Par Sa Majesté impériale:

ALEXANDRE.

Le secrétaire d'État, comte de Nesselrode.

Paris, 31 mars 1814, trois heures après midi.

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