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voit avec effroi les couronnes et les sceptres brisés au premier signe de sa volonté ; le souverain pontife est renversé de sa chaire sacrée, et prisonnier; le vieux roi d'Espagne et sa famille languissent dans l'exil et la pauvreté ; Ferdinand VII, son fils, est captif à Valençay; la reine d'Étrurie est indignement détenue dans un couvent; Murat est assis sur le trône des Bourbons de Naples; le Portugal a vu ses souverains fugitifs chercher à travers les mers un asile contre le déprédateur du continent; le monarque qui régnoit sur la Suède est errant en Europe; Napoléon déchire jusqu'aux couronnes qu'il a tressées de ses propres mains; le roi de Hollande, retombé dans la vie privée, oublie loin de son frère les actes de sa tyrannie; Joseph se déclare las du sceptre qu'il porte. Les autres sceptres tiennent à peine dans les mains des monarques que Napoléon a créés, ou qu'il a soumis à ses alliances: il leur impose ses décrets; leurs trésors et leurs armées sont à lui; il les mande, les renvoie, les rappelle au gré de ses caprices, et ses caprices sont nombreux. Ils tremblent à sa voix; ils s'indignent de leurs chaînes; mais ils obéissent. Un seul monarque n'a pas encore subi le joug; sa puissance balance encore celle de Napoléon; ses armées sont aussi

nombreuses et ses soldats aussi braves; il veut bien être son égal et son allié, mais non son sujet, encore moins son esclave: il consent à partager avec lui l'empire du monde; mais Napoléon ne veut point de partage; et comme il dispose de toutes les forces de l'Europe, il est résolu de les rassembler et de les faire tomber de tout leur poids sur les vastes Etats de son indocile rival. Les douceurs de l'hymen, les tendres soins de la paternité ne sauroient l'arrêter.

Dès le milieu de 1811, il étoit facile de s'apercevoir qu'il méditoit de grands desseins. On formoit d'immenses magasins; on rassembloit des quantités considérables de vivres, de fourrages, d'équipages de guerre; on établissoit des parcs d'artillerie formidables; toute l'Allemagne étoit animée d'un mouvement extraordinaire. On parloit, en général, d'une grande expédition : menaçoit-elle Constantinople, l'Égypte, les Grandes- Indes, la Russie? les esprits flottoient dans ces pensées diverses. Jamais Napoléon n'avoit été occupé d'aussi grands préparatifs; mais il couvroit ses desseins d'un profond secret. Cependant," les esprits attentifs ne s'y trompoient pas. Confiant dans ses forces, Alexandre bravoit les décrets de Berlin et de Milan, et souffroit,

pour l'avantage de ses sujets, le commerce avec l'Angleterre : il n'avoit vu qu'avec inquiétude les progrès de Napoléon dans le nord de l'Allemagne, et son mécontentement avoit éclaté lorsque les villes anséatiques et le duché d'Oldembourg avoient été réunis à la France, sans que l'on eût daigné consulter les cabinets de l'Europe.

Une circonstance particulière ne laissa pas de doutes à ceux qui savent observer. Après la réunion de la Hollande à la France, Napoléon crut devoir visiter ses nouveaux Etats, et aller y poser lui-même les premiers fondemens de sa puissance: il étoit accompagné de l'impératrice et de sa suite. Dans le cours de ses voyages, on lui prépara une chambre à coucher où se trouvoit un buste d'Alexandre dès qu'il l'aperçut, il le prit dans ses mains comme pour le déplacer. Une dame

lui

ayant demandé ce qu'il en vouloit faire : Tout ce qui vous plaira, lui dit-il, pourvu « que je ne le voie pas. » Souvent aussi, dans l'abandon de ses entretiens familiers, il trahissoit lui-même son secret. « Dans cinq ans,

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disoit-il au mois de novembre 1811, à l'archevêque de Malines, je serai le maître du monde. Il ne reste que la Russie; mais je

« l'écraserai. >>

D'ailleurs, on n'avoit point caché au Corps législatif que les dépenses de la guerre s'étoient accrues, dans le cours de l'année, de cent millions, à cause de la guerre qu'on alloit entreprendre dans le Nord. Les princes de la confédération du Rhin rassembloient leurs milices, pressoient la rentrée de leurs contributions, formoient leurs magasins; les premières opérations de 1812 ne laissèrent plus d'incertitude sur les ennemis que Napoléon se proposoit de combattre.

L'arrière instinct qui lui avoit rendu pénible et désagréable l'élévation du maréchal Bernadote, agissoit fortement sur lui : ce n'étoit qu'avec une peine extrême qu'il l'avoit vu partir pour occuper un trône qu'il ne tenoit pas de ses mains. Dans leur dernière entrevue, Napoléon avoit essayé de faire entrer le prince royal dans ses intérêts; mais celui-ci, qui connoissoit son interlocuteur, s'étoit retranché sur la nécessité de bien connoître l'état de la Suède avant de rien promettre en son nom. Napoléon s'étoit engagé à lui laisser toutes ses dotations en Pologne, à lui donner trois millions en échange de sa principauté de PonteCorvo, et lui avoit remis, avant son départ, un million, des lettres d'émancipation, et la permission d'emmener avec lui ses aides-de

que

camp. Mais l'arrière-instinct revenoit toujours. A peine Bernadote étoit-il arrivé en Suède, le roi Charles XIII fut accablé de notes diplomatiques et de demandes impérieuses de la part de Napoléon. Pour faire cesser toute cette guerre de papiers, le conseil de Charles XIII proposa à ce prince une déclaration de guerre contre l'Angleterre, et l'on a vu plus haut qu'il s'y détermina. Ce sacrifice ne parut pas suffisant à Buonaparte; il exigeoit que la Suède, sans argent, sans soldats, sans marine, au milieu de la détresse où l'avoit plongée la belliqueuse chevalerie du jeune Gustave, reprît les armes, et les portât pour lui et ses intérêts. En vain le prince royal essaya-t-il d'opposer à la violence de ces prétentions, les argumens les plus sages, Napoléon ne voulut rien écouter. Les dotations furent retirées; les deux millions promis ne furent point payés; les aides-de-camp furent rappelés, et le courroux de Napoléon s'exalta à un tel point, qu'il ne conçut rien moins que l'idée de faire enlever le prince royal au milieu de la cour de Suède, et de l'enfermer dans une de ses citadelles; il osa même, dans l'égarement de sa colère, s'exprimer publiquement à ce sujet, en disant à ses courtisans que ce prince royal l'ennuyoit, et qu'il pourroit bien lui faire

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