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qu'avec peine, après un débat vif et prolongé. Il avait eu le dessous dans cette discussion, et sa majorité s'était trouvée faible au scrutin. On était déjà loin de l'unanimité des premiers jours de la Restauration. Une puissante opposition se dessinait dans les deux Chambres. Cette opposition s'était comptée; elle connaissait sa force; elle avait excité de nombreuses sympathies au dehors; elle avait dans le cri de la liberté son mot d'ordre et de ralliement. Sans doute, dans tous ces débats, le nom du Roi avait été prononcé par toutes les nuances d'opinions avec respect, et la royauté avait été laissée en dehors et au-dessus de la discussion. Mais le gouvernement royal avait été vivement attaqué dans ses tendances et dans ses actes, et l'inhabileté du ministère, l'inexpérience politique des Chambres, leur goût pour la popularité, la division et l'excitation des esprits, avaient paru d'une manière fâcheuse dans. cette occasion.

II

RAPPORT SUR LA SITUATION DU ROYAUME. BUDGETS DE 1814 ET DE 1815. LOI SUR LA RESTITUTION DES BIENS NATIONAUX NON VENDUS.

La discussion de la loi sur la presse n'avait pas encore commencé quand les Chambres eurent à s'occuper de deux sujets d'une haute importance. Le ministre vint présenter, le 12 juillet, au nom du Roi, le tableau de la situation de la France', de

1. M. Guizot dit dans ses Mémoires : « La Charte promulguée, je demandai à l'abbé de Montesquiou s'il ne serait pas bon que le Roi fit mettre sous les yeux des Chambres un exposé de la situation dans laquelle à l'intérieur il avait trouvé la France, constatant ainsi les résultats du régime qui l'avait précédé et faisant pressentir l'esprit de celui qu'il voulait fonder. L'idée plut au ministre, le Roi l'agréa. Je me mis aussitôt à l'œuvre; le ministre travailla aussi de son côté. »

mandé par un député, M. Dumolard, et le budget fut apporté à la Chambre le 22 juillet suivant.

Le tableau de la situation du royaume était, à proprement parler, le triste inventaire des blessures que l'Empire laissait à la France. Comme les héritiers qui recueillent une succession embarrassée et chargée d'un arriéré immense, la royauté, c'était son droit, constatait la situation dans laquelle elle prenait la fortune du pays. L'état des levées d'hommes ordonnées depuis la fin de la campagne de Russie seulement, atteignait le chiffre effrayant de un million trois cent mille hommes'. « Il est impossible d'évaluer l'effroyable consommation d'hommes qu'a faite le dernier gouvernement, disait le ministre avec vérité, les fatigues et les maladies en ont enlevé autant que la guerre les entreprises étaient si courtes et si rapides, que tout était sacrifié au désir d'en assurer le succès. Des levées d'hommes qui, autrefois, auraient formé des armées, disparaissaient sans prendre part au combat; de là, la nécessité de multiplier les levées d'hommes, pour remplacer sans cesse par des armées nouvelles des armées presque anéanties. On a vu, avec un étonnement mêlé de terreur, un peuple civilisé condamné à échanger son bonheur et son repos contre la vie errante des peuples barbares. Les liens de famille ont été rompus; les pères ont vieilli loin de leurs enfants et les enfants sont allés mourir à quatre cents lieues de leur père. Aucun espoir de retour n'adoucissait cette affreuse séparation: on

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était habitué à la regarder comme éternelle, et l'on a vu des paysans bas-bretons, après avoir conduit leurs enfants jusqu'au lieu du départ, venir, dans l'église de leur paroisse, dire d'avance les prières des morts'. »

L'arriéré financier de l'Empire s'élevait, d'après le rapport du ministre au Roi, à 1,308,156,500 francs 2. Sur cette

1. Ce souvenir est resté poignant et douloureux en Bretagne, et Brizeux en a fait le sujet d'un de ses chants les plus remarquables dans les Bretons. Ban-gor, qu'il appelle le roi de la Bombarde, psalmodie ainsi, sur un air doux et plaintif, le chant du départ des conscrits:

Un temps fut (que jamais, Seigneur, il ne renaisse)
Ou tous ceux de vingt ans maudissaient leur jeunesse.
Par bande chaque année on les voyait partir :
Hélas! on ne voyait aucun d'eux revenir.
Lorsque ceux de Plo-meur pour ces grandes tueries
Furent marqués: Le loup est dans nos bergeries,
Dirent-ils en pleurant, soumettons-nous au mal,
Et tendons notre gorge aux dents de l'animal. »
Ils dirent au curé : « Nous partirous dimanche,
Prenez pour nous bénir l'étole noire et blanche; »
A leurs parents: Mettez vos vêtements de deuil ; »
Au menuisier Clouez pour nous tous un cercueil. »
Horrible chose! on vit traversant la bruyère
Ces jeunes gens porteurs eux-mêmes de leur bière;
Ils menaient le convoi qui priait sur leur corps,
Et vivants ils disaient leur office des morts.

(Les Bretons, chant XX*.)

2. Il se composait: 1° de tous les excédants des dépenses sur les recettes pendant les années 1809, 1810, 1811, 1812, 1813; 2o de l'excédant de dépenses prévu pour 1814; 3° du capital des cautionnements et des dépôts versés dans les caisses publiques. Parmi les sommes qui figuraient sur cet arriéré, on trouvait celles dues au domaine extraordinaire et au trésor de la couronne impériale: Napoléon se faisait sa part dans les contributions de guerre levées sur les peuples vaincus, après des triomphes obtenus avec le sang et l'argent de la France, et c'est ainsi qu'il avait pu prêter à l'État, en 1813 et dans les trois premiers mois de 1814, la somme de 244,164,500 francs, somme que le ministre des finances, dans son rapport au Roi, déclarait avec raison non remboursable, car ce n'était que par une fiction qu'on avait pu détourner du trésor public les contributions de guerre qui devaient y entrer. Le capital des cautionnements et des dépôts, non immédiatement exigible, s'élevait à 246,535,000 fr. Il fallait aussi tenir compte de la somme de 12,228,000 fr. existant en caisse le 1er avril 1814, des arrérages arriérés de la dette publique et des intérêts arriérés de cautionnements pendant l'année 1813, qui montaient à 46,000,000 fr.

somme, 759,175,000 francs étaient immédiatement exigibles. A une époque où les moyens financiers et la science même de la finance étaient enfermés dans des bornes étroites, cet arriéré parut énorme. Le squelette financier, se montrant dans toute sa difformité et sans voile, dit un contemporain, consterna les imaginations'.

Dans ce tableau, tous les ministères étaient successivement passés en revue. En constatant les souffrances que la rupture des rapports avec l'étranger avait imposées à l'industrie et au commerce, le ministre entrait dans quelques détails. La fabrique de Lyon, qui avait quinze mille métiers en activité en 1787, n'en comptait plus que huit mille pendant la dernière guerre. Les manufactures de cuirs, de draps, de toiles, ces dernières, surtout en Bretagne, n'avaient pas moins souffert de l'absence complète d'exportation; les départements étaient courbés sous le poids des centimes additionnels, qui ajoutaient à leur charge de 45 à 72 centimes par chaque franc de contribution publique. Encore, sur ces fonds destinés à subvenir à leurs routes, à leurs prisons, à leurs canaux, aux frais de tribunaux, d'administration, de culte, de mendicité, leur avait-on enlevé une somme de 60 millions, pour être mise dans le Trésor. Les frais du ministère de la guerre, divisé en deux sections, l'une le ministère de la guerre proprement dit, l'autre l'administration de la guerre, avaient été calculés, pour 1814, sur le pied de 740 millions. La guerre de 1812 et 1813 avait détruit, en effets d'artillerie et d'approvisionnements de guerre de tout genre, un capital de 250 millions. Tous nos arsenaux maritimes étaient entièrement démunis. On avait dis

Donc, quoique l'arriéré s'élevât à 1,308,156,500 fr., il y avait 244,164,500 fr. à déduire d'une manière absolue, puisqu'il n'y avait pas à les réclamer; 304,817,000 fr. dont le remboursement pouvait être différé, et 759,175,000 fr. immédiatement exigibles.

1. M. Bignon, État financier de la France, 1814.

sipé l'immense mobilier naval que Louis XVI avait soigneusement fait préparer lors de la paix de 1783, et, depuis quinze ans, la France avait perdu, en entreprises mal conçues et mal exécutées, quarante-trois vaisseaux de guerre, quatre-vingtdeux frégates, soixante-seize corvettes, et soixante-deux bâtiments de transport ou avisos, qu'on ne remplacerait pas avec 200 millions. On avait, en outre, amoindri la population maritime, en donnant à nos équipages l'organisation des régiments de ligne, et en les envoyant combattre et mourir au Nord et au Midi dans des guerres continentales.

Puis, après l'inventaire des plaies matérielles de la France, venait un coup d'œil rapide jeté sur ses blessures morales. << La morale, comme la richesse publique, disait le ministre, ne saurait échapper à l'influence funeste d'un mauvais gouvernement. Celui qui vient de finir a comblé, dans ce genre, tous les maux qu'avait causés la Révolution. Il n'a rétabli la religion que pour en faire une arme à son usage. L'instruction publique, soumise à la même dépendance, n'a pu répondre aux efforts du corps respectable qui la dirige. Ces efforts ont été sans cesse entravés par un despotisme qui voulait dominer tous les esprits pour asservir sans obstacle toutes les existences. L'éducation nationale a besoin de reprendre une tendance plus libérale, pour se maintenir au niveau des lumières de l'Europe. Que ne peut-on rendre aussi tout d'un coup à la France ces habitudes morales et cet esprit public que de cruels malheurs et une longue oppression y ont presque anéantis! Les sentiments nobles ont été opprimés, les idées généreuses étouffées. Non content de condamner à l'inaction les vertus qu'il redoutait, le gouvernement a excité et fomenté les passions qui pouvaient le servir; pour éteindre l'esprit public, il a appelé à son aide l'intérêt personnel. Il n'a pas laissé d'autre état que celui de le servir, d'autres espérances que celles qu'il pouvait seul réaliser. »

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