Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

qui s'ouvre, afin « de lui donner carte blanche pour conduire les négociations à une heureuse fin, sauver la capitale et éviter une bataille où sont les dernières espérances de la nation'. >> Mais cette dépêche, par sa latitude même et le vague des expressions, laisse le duc de Vicence dans le doute sur les circonstances où l'Empereur se trouve et sur l'étendue des sacrifices auxquels son plénipotentiaire doit souscrire pour obtenir un armistice, et ensuite la paix. Il s'en plaint dans sa réponse 2. Il écrit à Berthier: « Parlez-moi clair, mon prince; avez-vous encore une armée 3? » Il hésite à souscrire aux conditions imposées; il louvoie, comme il dit, entre deux écueils.

Ce n'est pas sans raison qu'il hésite. Le 7 février, Napoléon est à Nogent: c'est là qu'il reçoit, le 8, le protocole de Châtillon du 7 février, ainsi conçu : « Les puissances alliées, réunissant le point de vue de la sûreté et de l'indépendance future de l'Europe avec le désir de voir la France dans un état de possession analogue au rang qu'elle a toujours occupé dans le système politique, et considérant la situation dans laquelle l'Europe se trouve placée à l'égard de la France, à la suite des succès obtenus par leurs armes, les plénipotentiaires des cours alliées ont ordre de demander: « que la France rentre dans les « limites qu'elle avait avant la Révolution...; qu'en consé

quence, elle abandonne toute influence directe hors de ses <«< limites futures, et que la renonciation à tous les titres qui << ressortent des rapports de souveraineté et de protectorat sur

1. Ce sont les termes de la lettre du duc de Bassano, datée de Troyes le 5 février 1814. Le ministre s'exprime ainsi : « Au moment où Sa Majesté va quitter cette ville, elle me charge de vous faire connaître en propres termes que Sa Majesté vous donne carte blanche. »

[ocr errors]

2. Cette réponse est datée du 6 février 1814: On me retenait, et l'on m'aiguillonne. Cependant on me laisse ignorer les motifs de ee changement. Ignorant la vraie situation des choses, je ne peux juger ce qu'elle exige et ce qu'elle permet. Cet état d'anxiété aurait pu m'être épargné par des informations que votre lettre ne contient pas. »

3. Cité dans la Vie d'Hauterive.

«l'Italie, l'Allemagne et la Suisse soit une suite immédiate de « cet arrangement. »>

Le prince de Neuchâtel et le duc de Bassano supplient en vain Napoléon d'autoriser le duc de Vicence à traiter sur ces bases. «Quoi! leur dit-il, vous voulez que je signe un pareil traité, que je foule aux pieds mon serment ! Des revers inouïs ont pu m'arracher la promesse de renoncer aux conquêtes que j'ai faites; mais que j'abandonne aussi celles qui ont été faites avant moi, que je viole le dépôt qui m'a été remis avec tant de confiance, que, pour prix de tant d'efforts, de sang et de victoires, je laisse la France plus petite que je l'ai trouvée; jamais! Le pourrais-je sans trahison et sans lâcheté? Vous êtes effrayés de la continuation de la guerre, et moi je le suis des dangers plus certains que vous ne voyez pas. Si nous renonçons à la limite du Rhin, ce n'est pas seulement la France qui recule, c'est l'Autriche et la Prusse qui s'avancent. La France a besoin de la paix; mais celle qu'on veut lui imposer entraînera plus de malheurs que la guerre la plus acharnée. Songez-y! que serai-je pour les Français, quand j'aurai signé leur humiliation? Que pourrai-je répondre aux républicains du Sénat, quand ils viendront me demander leur frontière du Rhin? Dieu me préserve de tels affronts! Répondez à Caulaincourt, puisque vous le voulez; mais dites-lui que je rejette ce traité. Je préfère courir les chances les plus rigoureuses de la guerre 2! »

La première pensée de Napoléon, lorsqu'il s'était agi, le 13 janvier 1814, des anciennes limites de la France avant 1792, avait été celle-ci : « Les Bourbons seuls peuvent donner des

[ocr errors]

1. Le serment que Napoléon avait prononcé à son couronnement était ainsi conçu: « Je jure de maintenir l'intégrité du territoire de la République, et de gouverner dans le seul but de l'intérêt, du bonheur et de la gloire du peuple français. »

2. Manuscrit de 1814, par le baron Fain, page 110.

garanties du maintien de ce système. » Cette pensée s'explique dans la scène violente du 9 février devant Berthier et Maret. Napoléon reconnaît qu'il ne peut pas régner à l'intérieur, en signant le traité, parce qu'il y perd le véritable titre de sa puissance, son titre de victorieux et de conquérant. « Que répondrai-je aux républicains du Sénat?» Tout est là. Son droit, c'est la victoire; s'avouer vaincu, c'est abdiquer.

Vivement pressé par le prince de Neuchâtel et le duc de Bassano, il permet enfin qu'on réponde à son plénipotentiaire de manière à lui laisser la faculté au moins de continuer la négociation. Mais cette concession, plus apparente que réelle, est bientôt retirée. Napoléon sait qu'après la bataille de la Rothière les deux grandes armées coalisées se sont bientôt disjointes. La coalition, avec ses forces énormes, a, en effet, les inconvénients inhérents à toutes les coalitions : l'unité de conseils, de direction, d'impulsion, d'efforts lui manque. Blücher pousse l'impatience d'agir jusqu'à l'impétuosité, la confiance. jusqu'à la témérité; Schwarzenberg est excessif dans la prudence, comme Blücher dans l'ardeur. La diversité de la politique des deux cabinets concourt avec la diversité des caractères des deux généraux à rendre plus difficile une action commune. La politique de la Prusse, c'est la guerre à outrance jusqu'au renversement de Napoléon; la politique de l'Autriche, c'est une guerre méthodique pour arriver à une paix qui restreigne la puissance de la France. Entre deux hommes dont l'un se précipite, tandis que l'autre ralentit son pas, la marche en commun est impossible. C'est ce qui a décidé la séparation du lent et circonspect Schwarzenberg et de l'impétueux Blücher. Le second, après avoir rallié les différents corps de son armée entre Arcis-sur-Aube et Châlons, s'avance vers Paris, en descendant le cours de la Marne. Il est entré dans la Brie champenoise; le duc de Tarente se retire sur la Ferté-sous-Jouarre; les fuyards de son armée arrivent à

Meaux. Les Autrichiens, partis de Troyes, descendent plus lentement le cours de la Seine. Ce sont comme deux grandes avalanches de baïonnettes qui roulent vers Paris, Calculant son plan de campagne sur cette séparation, Napoléon transporte son armée comme une digue mobile sur le point qui lui semble le plus menacé. C'est Blücher qui s'avance le plus vite, et qui menace de plus près la capitale. Penché sur ses cartes, Napoléon étudie les chemins qui doivent le conduire contre Blücher. C'est dans cette occupation que le duc de Bassano le trouve, quand, le 9 février 1814, au matin, il lui présente les dépêches pour le duc de Vicence: «Ah! vous voilà, lui dit Napoléon. Il s'agit bien maintenant d'autre chose! Je battais Blücher de l'œil, et je le tiens; s'il avance par la route de Montmirail, je le battrai demain, je le battrai après-demain. Si ce mouvement a le succès qu'il doit avoir, l'état des affaires va changer, et nous verrons alors! En attendant, laissez Caulaincourt avec les pouvoirs qu'il a. »

Alors il commence à exécuter cette suite de mouvements croisés qui doit finir, quoi qu'il fasse, par le perdre. C'est un tour de force que d'arrêter; avec une seule armée, deux armées très-supérieures en nombre, qui marchent par des chemins différents, c'est-à-dire d'être à la fois où l'on est et où l'on n'est pas, plus fort que deux ennemis, quand chacun d'eux est plus fort que vous. Mais il ne faut abuser des tours de force nulle part, surtout à la guerre. Ces deux armées, auxquelles il arrive sans cesse des renforts sur leurs derrières, peuvent perdre des hommes et marcher toujours en avant, même après un échec. Un moment viendra où elles se rejoindront à peu de distance de Paris, et alors l'armée de Napoléon, usée par ses combats continuels, sera moins en mesure que jamais de les arrêter. Or, il ne faut pas l'oublier, pendant qu'il use ses forces et ses journées dans ces mouvements sur les flancs des alliés, Paris reste à découvert et se sent menacé. Les idées fer

mentent, les intérêts s'inquiètent, les espérances s'agitent. L'Empereur doit savoir qu'il ne peut compter sur personne pour organiser la défense de Paris, et pour mettre en valeur les ressources des départements situés de l'autre côté de cette ville. Il connaît, et ses plus dévoués serviteurs ne le lui ont pas caché, la lassitude publique, l'ardeur avec laquelle on appelle la paix. Il doit penser que s'il n'organise pas la défense de Paris, Paris ne sera pas défendu. Si Paris lui échappe, il ne doit point se cacher qu'avec le système de centralisation qu'il a luimême contribué à pousser si loin, sa cause est perdue. Il en a la conscience au début de la campagne '.

Il n'appartient qu'aux hommes de l'art de juger les fautes militaires; les fautes contre la raison générale des choses relèvent de tous les juges. Se séparer de Paris sans organiser, sans assurer sa défense, c'était le perdre; perdre Paris, c'était tout perdre. Le vice de la conception de la campagne de 1814, trop louée par les historiens, est là.

Napoléon, dans les journées des 10, 11, 12, 13 février, bat les divers corps de l'armée prussienne à Champaubert, à Montmirail, où il a trouvé Blücher lui-même. Mais il apprend que, depuis qu'il a quitté Nogent, Schwarzenberg a passé la Seine. Paris est toujours dans l'épouvante; seulement, au lieu de craindre l'arrivée des Prussiens, il craint l'arrivée des Autrichiens. Il faut se hâter de quitter Blücher, et courir sus aux Autrichiens. Parti de Montmirail le 14 février, l'Empereur les atteint le 16 à Guignes, sur la petite rivière de Yères, entre

1. Le duc de Raguse rapporte dans ses Mémoires le fait suivant : « Avant le départ de l'Empereur pour l'armée, M. Mollien lui dit : « Le peu de moyens avec lesquels vous commencez la campagne peut faire redouter que l'ennemi « ne vienne dans le cœur de la France, et que les Cosaques ne gênent les communications avec Paris. Ne serait-il pas convenable de transporter le trésor « sur la Loire, afin que le service ne pût pas manquer? » --- - L'Empereur lui répondit en lui frappant sur l'épaule : « Mon cher, si les Cosaques viennent « devant Paris, il n'y a plus ni empire ni empereur. » (Tome VI, page 53.)

« ZurückWeiter »