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Les conséquences de toutes ces mesures étaient également funestes aux intérêts commerciaux et aux intérêts politiques. Alors même qu'elles n'en auraient pas mis l'auteur en opposition avec la nature même, qui veut l'échange des produits de tous les climats, elles le mettaient en contradiction avec toute notre civilisation. Elle était liée au commerce par les nœuds les plus étroits; et le commerce ayant dès longtemps embrassé le monde entier, il ne pouvait sans complétement s'anéantir redevenir un misérable trafic local. Qu'était tout le commerce du pastel et de la betterave auprès de celui des deux Indes? Les manufactures nationales, ou du moins quelques-unes, y gagnaient, diton, mais les profits des fabricants sont-ils toujours les plus avantageux aux peuples, si les produits livrés à la consommation ne sont pas de meilleure qualité et à meilleure marché que ceux que fournit l'étranger?

Sous le point de vue politique, le système continental n'était pas moins faux, parce qu'il reposait sur une double supposition gratuite, savoir que le commerce extérieur des Anglais est la source principale de leurs bénéfices et qu'il serait anéanti si le continent lui était fermé. L'expérience a prouvé le contraire. Quand on aurait tari la source de quelques profits, un peuple qui règne sur toutes les mers devait pouvoir facilement s'ouvrir d'autres débouchés hors de l'Europe. Apprendre à l'Angleterre qu'elle parviendrait à se passer, du moins pour longtemps, de l'Europe, n'était-ce pas lui révéler le secret qui devait la rendre invincible à ses propres yeux?

Il était non moins facile de prévoir les suites inévitables du système continental pour la puissance même du dominateur. La ruine totale du continent en aurait été l'effet. Mais, avec quelque rigueur qu'on voulût la maintenir, une telle violence ne pouvait avoir une

longue durée. Le sentiment d'une pareille oppression ne pouvait qu'amener d'abord, des plaintes, et, bientôt après, une résistance d'autant plus vive qu'on aurait pris plus de soins pour s'y opposer. C'est encore ici un spectacle instructif que celui de la tyrannie devenant la mère de la liberté !

On a vu plus haut que des modifications conditionnelles avaient été adoptées, par la France et par l'Angleterre, à l'égard des États-Unis d'Amérique. Des considérations que nous développerons en parlant de la guerre qui éclata en 1812, entre ces deux dernières puissances, déterminèrent Napoléon à rapporter, le 28 avril 1811, les décrets de Berlin et de Milan à l'égard des vaisseaux américains; de son côté, le gouvernement britannique révoqua, par un ordre du Conseil du 23 juin 1812, les ordres du Conseil, antérieurs du 7 janvier 1807 et du 26 avril 1809, en faveur de tous les navires américains et de leurs cargaisons étant propriétés américaines.

Mais, envers l'Europe entière, pour Napoléon, le système continental demeurait sa pensée dominante; c'était là, pour ainsi dire, comme à la clef d'une voûte, qu'aboutissaient de son gré, ou malgré lui, tous ses plans, toutes ses tentatives, tous les mouvements qu'il exécuta ou qu'il imprima. Aussi, lorsque, au mois de mars 1812, Napoléon voudra, par un sénatus-consulte, organiser la garde nationale de la France, et demandera la levée de cent cohortes du premier ban, c'est encore sur la nécessité « d'assurer la prépondérance de l'Empire et de maintenir les décrets de Berlin et de Milan, si funestes à l'Angleterre » que s'appuieront les rapports de ses ministres.

Le plus important de ces rapports est celui du ministre des Relations Extérieures, duc de Bassano, qui

en donna communication au Sénat, dans la séance du 10 mars.

Voici le texte de ce document:

<< SIRE,

« Les droits maritimes des neutres ont été réglés solennellement par le traité d'Utrecht, devenu la loi commune des nations.

« Cette loi, textuellement renouvelée dans tous les traités subséquents, a consacré les principes que je vais exposer.

« Le pavillon couvre la marchandise. La marchandise ennemie sous pavillon neutre est neutre, comme la marchandise neutre sous pavillon ennemi est ennemie.

« Les seules marchandises que ne couvre pas le pavillon sont les marchandises de contrebande, et les seules marchandises de contrebande sont les armes et les munitions de guerre.

<< Toute visite d'un bâtiment neutre par un bâtiment armé ne peut être faite que par un petit nombre d'hommes, le bâtiment armé se tenant hors de la portée du canon.

<< Tout bâtiment neutre peut commercer d'un port ennemi à un port ennemi, et d'un port ennemi à un port neutre.

«Les seuls ports exceptés sont les ports réellement bloqués, et les ports réellement bloqués sont ceux qui sont investis, assiégés, en prévention d'être pris, et dans lesquels un bâtiment de commerce ne pourrait entrer sans danger.

<< Telles sont les obligations des puissances belligé

rantes envers les puissances neutres; tels sont les droits réciproques des unes et des autres; telles sont les maximes consacrées par les traités qui forment le droit public des nations. Souvent l'Angleterre osa tenter d'y substituer des règles arbitraires et tyranniques. Ses injustes prétentions furent repoussées par tous les gouvernements sensibles à la voix de l'honneur et à l'intérêt de leurs peuples. Elle se vit constamment forcée de reconnaître, dans ses traités, les principes qu'elle voulait détruire, et quand la paix d'Amiens fut violée, la législation maritime reposait encore sur ses anciennes bases.

<< Par la suite des événements, la marine anglaise se trouva plus nombreuse que toutes les forces des autres puissances maritimes. L'Angleterre jugea alors que le moment était arrivé où, n'ayant rien à craindre, elle pouvait tout oser. Elle résolut aussitôt de soumettre la navigation de toutes les mers aux mêmes lois que celle de la Tamise.

« Ce fut en 1806 que commença l'exécution de ce système, qui tendait à faire fléchir la loi commune des nations devant les ordres du Conseil et les règlements de l'Amirauté de Londres.

« La déclaration du 15 mai anéantit d'un seul mot les droits de tous les États maritimes, mit en interdit de vastes côtes et des Empires entiers. De ce moment, l'Angleterre ne reconnut plus de neutres sur les

mers.

« Les arrêts de 1807 imposèrent à tout navire l'obligation de relâcher dans un port anglais, quelle que fût sa destination, de payer un tribut à l'Angleterre, et de soumettre sa cargaison aux tarifs de ses douanes.

«Par la déclaration de 1806, toute navigation avait été interdite aux neutres; par les arrêts de 1807, la

faculté de naviguer leur fut rendue, mais ils ne durent en faire usage que pour le service du commerce anglais, dans les combinaisons de son intérêt et à son profit.

« Le gouvernement anglais arrachait ainsi le masque dont il avait couvert ses projets, proclamait la domination universelle des mers, regardait tous les peuples commes ses tributaires, et imposait au continent les frais de la guerre qu'il entretenait contre lui.

<< Ces mesures inouïes excitèrent une indignation générale parmi les puissances qui avaient conservé le sentiment de leur indépendance et de leurs droits. Mais à Londres, elles portèrent au plus haut degré d'exaltation l'orgueil national; elles montrèrent au peuple anglais un avenir riche des plus brillantes espérances. Son commerce, son industrie devaient être désormais sans concurrence; les produits des deux mondes devaient affluer dans ses ports, faire hommage à la souveraineté maritime et commerciale de l'Angleterre, en lui payant un droit d'octroi, et parvenir ensuite aux autres nations chargées de frais énormes, dont les seules marchandises anglaises auraient été affranchies.

« Votre Majesté aperçut d'un coup d'œil les maux dont le continent était menacé. Elle en saisit aussitôt le remède. Elle anéantit par ses décrets cette entreprise fastueuse, injuste, attentatoire à l'indépendance de tous les États et aux droits de tous les ples.

peu

« Le décret de Berlin répondit à la déclaration de 1806. Le blocus des îles britanniques fut opposé au blocus imaginaire établi par l'Angleterre.

« Le décret de Milan répondit aux arrêts de 1807; il déclara dénationalisé tout bâtiment neutre qui se soumettrait à la législation anglaise, soit en touchant

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