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donné pour lui refuser le passage; et si avec les passeports qui lui avaient été délivrés pour quitter Berlin, il eût pris le chemin de Magdebourg et Cassel, personne ne l'aurait empêché de sortir. Son arrivée à Erfurth était, à tout prendre, le comble de l'effronterie; tout le monde en convenait, et on n'avait qu'à le lui faire entendre, et à lui signifier poliment l'endroit où on eût jugé convenable qu'il restât. Point du tout. Des délibérations solennelles s'ouvrirent. Les ministres, le duc de Brunswic, le Roi lui-même, tout s'agita comme si le problème le plus épineux était venu s'offrir à leurs méditations; cette affaire eut l'air de faire oublier la guerre. Il fut enfin résolu à neuf heures du soir, que M. et Mme Laforest passeraient la nuit à Erfurth, sauf à délibérer de nouveau le lendemain sur les mesures définitives à adopter dans un cas aussi hérissé de difficultés !

<«< Je me rendis chez M. de Lucchesini après cet incroyable conseil d'État. Je lui demandai si Laforest était porteur de quelque commission importante, ou s'il avait fait de son propre chef quelque nouvelle ouverture de négociation. Il me jura, en riant, que ni l'un ni l'autre n'était le cas; et je le savais bien, puisque Laforest avait déclaré sincèrement lui-même à des personnes qui le rencontraient en route, que depuis quinze jours il était sans nouvelles de Paris, et dans les plus terribles inquiétudes. Je témoignai donc tout mon étonnement de ce que, dans un moment aussi grave, on pût attacher tant de prix et sacrifier tant d'heures précieuses à un objet d'aussi peu de conséquence. M. de Lucchesini partageait complétement mon opinion; il me dit que je reconnaîtrais à cela un des plus malheureux défauts du comte Haugwitz, qu'il ne savait jamais mettre une juste proportion entre le temps qu'il consacrait à une affaire et

le degré d'importance qu'elle pouvait avoir, et qu'une misère l'absorbait souvent aux dépens des plus grands intérêts.

<< Passant à d'autres objets, il m'a beaucoup parlé ce soir de l'étrange conduite de M. Oubril à Paris, -de la sagesse et de la dextérité de celle de Lauderdale, des affaires de Naples, sur lesquelles entre autres il est entré dans des détails qui ne peuvent pas trouver leur place ici, mais qui m'ont appris en substance que la Cour de Naples n'a pas à se reprocher le fameux traité de neutralité, signé l'année dernière dans un moment si malheureusement choisi; que le marquis de Gallo l'avait négocié et conclu, sans ordre ni instruction quelconque; que la peur et les menaces ont extorqué la ratification; qu'ainsi l'indigne trahison de ce ministre, trahison couronnée à la fin par un engagement formel avec le nouveau gouvernement, a été la cause prochaine de la catastrophe finale de l'ancien.

« Avant de partir, je me suis déterminé, non pas sans quelque répugnance, à lui parler de l'impression que m'avait laissée ma visite chez le duc de Brunswic. Je savais que, quelque disposé qu'il pût être à sympathiser avec moi à cet égard et je m'aperçus bien qu'il ne l'était que trop · -il ne m'en parlerait jamais à cœur ouvert. Car, outre que le Duc occupait une place de trop de conséquence pour qu'il eût pu décemment convenir de son incapacité totale de la remplir, c'était le Duc encore qui avait suggéré au Roi de garder M. de Lucchesini auprès de sa personne; en quoi, vu l'ensemble des circonstances où on se trouvait, il avait rendu un service réel. Le marquis, comme je l'avais prévu, tâcha donc de me rassurer de son mieux; mais il perdit absolument ses peines, je le connaissais déjà trop pour me méprendre sur son

opinion secrète, et pour ne pas entrevoir, à travers ses panégyriques officieux, la confirmation déplorable de mes craintes. >>

Jeudi, 9 octobre.

« A neuf heures j'ai été introduit chez S. M. la Reine. Dans la disposition où je me trouvais déjà après tout ce que j'avais vu et entendu, avec des espérances bien plus faibles encore que celles que j'avais apportées au quartier général, avec des inquiétudes sérieuses et toujours croissantes, je redoutais, je puis le dire, cette audience. J'avais tort. Au lieu de m'embarrasser, elle m'a plutôt soulagé et relevé; et si la confiance n'avait pas été trop loin de moi, elle l'aurait fait rentrer dans mon cœur.

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Depuis un an j'avais entendu une infinité de bien de cette princesse. J'étais préparé à la trouver absolument différente de l'idée qu'on avait eue d'elle autrefois, mais je ne l'étais pas assez à cette réunion de grandes et belles qualités qu'elle déploya dans chaque moment d'un entretien d'environ trois quarts d'heure. Elle s'exprima avec une précision, avec une fermeté, avec une énergie, et en même temps une mesure et une prudence, qui m'auraient enchanté dans un homme; et, cependant, elle répandit sur tout ce qu'elle disait une teinte de sensibilité profonde, qui ne me laissa pas oublier un instant que c'était une femme que j'admirais. Pas un mot qui ne fût à sa place; pas un sentiment, pas une réflexion, qui ne fût d'une harmonie exquise avec le caractère général de ses discours; le tout un assemblage de dignité, de douceur et de charmes, tel que je crus ne l'avoir jamais rencontré. Elle me demanda d'abord ce que je pensais de cette guerre, et quel était mon espoir, en

ajoutant aussitôt : « Je ne vous fais pas ces questions << pour que vous m'inspiriez du courage; je n'en man<< que pas, Dieu merci! et je sais d'ailleurs que si vous << en aviez mauvaise opinion, ce n'est pas à moi que <«<vous le diriez. Mais j'aime à savoir sur quoi des << hommes en état de juger peuvent fonder leurs espé«rances, pour examiner ensuite si leurs motifs s'accor" dent avec les miens.» Je lui dis tout ce qui se présentait à mon esprit pour faire ressortir le beau côté de la chose; j'appuyai principalement sur l'état de l'opinion publique, sur les dispositions favorables des contemporains, sur les vœux qui s'élevaient de toutes les parties de l'Allemagne pour le succès de l'entreprise de la Prusse. La Reine m'a répondu que pendant longtemps elle avait nourri des doutes, et des doutes bien pénibles sur la manière précisément dont le public, celui surtout des autres pays, envisagerait cette expédition, puisqu'elle ne savait que trop qu'on n'aimait pas la Prusse, et qu'elle comprenait aussi pourquoi on ne l'aimait pas; mais que, depuis quelques semaines, elle avait appris là-dessus des choses qui la rassuraient beaucoup. Elle a ajouté: « Vous connais<< sez le passé mieux que moi; mais le moment n'est-il pas venu pour l'oublier?»-Elle se mit ensuite à parler longuement sur la guerre de 1805; et quoiqu'il y eût, dans tout ce qu'elle en disait, quelque chose qui paraissait trahir un fond d'inquiétudes secrètes et de lugubres pressentiments, cette partie de la conversation n'en fut pas moins, et peut-être par cette même raison, la plus intéressante de toutes. Je fus étonné de l'exactitude avec laquelle elle parcourut tous les événements, cita chaque date, retraça les moindres détails; mais je fus également étonné et vivement pénétré de l'intérêt, de la sensibilité, de l'émotion, avec laquelle elle parla des malheurs de la maison d'Au

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triche; plus d'une fois je vis ses yeux mouillés de larmes. Elle raconta entre autres, avec une simplicité touchante, que le jour où elle avait appris les premiers désastres de l'armée autrichienne, le prince royal son fils avait mis pour la première fois l'habit militaire, et qu'en le voyant, elle lui avait dit : « J'es«<père qu'au jour où tu pourras faire usage de cet habit, <«< la seule pensée qui t'occupera sera celle de venger tes « malheureux frères. » Elle s'informa avec beaucoup d'intérêt et de délicatesse de plusieurs circonstances personnelles, sur lesquelles je répondis aussi bien que je pus, et s'exprima sur l'Empereur et sur l'Impératrice absolument comme elle aurait pu désirer que, dans un cas analogue, on l'eût fait sur le Roi et sur elle-même. Une circonstance qui me frappa, et qui ne fut certainement pas l'effet du hasard, c'est qu'au milieu des détails dans lesquels elle était entrée sur cette campagne, elle ne nomma pas une seule fois le général Mack; je crois qu'elle voulait éviter exprès tout ce qui aurait pu amener un parallèle en bien ou en mal, tout ce qui aurait pu m'engager à parler du général en chef de l'armée prussienne; aussi, tout en faisant mention de plusieurs généraux de cette armée, du prince de Hohenlohe, du prince Louis, de Schmettau, de Rüchel, de Blücher, de Tauentzien, etc., je remarquai que pas une fois elle ne prononça le nom du duc de Brunswic.

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« Je sens que ce passage et plusieurs autres de ce Journal, à cause de leur coïncidence frappante avec les événements qui se sont passés depuis, doivent nécessairement faire naître le soupçon d'avoir été écrits après coup. Mais j'atteste, par tout ce qui m'est sacré, qu'avec la seule différence d'une rédaction un peu plus soignée, tout est resté exactement tel que je l'avais composé pendant mon voyage, et que notamment le passage ci-dessus est copié mot pour mot des notes que j'avais rédigées le jour même de cette conversation, et tout au plus trois heures après. »

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