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énumérées les considérations qui ont déterminé Louis XV à relever l'éclat de sa représentation en Russie. Il ne s'agit de rien moins, en effet, que de seconder dans ses efforts pour se frayer le chemin du trône, la grande duchesse Élisabeth, fille de Pierre le Grand, qu'on sait aussi dévouée à la France que dévorée de l'ambition de ceindre la couronne de son père.

Intrigant et aventureux, la Chétardie est par excellence l'homme qui convient à la mission dont on l'a chargé. En moins de deux années, au milieu de circonstances tragi-comiques, qui font de l'histoire de son ambassade le plus bizarre des romans, il a réalisé plus qu'on n'espérait de lui. Au mois de décembre 1741, à la faveur d'une révolution militaire qu'il a préparée, Élisabeth arrache le pouvoir à la régente qui règne au nom d'Ivan VI et devient impératrice de toutes les Russies. Elle doit le trône à la France. Elle ne l'oubliera jamais.

Si le cabinet de Versailles comptait en son sein un homme de génie ou seulement un esprit prévoyant et résolu, Louis XV accepterait

les offres d'alliance que lui fait parvenir l'impératrice reconnaissante. Dans cette alliance, il trouverait un solide point d'appui pour sa politique. Mais, de même que le duc d'Orléans ni le cardinal Dubois n'ont su comprendre ce que présentaient d'avantageux les propositions de Pierre le Grand, de même les ministres de Louis XV ne comprendront pas quel immense parti ils pourraient tirer de celles d'Élisabeth.

II

Il en sera de même jusqu'à la Révolution. Lorsque la grande Catherine, décidée à chasser du trône son débile mari, sollicitera secrètement l'appui financier de la France, les scrupules excessifs de notre ambassadeur, le baron de Breteuil, nous feront perdre une occasion inespérée de nous assurer sa gratitude et de conclure une alliance avec elle. On peut dire que durant soixante ans, cette alliance a été dans la pensée

des hommes d'État des deux pays, qu'en Russie on l'a voulue et cherchée, qu'en France on en comprenait l'utilité pratique et l'efficacité, et qu'on n'a jamais su la retenir quand elle s'est offerte. Les Russes cependant ne nous en gardent pas rancune. Élisabeth à peine en possession de la couronne qu'elle nous doit et que ses sujets se réjouissent de voir sur son front, ils s'appliquent à nous imiter en toutes choses. Ils ont secoué l'influence allemande, que leur avaient imposée en quelques années les bizarres successeurs de Pierre le Grand. Ils ne voient et n'entendent que par l'influence française. Langage, modes, coutumes, manières libres et aisées, élégance frivole, grâces raffinées, ils nous prennent tout.

Élisabeth encourage ce mouvement. Elle a toujours aimé la France; elle adore son roi. Elle est friande de bals, de déguisements, d'intrigues amoureuses sous le masque. L'opéra italien, la comédie comme en France ont pour elle un attrait tel qu'elle demande à Louis XV d'autoriser Lekain et Me Clairon à venir jouer

à Saint-Pétersbourg,

désir qui ne peut être

exaucé et auquel le cardinal de Bernis est chargé de répondre par un refus basé sur la crainte de mécontenter les Parisiens en les privant pour un temps de leurs deux comédiens les plus admirés. Ainsi, au milieu des circonstances politiques les plus graves, au cours des incessantes tentatives d'alliances, et parmi les dramatiques péripéties du règne, tout contribue à accélérer la rapide et inconcevable métamorphose de la société russe.

Avec Catherine, la transformation se complète par un culte passionné des choses intellectuelles, qui fait bientôt de sa Cour, sous l'influence des plus illustres écrivains et artistes français, la Cour la plus attrayante de l'Europe. Lorsque, en 1790, les premiers émigrés, Richelieu, Langeron, le prince de Ligne, le prince de Nassau, Eszterhazy, Choiseul-Gouffier arrivent à Saint-Pétersbourg, ils sont éblouis par le goût dont, en tout et partout, fait preuve l'impératrice; par le faste des grands seigneurs ; par l'élégance des femmes, leur beauté, leur esprit; par

l'aspect de la capitale, ses monuments, ses hôtels, ses quais en granit; par la magnificence des résidences impériales Peterhoff, où on arrive par une route bordée de somptueuses villas avec jardins à l'anglaise; Tzarkoïe-Selo, avec ses ponts de marbre, ses bains turcs, son temple à trente-deux colonnes.

Tout est féerique, le décor et les acteurs. Il y a table ouverte chez le prince Narischkine, chez le prince Kourakine, chez Poniatowski, le roi détrôné de Pologne, chez le comte Strogonof, chez Potemkin, où les femmes invitées peuvent puiser, à pleines cuillers, des diamants dans les coupes passées au dessert. Les menus, les mets, les vins viennent de France. Les grandes dames, la princesse Dolgorouki, la princesse Galitzine, la comtesse Scarowska, Mme de Witte, qui deviendra maréchale Potocki, s'habillent à Paris. Notre littérature, nos arts, nos habitudes, tout leur est famillier. Il y a, à Saint-Pétersbourg, une Comédie-Française, un Opéra, tout comme en France.

Une civilisation qui aurait des siècles d'exis

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