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pendice. M. Weber, en refusant d'admettre cette signification, a méconnu le sens de ces vers.

Cette liste, sans doute fort incomplète, est suffisante pour confirmer la présomption qui résulte du nom de Mâhârâshtrî. Il ne serait pas, à la rigueur, impossible qu'un ouvrage rédigé tout entier dans la langue du Maharashtra l'eût été en dehors de cette contrée; mais comme cet argument ne vient ici qu'à l'appui d'autres preuves, nous pouvons considérer la question du lieu de rédaction du Saptaçataka comme définitivement résolue.

Revenons maintenant à Hâla, nommé dans le texte même comme auteur de cette collection, et qui est généralement identifié avec Çâlivahana. Sans accepter cette identification comme un fait historique, nous avons le droit d'y voir l'expression de l'opinion des Indiens, opinion qui n'a ni plus ni moins de valeur que celle qui rattache à Vikramaditya les œuvres les plus célèbres de la littérature sanskrite.

Vikramaditya, suivant eux, régnait à Ujjayinî, était le protecteur des lettres sanskrites, et a fondé une ère qui porte son nom et commence en 57 avant Jésus-Christ. Çâlivåhana, toujours suivant eux, régnait à Pratishthâna, faisait recueillir les œuvres des poëtes mâhârâshțrî, dont les commentaleurs du Saptaçalaka savent encore nous citer les noms, et est également le fondateur d'une ère qui porte son nom, et commence en 78 de notre ère. Malgré la distance de plus de cent trente ans qui sépare ces deux ères, leurs fondateurs sont cependant représentés comme contemporains et rivaux, et la mort de Vikramaditya est attribuée à Çâlivâhana. On peut ne pas admettre un mot de toute cette légende, il n'en résulte pas moins qu'aux yeux des Indiens, c'est-à-dire des Brahmanes, l'âge du Saptaçataka est à peu près le même que celui des principaux chefs-d'œuvre de la littérature sanskrite. Au point de vue de la valeur littéraire, ils accordent à la poésie mâhârâshtrî une place non moins honorable. Dandin, dans le Kâvyâdarça', compare le Setubandha et les 1 Ed. Calcutta, 1862, çl. 34.

autres œuvres mâhârâshṭrì à « un océan de perles du beau langage, » et Bâna s'exprime à peu près dans les mêmes termes sur le compte du Koça de Çâlivâhana, c'est-à-dire du Saptaçataka. C'est une tradition chez les rhétoriciens de citer des exemples en mâhârâshțrî aussi bien qu'en sanskrit, et ils les empruntent, en général, non pas au théâtre sanskrit, mais à une littérature spéciale, dont le Saptaçataka peut donner une idée. Le mâhârâshțrî était donc devenu comme un second sanskrit, une langue demi-savante, à la fois populaire et brahmanique, qui avait depuis longtemps fait ses preuves, et s'était introduite dans l'usage littéraire, même en dehors du pays dont elle portait le nom.

Nous trouvons une preuve indirecte, mais décisive, de celte ancienneté de la culture du mâhârâshțrî dans le rôle qui lui est attribué au théâtre. On sait que le dialecte le plus usité dans les drames est le çaurasenî, ce qui tient sans doute à ce qu'il était parlé dans la contrée où s'est formée et développée la littérature dramatique. En tout cas, la fréquence de son emploi semblerait avoir dû lui assurer le titre de prâkrit par excellence, d'autant plus qu'il est de tous les dialectes le plus proche du sanskrit, et qu'il n'en diffère guère que par l'orthographe et par une plus grande latitude dans le choix des formes. Cependant ce n'est pas à lui, mais au mâhârâshṭrî, qu'est universellement appliquée la dénomination de prâkrit principal. Or, l'usage du mâhârâshṭrî est, dans les drames, excessivement restreint; il est exclusivement réservé aux stances prononcées, et surtout chantées 1,

1 La poésie mâhârâshțrî était avant tout destinée à être chantée; c'est ce qu'on pourrait hardiment conclure, si l'on n'en avait pas d'autres preuves, de son orthographe conventionnelle, où les voyelles jouent le principal rôle, où l'hiatus est cherché et obtenu par la suppression des consonnes. Il faudrait bien se garder de confondre ce parti pris systématique avec l'effet naturel du temps et d'en tirer une conclusion chronologique. Le temps n'agit pas autrement sur les langues de l'Inde que sur les nôtres : il use les syllabes non accentuées et les terminaisons, il n'attaque pas uniformément toutes les parties du mot, surtout il n'épargne pas les voyelles pour s'acharner sur les consonnes. La suppression des consonnes simples, l'assimilation

par les personnages qui, en prose, parlent le çaurasenî; et même, dans ce cas, il est assez fréquemment remplacé par le sanskrit. Cet usage, observé dans tous les drames connus, constaté et consacré par les rhétoriciens, les grammairiens. les commentateurs, n'a pu s'établir que lorsque le mâlârâshtrî s'était acquis des droits incontestables à un pareil honneur, c'est-à-dire lorsqu'il avait déjà été l'objet d'une culture florissante.

On arrive à la même conclusion, quand on examine la distribution du Prâkṛtaprakâça de Vararuci, qui, bien qu'on en ignore la date exacte, a toujours passé pour la plus ancienne grammaire prâkrite. Elle n'a certainement été rédigée ni à l'usage des poëtes dramatiques, ni d'après leurs œuvres. Sur les douze chapitres qu'elle contient, neuf sont exclusivement consacrés au mâhârâshtrî, dont on ne trouverait peut-être pas soixante vers dans tout ce qui nous reste du théâtre indien. Le paiçâci, qui est traité dans le dixième chapitre, n'est même représenté dans aucune des pièces connues. Le mâgadhî, enseigné dans le onzième chapitre, diffère considérablement de celui des drames. Enfin, le çaurasenî, le dialecte le plus usité sur la scène, est relégué tout à la fin de l'ouvrage de Vararuci; il n'a obtenu une place en rapport avec son importance au théâtre que dans les grammaires postérieures. Il est bien difficile d'admettre que l'auteur du Prákṛtaprakâça, s'il eût connu, par exemple, la Mṛcchakatikâ et l'Urvaçî, n'eût pas accordé une plus grande attention au çaurasenî, et surtout eût passé complétement sous silence l'apabhramça, le cândâlî, le çâkârî et les autres dialectes employés dans ces chefs-d'œuvre. D'un autre côté, Çûdraka et Kâlidâsa, qui semblent ignorer les décrets de des consonnes doubles ne sont pas le propre d'une période; c'est une négligence de prononciation qui appartient à tous les temps et à toutes les langues, et qui n'est pas toujours traduite par l'écriture. En tout cas, si les langues de l'Inde avaient jamais passé par une pareille phase, elles n'y auraient pas persisté; car aujourd'hui elles n'aiment guère plus l'hiatus que le sanskrit lui-même, et savent aussi bien prononcer les consonnes, même doubles, que si elles n'en avaient jamais perdu l'habitude.

Vararuci, quand ils écrivent en mâgadhî, en appliquent strictement les règles dans les quelques stances en mâbârâshtrî qu'ils ont insérées dans leurs ouvrages, et qui toutes par le sujet, presque toutes par le mètre, offrent la plus grande ressemblance avec celles du Saptaçataka. Par conséquent, à leur époque, la langue était fixée, sinon par une grammaire, au moins par une littérature qui leur servait de modèle. On est donc bien forcé de reconnaître que le Mahârâshtra a été le théâtre d'un mouvement littéraire, en langue vulgaire, dirigé par des Brahmanes, et parallèle, sinon antérieur, à celui qui a donné naissance aux œuvres les plus célèbres de la littérature sanskrite.

Les données qui nous permettent de constater l'existence de ce mouvement et de nous rendre compte de sa propagation au delà des limites où il était primitivement contenu, ne sont malheureusement pas suffisantes pour nous renseigner sur les causes et l'époque de son origine. Était-il une imitation en langue locale d'une littérature sanskrite préexistante, comme il s'en est produit depuis, sous l'influence brahmanique, dans presque toutes les contrées de l'Inde? Ou bien n'a-t-il pas lui-même précédé et préparé la renaissance sanskrite qui porte le nom de Vikramaditya? Ce n'est pas seulement son antiquité qui suggère cette idée; mais la littérature sanskrite profane se présente à nous sans passé; elle semble avoir surgi tout d'un coup, sans être précédée d'une période de transition et d'essai, et avoir débuté par ses chefs-d'œuvre. Rien, si ce n'est la langue', ne la rattache à la littérature védique2; ni les idées, ni le style, ni les images, ni même la phase religieuse qui s'y reflète. Elle a, au contraire, tout cela en commun avec le peu que nous

Il y aurait bien des restrictions à faire, même au sujet de la langue; on serait plus près de la vérité en disant seulement l'orthographe.

2 On est obligé, pour expliquer cette lacune, de supposer que tous les ouvrages intermédiaires sont tombés dans l'oubli, éclipsés par l'éclat de ceux qui les ont suivis. (Weber, Indische Literatur, p. 171.) Mais comment expliquer qu'il n'en soit resté absolument aucune trace?

connaissons de la littérature mâhàrâshtrî. Nous avons des motifs très-graves pour les regarder comme au moins contemporaines; mais leur ressemblance est telle qu'elle doit faire écarter l'idée d'un double développement absolument indépendant. Maintenant, l'hypothèse de l'imitation par les poëtes mâhârâshtrî de la poésie sanskrite nous laisse dans la même ignorance sur l'origine de cette dernière; l'hypothèse inverse nous fait entrevoir une solution à une difficulté historique considérable; les Brahmanes se seraient exercés, et, pour ainsi dire, essayés dans les langues vulgaires et vivantes', avant de se décider à appliquer à des usages profanes la langue morte de leurs textes sacrés. On doit attendre avec une certaine impatience la publication de tous. les textes mâhârâshțrî encore existants, et notamment du Setubandha; car il est à espérer qu'on y trouvera des raisons décisives pour ou contre cette supposition. Quant au Saptaçataka, nous pensons que ce serait faire preuve d'un esprit de critique exagérée que de ne pas le considérer, au moins provisoirement et jusqu'à ce que nous le connaissions en entier, comme un représentant de cette poésie mâhârâshtrî qu'avaient sous les yeux et qu'imitaient les auteurs des plus anciens drames sanskrits 2. Rien dans son contenu ne trahit une époque postérieure, rien ne nous autorise à y voir une collection de pastiches exécutés d'après des modèles aujourd'hui perdus. Ce n'est là, il est vrai, qu'un argument négatif; mais il est confirmé par la tradition indienne, où tout n'est pas faux, nous l'avons vu; il est donc permis de croire que l'anthologie de Hâla est redevable de sa conservation non moins à son ancienneté qu'à son mérite littéraire. On ne peut guère espérer arriver à un résultat plus précis pour un ouvrage

1 En employant le pluriel, nous songeons aux quatre dialectes enseignés dans la grammaire brahmanique de Vararuci, parmi lesquels le paiçâcî était sans doute le même que celui dans lequel fut rédigée la Vṛhat-katha, ouvrage qui fut dans la suite mis en sanskrit.

2 La mention du náḍaa, ou drame, dans un vers du Saptaçataka, n'a aucune signification précise; il faudrait savoir de quelle espèce de drame il s'agit.

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