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CHAPITRE IV.

GOUVERNEMENT DE L'EMPIRE ET SITUATION DE PARIS PENDANT LA CAMPAGNE DE 1813.

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État de l'opinion publique. — Réveil des partis. — Organisation royaliste en France. - Démarche de Louis XVIII. — Voyage de M. le comte d'Artois. — Projet du duc de Berry sur la Normandie. — Préoccupation des fonctionnaires sur les Bourbons. - Démarches de M. de Talleyrand. - Les républicains. Les patriotes. - Rapprochement avec les royalistes. - Marie-Louise. — Actes de la régence. - Voyages à Mayence et à Cherbourg. Sénatus-consulte pour la conscription. Irritation des esprits. - Les formes de la police. — Direction de l'esprit public. — Empreinte de tristesse sur Paris et la France. La résistance des provinces. - Les conscrits réfractaires. — La révolte dans les régiments de gardes d'honneur. — Idée de faire disparaître Napoléon comme Romulus. Distractions. Théâtres. ture. - Modes. - Commencement des chansons politiques. Les journaux. - Insultes aux étrangers.

de M. de Béranger.

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Littéra

Le Roi d'Yvetot

Mai à novembre 1813.

Pendant la durée de cette campagne de 1813, l'opinion publique n'avait cessé d'être vivement inquiétée par l'aspect des événements; c'est une grande plaie pour un gouvernement lorsqu'on n'a plus foi en lui; il a beau redoubler ses protestations de force et de triomphe, il est déchu dans l'idée des peuples. Ainsi était le système impérial depuis la campagne de Moscou et la conspiration de Malet; on n'avait plus confiance dans les bulletins. Autrefois le cri retentissant de victoire se faisait entendre, des Te Deum à Notre-Dame venaient réjouir la population; depuis le vingt-neuvième bulletin tout était flétri et tombait en décadence'; on commentait chaque phrase des récits de l'empereur, on était passé à un système de trop grand scepticisme; ce qui était exactement vrai, on ne le croyait plus. En vain la police

' Cependant Marie-Louise multipliait les Te Deum après les dépêches de l'empereur. Il y en eut pour Lutzen, Bautzen et Wurtschen.

multipliait les pompes, les ovations; on faisait réciter les nouvelles de l'armée en plein théâtre : tout cela ne rendait pas la foi qu'on avait perdue; on n'avait plus de prestige, et que reste-t-il au pouvoir lorsqu'il n'a plus cette auréole de croyance et de supériorité.

La tendance naturelle des partis est de beaucoup s'agiter quand les circonstances deviennent difficiles; à mesure que le pouvoir impérial perdait dans l'esprit public, les opinions qui lui étaient hostiles grandissaient considérablement; il était naturel, par exemple, que les Bourbons vinssent se présenter une fois encore sur l'horizon politique; il commençait à s'établir un sentiment assez généralement admis, c'est que la paix ne pouvait se trouver qu'au fond du sépulcre de Napoléon; et cette paix durable, continue, objet de tous les vœux, les Bourbons seuls pouvaient l'amener. De là résultait une certaine force dans le parti royaliste; quand une opinion, dans la société, même en minorité, possède en elle-même ou un principe de conservation, ou la paix, ou la liberté, tôt ou tard cette opinion doit devenir puissante; c'est la loi intime et naturelle des intérêts d'aller à ce qui les protége. Ainsi se présentaient les Bourbons; après une guerre de vingt années, ils se posaient comme le symbole de la pacification générale, comme des souverains doux après un régime de fer; ils allaient offrir l'abolition des droits réunis et de la conscription, les deux fléaux des peuples. Ces causes ne donnaient-elles pas un grand crédit à leur puissance morale? Si leur souvenir était perdu pour la génération nouvelle, tous les hommes de cinquante ans alors avaient vu la fin du règne de Louis XVI et gardaient mémoire des bienfaits de la paix.

A aucune époque les agences royalistes ne s'étaient entièrement effacées dans les provinces de France; quoique agissant plus ou moins activement dans des conditions plus ou moins visibles, on les rencontrait partout'; au midi, depuis la Provence jusqu'à la Guienne, et

'Instructions données par M. de Blacas aux agents de Louis XVIII:

« Le roi que vous voulez servir a l'équité de saint Louis, la munificence de François Ier, la magnanimité de Henri IV, et toute la politesse de Louis XIV. Tel est le prince que vous pouvez concourir à replacer sur le trône de ses ancêtres. En nie chargeant de vous offrir une mission, le roi n'a pas entendu vous jeter dans des intrigues politiques; il s'agit moins de nouer une conscription contre Bonaparte, que de faire connaître aux Français, et surtout aux principaux conseillers de l'usurpateur, les intentions généreuses de mon maître. Si vous les disposez à voir tomber cet homme avec indifférence, ils se défendront sans énergie. Le passage du despotisme à la puis

du centre jusqu'à la Flandre. Ces agences en correspondance soit avec Louis XVIII, soit avec M. le comte d'Artois, durent se réveiller actives au moment où les malheurs venaient arracher à Napoléon le prestige de la victoire; sans conspirer ouvertement, elles rappelaient aux masses les avantages d'un gouvernement paternel et la possibilité d'une restauration. La Vendée était éteinte comme guerre civile; plus d'un paysan breton, plus d'un vieux chouan servaient avec fidélité sous les aigles, ce qui n'empêchait pas l'espèce de conspiration morale dont je viens de parler; à Bordeaux, à Nantes, à Caen, partout des réunions de gentilshommes désiraient et préparaient le retour des Bourbons. Louis XVIII restait paisiblement à Hartwell; mais le comte d'Artois, plus actif, avait un moment quitté l'Angleterre pour se rendre par la Suède dans la Baltique; Bernadotte lui refusa l'autorisation de passer outre, et ce refus s'explique par les projets qu'avaient conçus les patriotes exilés, de concert avec l'empereur Alexandre, pour l'établissement d'un ordre de choses en France, soit républicain, soit monarchique, sous un chef militaire ou civil. M. le comte d'Artois fut obligé de revenir en Angleterre sans espérance de trouver appui dans la coalition de l'Europe; l'idée des Bourbons n'était complète que dans la pensée de lord Castlereagh, le rigoureux logicien de l'école de Pitt.

Cependant l'activité des fils de M. le comte d'Artois, les ducs d'Angoulême et de Berry, demandait à se montrer sur le théâtre de la guerre. D'après des données certaines, la Guienne et la Normandie pouvaient prêter appui à un mouvement royaliste; le duc d'Angoulême à Bordeaux, M. le duc de Berry à Caen, devaient soulever une insurrection. Ce projet hardi aurait échoué devant la fermeté inflexible

sance légitime sera à peine sensible. C'est le vœu du roi ; et c'est à vous qu'il daigne confier l'accomplissement d'un vœu si digne du descendant de Henri IV.

>> Le comte DE BLACAS-D'AULPS. »

A Bordeaux surtout cette association était puissante.

2 « A l'époque où Moreau était à l'armée alliée, M. le comte d'Artois se rendit d'Angleterre, par mer, dans la Baltique, et Bernadotte refusa de le laisser descendre à terre : il s'en retourna en Angleterre. Bernadotte ne lui avait refusé le passage que parce qu'il voulait être favorable au général Moreau. »

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(Notes du général Savary.)

<< Londres, 10 août 1813.

» S. A. R. Monsieur, frère du roi Louis XVIII, et le duc d'Angoulême sont de retour en Angleterre. »

des autorités impériales; si à la fin de 1813 le duc de Berry était débarqué à Caen, il n'est pas douteux qu'arrêté, jugé, le sort du duc d'Enghien lui aurait été réservé ! La police avait la pensée de l'attirer par un guet-apens, afin de le saisir; le prince, prévenu, ne tenta pas cette périlleuse aventure. Quant à M. le duc d'Angoulême, son apparition en Guienne ne pouvait avoir quelques résultats que lorsque le duc de Wellington franchirait les frontières de France; on tenterait là une insurrection au nom des Bourbons, comme on l'avait fait en Hollande au nom des princes d'Orange. Chose à remarquer! cette idée des Bourbons préoccupe singulièrement tous les fonctionnaires publics du régime impérial; l'empereur lui-même s'en inquiète, il n'aperçoit pas un homme appartenant par sa famille, par ses antécédents, à l'ancien régime, qu'il ne l'interroge sur les Bourbons; il en sait et en veut savoir toutes les particularités; il a l'air d'en parler avec mépris, et il revient sans cesse sur eux. C'était sa conversation habituelle avec M. Pasquier 1, avec M. de Lavalette surtout; il considère Louis XVIII comme un homme fort et persistant; Napoléon sait tout ce qui se passe à Hartwell, il juge déjà l'influence de M. de Blacas sur l'esprit du roi, il s'enquiert et s'informe; on dirait que lui, fils de la révolution, fondateur d'une dynastie, reconnaît la puissance des traditions et des principes; à plusieurs reprises on l'a entendu s'écrier: « Si j'étais seulement mon petit-fils, je m'en tirerais. >>

Cette prévision sur le retour de l'ancienne dynastie est assez commune parmi les dignitaires; dans le sénat, le général Savary et le ministre de la marine, Decrez, en paraissent principalement occupés: Savary, parce qu'il sait le mouvement des opinions; Decrez, parce que, plus immédiatement en rapport avec l'Angleterre, il suit attentivement tout ce qui s'y passe et l'opinion intime des ministres anglais. Louis XVIII, qui apprécie toujours avec un grand instinct la marche des opinions, a multiplié ses agents en France; il donne à tous des pleins pouvoirs et des blancs seings pour gagner les fonctionnaires individuellement. Le texte en est fort curieux parce qu'il constate qu'au mois de décembre 1813 chacun avait pris ses garanties et ses sûretés. Le roi y déclare : « Que, voulant faire connaître à ses sujets les sentiments dont il est animé, il charge de donner, en son

1 Je tiens ces détails de plusieurs personnes avec lesquelles l'empereur aimait à causer dans les réceptions du soir.

nom, à M. (le nom reste en blanc et doit être rempli), toutes les assurances qu'il peut désirer1.» Toutes les défaillances venaient s'abriter sous les promesses de meilleurs jours, et l'on se confiait volontiers aux assurances de Louis XVIII et à sa parole royale.

M. de Talleyrand, toujours en avant dans les prévoyances de changements politiques, comprenait instinctivement que la cause de Bonaparte était perdue. On ne résiste pas impunément à toute l'Europe liguée; il savait que la république et l'empire n'avaient jamais vu toutes les puissances unies dans une même coalition; les unes après les autres étaient venues se faire battre sans intelligence, sans énergie. Aujourd'hui, au contraire, le lien était indissoluble, l'Europe entière marchait contre la France; l'épuisement du pays était complet, il n'y avait plus aucune force, aucune ressource: d'où il résultait nécessairement la chute rapide de Bonaparte; prévue comme une nécessité, pour un esprit de l'ordre de M. de Talleyrand, ce ne pouvait être qu'une question de temps. Il s'était mis en rapport, par son oncle le cardinal de Périgord, grand aumônier de Louis XVIII, avec le roi qui avait pour lui quelque répugnance. Mais, comme avant tout ce prince voulait une restauration, et que M. de Talleyrand pouvait lui servir d'instrument essentiel, il se garda de le mépriser; prince habile, il se servait de tous les moyens pour arriver à son but. D'un autre côté, M. de Talleyrand avait gardé de nombreuses relations avec madame de Staël, et par conséquent avec Bernadotte, Benjamin Constant, et le parti que je pourrais appeler les monarchistes de 91, parti très-puissant auprès de l'empereur Alexandre, et qui conservait des relations avec le sénat de Paris.

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<< Le roi ne voulant négliger aucune occasion de faire connaître à ses sujets les sentiments dont il est animé, me charge de donner, en son nom, à M.... toutes les assurances qu'il peut désirer. S. M. sait tout ce que M.... peut faire pour son pays, nonseulement en contribuant à le délivrer du joug qui l'opprime, mais en secondant un jour de ses lumières l'autorité destinée à réparer tant de maux. Les promesses du roi ne sont, au reste, que la suite des engagements qu'il a pris à la face de l'Europe, et qui ne lui laissent qu'à oublier les erreurs, récompenser les services, étouffer les ressentiments, légitimer les rangs, consolider les fortunes, à n'occasionner, en un mot, que la paisible transition des calamités et des alarmes présentes au bonheur et à la sécu

rité à venir.

» Hartwell (comté de Buckingham), 1er décembre 1813.

» Signé : le comte DE BLACAS-D'Aulps. »

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