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bel et grand avenir; l'insolent Goliath venait en vain des frontières de France, la fronde de David atteindrait le front du superbe. Si les infirmités du vieil archevêque ne lui permettaient pas de s'agenouiller devant l'oint du Seigneur, il lui envoyait l'image de saint Sergius, le protecteur de Moscou, le patron des églises; le vieillard bénissait Alexandre pour rappeler sur sa tête les grandeurs de la vie éternelle. >> Le czar connaissant la puissance morale de Platon sur la vieille Russie, se hâta de répondre au pieux vieillard : « Il le remerciait de ses vœux ; cette image de saint Sergius, le protecteur de l'armée russe, le czar la donnerait à la milice de Moscou, il se prosternerait au pied du trône céleste pour demander la bénédiction du Dieu de la patrie. >>

Ces pieuses cérémonies se renouvelèrent dans la ville de Moscou, et dans toutes les cités que visita Alexandre, à Novogorod particulièrement, plus sainte encore que Moscou dans les annales de la nation slave; les églises à Novogorod sont aussi riches, aussi antiques que les métropoles de Constantinople et de la Grèce en reliquaires d'or, en larges croix comme l'église grecque en place toujours sur le faîte des édifices. Revenu à Moscou, le czar excita partout un vif et prcfond enthousiasme; il habita le Kremlin où tous les marchands du grand bazar vinrent lui rendre hommage; Alexandre leur parla sans déguisement des dangers de la Russie et des sacrifices que la religion et le patriotisme commandaient ; il lui fut répondu par des dons. multipliés d'argent, et le seul gouvernement de Moscou leva 80,000 hommes de milices. Une sorte de religieux enthousiasme entourait alors Alexandre; le bruit avait couru que Napoléon voulait le faire enlever et poignarder. Ces rumeurs étaient répandues pour

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Allocution d'Alexandre, le 6 juillet, aux habitants de Moscou.

L'ennemi est entré avec de grandes forces sur le territoire de la Russie, il vient ravager notre chère patrie; quoique l'armée russe, brûlante de courage, soit prête à s'opposer aux mauvais desseins du téméra ́re, notre sollicitude et nos soins pour nos fidèles sujets ne nous permettent pas de les laisser dans l'incertitude sur le danger qui les menace. Résolu à rassembler dans l'intérieur de nouvelles forces pour assurer notre défense, c'est à Moscou, ancienne résidence de nos ancêtres, que nous nous adressons avant tout; elle fut toujours la première des villes de la Russie, et c'est de son sein que sortirent constamment les armées qui terrassèrent les ennemis... Jamais les besoins ne furent plus urgents. Les dangers de la religion, du trône, de l'État, exigent tous les sacrifices... Puisse la destruction dont l'ennemi nous menace retomber sur sa tête, et l'Europe affranchie exalter le nom de la Russie! »

ΧΙ.

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exciter plus encore le dévouement à la personne sacrée du czar 1.

Cette impulsion donnée aux vieilles mœurs de la Russie, ces hommages rendus au culte national, ces processions de reliques dans les flots d'encens, avaient réveillé partout l'esprit de résistance; jamais la noblesse russe n'avait fait de plus grands sacrifices; les ukases pour des levées d'hommes étaient exécutés avec un enthousiasme indicible à décrire; l'invasion des Français paraissait injuste, impie; la religion, la patrie commandaient une prise d'armes, et rien ne coûtait à ces peuples vivement excités par tous les mobiles du patriotisme. On ne rencontrait dans les vieilles cités de la Russie que de longues files de prêtres portant l'image des saints, et c'était devant ces popes aux larges et somptueux vêtements grecs que le peuple et les milices juraient de défendre la Russie et leur czar. Chaque gouvernement avait ses milices, chaque ville ses soldats, peu disciplinés et sans tactique, mais prêts à sacrifier leur existence pour les grands intérêts de

1 Lettre de S. E. le métropolitain de Moscou, Platon, du 26 juillet 1812, à S. M. l'empereur Alexandre.

<< Très-gracieux seigneur et empereur,

» L'ancienne métropole Moscou, cette nouvelle Jérusalem, reçoit comme une mère l'oint du Seigneur parmi ses enfants, et entrevoyant dans l'avenir, à travers les nuages qui se sont élevés, la gloire future de la monarchie, elle chante dans un transport de joie Hosanna. Loué soit celui qui vient au nom du Seigneur. Que l'insolent Goliath se répande en menaces, et porte la terreur de la mort des frontières de la France dans les provinces de Russie; la sainte foi, cette fronde de David, atteindra soudainement le front du superbe, ivre de sang. Je présente à votre majesté l'image de saint Sergius, cet ancien champion de notre patrie. Je regrette bien que l'accumulation de mes infirmités m'empêche de jouir de la présence chérie de votre majesté. Je porte mes prières au ciel pour que le Tout-Puissant veuille, dans sa grâce, protéger son peuple bien-aimé et remplir les vœux de votre majesté.

» De V. M. I., très-gracieux seigneur, le très-soumis intercesseur.

» Signé: PLATON, >> Métropolitain de Moscou.

Réponse de l'empereur Alexandre.

« J'ai reçu votre lettre avec l'image de saint Sergius. J'ai reçu la première avec plaisir, comme venant d'un pasteur de l'église que je respecte, et la dernière avec vénération. J'ai ordonné qu'on donnât à ceux des habitants de Moscou qui se préparent à défendre leur patrie, la bénite image du saint protecteur des armées russes. Puisse-t-il obtenir la continuation de cette protection par ses prières auprès du trône de Dieu et puissent aussi ses prières prolonger vos jours qu'accompagnent l'honneur et la renommée.

>> Me recommandant à vos prières, je suis avec affection, etc.

» ALEXANDRE. N

la vie éternelle; les prédications sur les places publiques, au milieu des mystères de l'église grecque, armaient des milliers de bras, la guerre désormais nationale devait prendre ce caractère de sacrifices qui seul constitue les résistances véritablement patriotiques. Or ces boyards qui donnaient leurs paysans, leurs propriétés, leurs roubles; ce peuple qui jetait sa vie aux pieds de son czar, désiraient marcher sous un chef dévoué à la nationalité moscovite. Barclay de Tolly n'inspirait pas confiance, tous désignaient Kutusoff comme le seul, le digne Moscovite capable de conduire les soldats et les milices à la victoire; il fallait se défendre et repousser les étrangers; Kutusoff était le successeur du vieux Suwarow, dont la mémoire restait éternelle. Un seul cri fut poussé; la Russie demanda Kutusoff pour conduire ses légions à la défense du territoire; l'impératrice mère, si nationale elle-même, et la czarine, mélancolique épouse d'Alexandre, se prononcèrent fortement pour le vieux général adoré du peuple 1.

Dès que la guerre toucha le sol sacré de la patrie, un système de résistance fut adopté dans les idées et les mœurs moscovites; le but de tous les efforts devait être la destruction de l'ennemi commun, de la même manière qu'en Espagne ; les sacrifices ne devaient rien coùpour atteindre ce résultat terrible : « accabler sous les ruines les Français qui venaient souiller le sol de la patrie, ces hommes sans foi, sans religion : » tel dut être l'objet de la guerre. Les patriotes russes devaient tout sacrifier à cette pensée de résistance; ordre fut

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Alexandre s'adressait en ces termes à son armée:

« Guerriers russes,

» Vous avez enfin atteint le but vers lequel vos regards étaient tournés. Lorsque l'ennemi osa franchir les limites de notre empire, vous étiez sur les frontières, disposés à les défendre; mais jusqu'à ce que l'entière réunion de vos troupes pût être effectuée, il fallut arrêter votre courage intrépide, et se retirer dans cette position. Nous sommes venus ici pour rassembler et concentrer nos forces. Nos calculs ont été heureux. La totalité de la première armée est en ce lieu.

» Soldats! le champ est ouvert à votre valeur si noblement docile à modérer, si ardente à maintenir la réputation que votre nom a acquise. Vous allez cueillir des lauriers dignes de vous-mêmes et de vos ancêtres. Le souvenir de leur valeur, l'éclat de leur renommée, vous engagent à surpasser l'un et l'autre par la gloire de vos actions; les ennemis de votre pays connaissent déjà la valeur de votre bras. Allez donc dans l'esprit de vos pères, et anéantissez l'ennemi qui ose attaquer votre religion et votre honneur jusque dans vos foyers, au milieu de vos femmes et de vos enfants.

» Dieu, témoin de la justice de votre cause, sanctifiera vos bras par la bénédiction divine. » Signé: ALEXANDRE. »

donné de faire un désert autour de l'armée ennemie ; les palais dorés, les riches manufactures, les belles habitations, tout dut être sacrifié; les Français ne pourraient trouver de ressources autour d'eux; incendie et dévastation furent les deux mots d'ordre des fiers enfants des Slaves, noble sacrifice, énergique dévouement des nations primitives, qui laissa autour des envahisseurs une solitude effrayante! et avec cela Kutusoff à la tête des légions moscovites; partout la bannière sainte levée, partout l'oriflamme de saint Serge à la tête des soldats. Les métropolitains, les archevêques, les prêtres, tous parlèrent dans les chaires de vérité pour appeler les peuples à ces fières idées de religion et de patrie.

Alexandre n'accepta peut-être qu'avec regret une guerre dans ces conditions, qui rappelaient les temps de barbarie auxquels les Romanoff avaient arraché le peuple; il avait à craindre une réaction violente contre les efforts immenses de civilisation tentés depuis Pierre Ier. Ce n'était pas en vain que peuple et noblesse faisaient ces concessions; la vieille société se retrouverait avec ses exigences. Le mouvement russe portait Kutusoff, que l'empereur avait presque disgracié; le czar n'était plus le maître; cet énergique esprit de nationalité ramenait l'empire au temps des boyards et des strélitz; pouvait-on éviter de se retremper ainsi dans l'histoire si l'on voulait efficacement résister à Napoléon? Alexandre avait évité, autant qu'il avait pu, çe retour vers la domination de la noblesse; mais comme seule elle pouvait amener le triomphe, comme seule elle pouvait soulever les masses contre les Français, il accepta les conditions que les boyards voulurent lui faire. Bientôt on le voit forcé de sacrifier Barclay de Tolly, choix de sa politique et de sa confiance pour adopter Kutusoff, l'homme national qu'il n'aime pas; ce n'est point une conspiration qui l'oblige à ce changement, mais une indicible puissance, la nécessité; il faut repousser l'ennemi les Moscovites se formant en légions, le patriotisme les anime; il n'y a plus à hésiter. Alexandre suit l'impulsion de cette guerre, il ne la donne plus ; il se livre généreusement corps et âme à ce peuple qui sacrifie tout, domaines, fortunes, la vie même, pour défendre ses foyers, son culte, ses églises et ses lois.

Parmi les nobles qui se prononcèrent pour ce système d'héroïques ravages se trouvait le comte Fodor Rostopchin, un des caractères les plus remarquables de la civilisation slave. Sa fortune datait de Paul I, cet empereur véritablement moscovite; il avait plu au prince

par cette empreinte nationale qui dominait en lui; les traits d'origine slave plaisaient beaucoup à Paul I". Rostopchin était d'une taille audessus de la moyenne, d'une figure assez belle, aux traits tartares, le nez aplati, le front haut, avec tous les caractères d'une intelligence active, entreprenante; Paul l'avait remarqué par ses jeux de mots, ses calembours, qui faisaient la gaieté des longues soirées du palais de Michaëloff; Rostopchin était un mélange d'énergie et de légèreté1, sorte de grand moqueur des habitudes efféminées, il suscitait partout l'hilarité grossière même au milieu des périls; il y avait en lui quelque chose de ce gros rire tartare que l'on voit briller sur ces figures de Baskirs qui se chauffent au bivac; il savait les annales de son pays, les chroniques, les légendes ; il les racontait à merveille, et dans ses causeries il était petillant de bons mots. Le comte Rostopchin s'était fait remarquer dans le gouvernement de Moscou par une volonté ferme et un esprit très-prévenu contre les étrangers; un jour railleur, le lendemain cruel, impitoyable comme un Baskir, gracieux et spirituel comme un Français, c'était un de ces mélanges indéfinissables qu'une civilisation hâtive peut seule créer, comme un fruit venu en serre chaude, âpre et mûr tout à la fois. Le côté puissant, élevé, énergique de ce caractère de Rostopchin, celui qui lui réserve une grande place dans l'histoire, ce fut son dévouement à la patrie, son renoncement à toute fortune, à toute condition de richesses et d'honneurs, pourvu que la Russie fût préservée en chassant ses ennemis. Il fut prêt à brûler ses châteaux, ses domaines, les coupoles dorées de ses palais, afin de repousser l'injuste agression des Français. Assis sur les ruines de Moscou, son esprit bouffon aurait encore trouvé

Le comte Fodor Rostopchin descendait d'une famille ancienne de Russie, qui n'avait cependant rempli avant lui aucun poste distingué. Son père vivait encore retiré dans ses terres, âgé de quatre-vingtt-un ans à l'époque de la guerre de 1812. Rostopchin se décida de bonne heure pour la carrière des armes, et à l'âge de 21 ans il était lieutenant dans la garde impériale. Il quitta alors la Russie pour voyager, et resta quelque temps à Berlin, sous le règne de Paul Ier; son avancement fut aussi rapide que brillant. Il fut décoré du grand ordre de Russie, et fait comte ainsi que son père; mais bientôt après ils tombèrent l'un et l'autre en disgrâce pour des raisons inconnues, et eurent l'ordre de se retirer sur leurs terres, où ils vécurent en simples cultivateurs. La mort de Paul Ier termina leur retraite ; le comte Rostopchin rentra en faveur sous Alexandre, il fut nommé lieutenant général d'infanterie, et quelques mois avant l'expédition de Russie, gouverneur de Moscou *.

* Cette notice est littéralement copiée de l'Annuaire historique universel, publié à Bruxelles, ca 1826, Ire année. (F. W.)

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