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formidables batteries, elles s'abaisseront comme le camp retranché de Drissa que les Russes avaient élevé en commençant la campagne de 1812. Les ordres sont donc donnés avec une remarquable précision; Ney fera un mouvement simulé sur la route de Berlin avec 60,000 hommes des corps de Lauriston et de Reynier, puis il viendra prendre à revers le camp retranché. Napoléon se réserve la direction de l'attaque par le front; il traverse la ligne à cheval, et partout les troupes le saluent; lui seul a conçu le grand dessein de la journée ; l'armée a tellement confiance en lui qu'elle examine à peine ce formidable aspect des retranchements; elle sait bien que son empereur a quelques projets secrets qui la sauveront des périls. En cette journée les deux grands lieutenants de l'empereur sont Ney, qui opérera sur la gauche, et puis le maréchal Soult, qui guidera l'attaque de front; ces deux capacités militaires doivent tout voir, tout diriger sous Napoléon.

Il faut d'abord passer la Sprée qui borde la position, l'appuie et la soutient. Le 20 mai, à l'aurore, tout s'ébranle, tout s'agite sous la tente; un coup de canon tiré à droite annonce qu'Oudinot a commencé l'attaque, et traverse la Sprée aux cris de: Vive l'empereur! Il a jeté rapidement un pont, il refoule devant lui les Russes de Gortshiakoff, et bientôt on voit reluire ses baïonnettes au milieu d'une touffe de bois sur les collines qui séparent Bautzen de la Bohême. Macdonald attaque de face le pont de pierre vis-à-vis de Bautzen; il appuie Oudinot et se trouve aux prises avec les Russes de Miloradowitch; à quelque distance une salve d'artillerie signale que Marmont, jetant un pont de chevalets, se précipite sur le corps prussien du général Kleist. Rien de beau comme l'aspect de cette manœuvre; la rivière de la Sprée voit ces trois corps traverser ses eaux avec une merveilleuse précision; la garde les appuie en réserve; à sa tête est Mortier, l'épée à la main, tandis que le maréchal Soult, qui dirige ce mouvement, se place sur une hauteur pour en contempler toutes les parties. Ce n'est d'abord qu'une bataille d'artillerie; les canonniers de marine se distinguent contre les artilleries prussienne et russe : pendant huit heures cette manœuvre se développe comme s'il s'agissait d'un simple exercice.

Le soleil est en plein, rien n'est accompli! La division Compans s'élance au pas de course, et, par un brillant coup de main, enlève le village de Bautzen, la division Bonnet la suit et s'empare des hauteurs qu'occupe Kleist. Partout la bataille fait des progrès rapides;

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Macdonald presse les Russes, et Oudinot le soutient; on grimpe les ravins sous la mitraille ennemie au milieu des tirailleurs sur toutes ces hauteurs naguère couvertes par l'ennemi, où l'on voyait des masses de troupes aux uniformes verts, noirs, sous les aigles de Prusse et de Russie, l'on aperçoit maintenant les milles baïonnettes scintillantes, des uniformes français; Bautzen et toute la ligne de la Sprée sont à nous; belle veille de bataille! beau succès obtenu! Les Prussiens et les Russes déploient une grande valeur, l'action se continue vigoureuse aux environs de Bautzen; ici des feux bien nourris d'artillerie font trembler le sol, là des charges à fond de cavalerie viennent éclater sur nous; c'est une bataille rangée de premier ordre. Enfin l'ennemi se retire sur son camp retranché de Wurtschen. Il n'y a jusqu'ici qu'un premier acte du drame accompli; les grandes funérailles de la veille n'ont point suffi; il faut celles encore du lendemain. Le soleil du 21 mai va voir quelque chose de plus hardi et de plus fier.

On se repose au bivac, la terre est couverte de morts, et néanmoins une glorieuse gaieté règne dans les rangs, la victoire est revenue battre ses nobles ailes, au son d'une musique retentissante. Ce qu'on a fait aujourd'hui est plus beau qu'à Lutzen, cela tient du prodige; les manœuvres ont été exécutées avec la grandeur des premiers temps des guerres d'Italie. Napoléon est orgueilleux de ses conscrits; ce n'est plus là l'armée de Moscou, c'est quelque chose de plus jeune, de plus français: plein de satisfaction, il passe cette nuit à compléter ses plans. Au point du jour il est à cheval; à cinq heures, à l'aurore, la bataille s'annonce sur une échelle aussi formidable. De loin, on peut voir la disposition de l'ennemi au milieu du camp retranché : les Prussiens sont massés dans l'attitude la plus imposante; on reconnaît les gardes à leur taille élevée, à leur uniforme brillant la garde impériale de Napoléon est derrière le mamelon où elle se déploie; géant aux mille bras, il semble menacer cet autre géant qui se tient derrière les murailles du camp retranché.

Les Russes se sont portés à droite sous le prince Eugène de Wurtemberg et Miloradowitch, ils veulent ressaisir les hauteurs que les Français ont enlevées; la mitraille éclate sur leur tête. L'empereur, fatigué d'une nuit laborieuse, s'était placé sur la pente d'un ravin, au milieu des batteries de Marmont, son noble compagnon d'Égypte, et là, enveloppé de son manteau, il dormait en attendant que les grands résultats de la bataille fussent obtenus. C'était son habitude,

car il avait cette faculté immense de dormir et de se reposer à volonté; ce corps de fer n'avait rien de réglé; il pouvait, après toute une nuit passée sans sommeil, se placer les bras accoudés sur une chaise, et là dormir aussi bien que sous les lambris dorés. Il sommeillait donc, l'empereur, au milieu des batteries, comme Turenne sur l'affût d'un canon; ses pensées devenues plus claires, il traçait plus tranquillement les ordres, et reprenait plus de sang-froid: après les grands rêves, les grandes choses. Il avait recommandé à Marmont de le réveiller au cas où il surviendrait quelque épisode.

Il se passait en effet quelque chose de bien nouveau et de bien décisif; on entendait à gauche un bruit formidable d'artillerie; il semble qu'une armée nouvelle s'avance au pas de charge : « Qu'est-ce donc? se demande-t-on avec étonnement, qui peut ainsi faire trembler la terre sous nos pas? » On vient de tous côtés demander à l'empereur le sens de cette énigme. Lui, tout joyeux, tire sa montre, écoute la direction des feux, puis s'écrie en fredonnant : « Messieurs, la victoire est à nous! » Que se passait-il? quel prodige avait-il donc encore enfanté? quel résultat avait conçu cet homme extraordinaire? Ce bruit immense que l'on entendait, ce mouvement d'artillerie qui retentissait à travers mille éclairs, c'est Ney, qui, à la tête de 60,000 hommes, vient prendre à revers la position de Wurtschen. On le croyait sur la route de Berlin, aventuré dans une expédition séparée. Rien de tout cela; l'empereur avait tracé sa direction pour l'amener à point nommé sur le champ de bataille; il arrivait donc à marches forcées, refoulant devant lui les Russes de Barclay de Tolly et les Prussiens du général d'York. C'était une de ces surprises, un de ces mouvements qui décident du sort d'une bataille; 60,000 hommes qui prenaient à revers le camp retranché et l'attaquaient à la droite. Blücher aperçoit le péril, l'alarme est dans le camp retranché; que faire pour repousser cette attaque si vive, si imprévue ? Le corps de Kleist, séparé de Blücher, accourt au-devant de Ney, et Blücher luimême fait volte-face pour le contenir.

Alors l'empereur a vu qu'il est temps de couronner la bataille. Il profite du désordre que l'arrivée impétueuse de Ney a jeté dans le camp; une marche en avant est poussée avec un enthousiasme indicible; c'est une charge à la baïonnette des corps de Soult, de Marmont, de Macdonald, de Bertrand. Qui pourrait résister à ce torrent? Ney venait par la gauche et ces braves troupes de face. Quelle con

fusion! quel désordre dans le camp retranché! On voit les vieux régiments prussiens se reformer avec peine; ils sont brisés aussitôt que formés; les divisions de Blücher et de Kleist, rompues de tout côté, fuient en désordre devant ces masses qui pénètrent de tous côtés dans les retranchements. La bataille est gagnée, la victoire est complète, et les fanfares retentissent au sommet des retranchements. C'est dans ce camp retranché que Napoléon établit sa tente; les grenadiers y forment leurs carrés et tous saluent leur César victorieux !

Les batailles de Bautzen et de Wurtschen sont peut-être les faits d'armes les plus mémorables dans les fastes de Napoléon. A Lutzen, il n'y eut que de l'intrépidité; l'empereur, surpris en marche, improvisa un plan de bataille; mais on n'aperçut aucun de ces éclairs de génie qui distinguent les grands capitaines. A Bautzen, c'est un plan tout entier qui se développe; le passage de la Sprée est le premier acte de ce drame qui s'exécute avec une grande unité. Au delà de la Sprée commence l'attaque du camp retranché, et l'arrivée subite de Ney, sur le champ de bataille, est une des idées militaires les mieux conçues; elle fut imitée plus tard à Waterloo par Blücher et Bulow. L'arrivée soudaine d'un corps de troupes fraîches sur un champ de bataille jette une confusion immanquable, et Napoléon l'employa ici avec sa supériorité habituelle. Mais ce que l'on ne manqua pas d'observer, c'est que cette fois encore, l'ennemi laissa peu de prisonniers; non-seulement la cavalerie manque pour les poursuivre, mais les alliés ont juré de vaincre ou de mourir, ils ne se rendent plus.

C'est au milieu de ce camp de Wurtschen, sur les trophées de bataille, au retentissement des hymnes de victoire, que Napoléon, toujours plein des idées romaines, improvise, la nuit même, un magnifique décret de reconnaissance et de dévouement à l'armée; il veut que sur le mont Cenis, à l'endroit le plus élevé des Alpes, les générations puissent lire un jour ces paroles solennelles : « L'empereur Napoléon, du champ de bataille de Wurtschen, a ordonné l'érection de ce monument, comme un témoignage de sa reconnaissance envers ses peuples de France et d'Italie. Ce monument transmettra, d'âge en âge, le souvenir de cette grande époque, où, en trois mois, 1,200,000 hommes ont couru aux armes pour assurer l'intégrité du territoire de l'empire français ! »

Décret du 22 mai 1813.

FIN DU ONZIÈME VOLUME.

DES CHAPITRES

DU ONZIÈME VOLUME.

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