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d'épaisses colonnes de fumée sortirent de toutes les rues de Smolensk ; un affreux incendie sillonna le ciel rouge de feu. Qui avait amené ce malheur? étaient-ce les obus çà et là jetés par l'artillerie? les Russes avaient-ils répandu l'incendie à travers ces maisons serrées? Smolensk fut en proie aux flammes qui sillonnèrent un horizon brûlant; les épaisses murailles seules restèrent debout.

Napoléon s'était placé hors de sa tente pour contempler l'affreux spectacle; il enjambait une chaise selon son habitude, appuyant sa tête sur ses mains; les lueurs de l'incendie se reflétaient sur ses traits pâles et cadavéreux. On ne dormit point au bivac, et l'armée resta l'arme au bras; mille feux éclairaient les baïonnettes d'une sinistre lueur! tout cela faisait un funèbre et fantastique spectacle. Il était nuit encore, lorsqu'une division polonaise put pénétrer la première dans Smolensk ; le silence régnait partout; pas un soldat, pas un seul habitant, tous avaient fui. Voilà donc encore une Nécropolis, une nouvelle ville des morts; et quand l'armée, au son d'une musique retentissante, traversa les rues de Smolensk, elle ne trouva que des cadavres, des décombres; pas un seul être vivant. Une tristesse indicible pénétra dans tous les cœurs, elle se laissait voir sur les visages; jamais en aucune campagne l'armée n'avait éprouvé cette consternation le jour où elle plantait ses aigles sur une capitale conquise!

que la place était évacuée. Nous en primes possession, et trouvâmes dans ses murs plusieurs pièces d'artillerie que l'ennemi n'avait pu emmener.

>> Jamais vous ne pourriez vous retracer l'horrible dévastation qu'offrait l'intérieur de Smolensk. Mon entrée dans cette ville fera époque dans ma vie. Figurezvous les maisons incendiées, toutes les rues, toutes les places encombrées de Russes morts ou expirants, tandis que des familles désolées bravaient tous les dangers pour arracher les débris de leur fortune à la fureur des flammes qui éclairaient au loin cet affreux tableau. »

CHAPITRE II.

TROISIÈME PÉRIODE DE LA CAMPAGNE DE RUSSIE. - DE SMOLENSK AUX MORS DE MOSCOU.

Napoléon à Smolensk.- Combat de Valoutina-Gora.- Développement de la marche

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Esprit du

Barclay de Tolly. - Désordre de l'armée française. - Champ de bataille choisi par les Russes à Borodino. Dispositions dans les deux camps. soldat. Piété des Russes. Raillerie des Français. Attaque de Ney. · Bagration. Développement de la bataille de Borodino ou de la Moskowa. Kutusoff et Napoléon. Pressentiment moral de l'empereur. — Refus de faire Campement des Russes. Leur retraite. Esprit des populations. Dévouement de Moscou. - Assemblées des nobles, des marchands et des serfs. Héroïsme du comte Fodor Rostopchin. - Organisation de l'incendie. — Marche des Français sur Mojaïsk. — Aspect des murs de Moscou.

donner la garde.

19 août au 14 septembre 1812.

Les feux du soleil du mois d'août continuaient à rayonner sur l'armée telle est la puissance active de la chaleur dans ces contrées aux solstices d'été, que les Italiens eux-mêmes, les Napolitains, accoutumés aux tièdes eaux d'Ischia, étaient péniblement affectés de ces tourbillons de poussière brûlante comme le sable de l'Égypte; les fatigues des hommes, les cadavres des chevaux engendraient dans les rangs des maladies contagieuses; des multitudes de blessés restaient sans pansement, l'air était infecté de miasmes putrides. A plusieurs lieues de Smolensk c'était encore des funérailles après les morts du combat, et ce qu'il y avait de triste en tout cela, c'est qu'aucun résultat n'était obtenu ; dans les guerres d'Allemagne, d'Italie, des masses de prisonniers tombaient au pouvoir de Napoléon, on pouvait

1 Tous les témoiLs oculaires sont d'accord sur les fatigues de marche.

annoncer que des milliers d'hommes rendaient leurs armes; ici on ne s'emparait que des blessés; les Russes se faisaient tuer et leurs bataillons ne demandaient pas quartier; de manière que reformés le lendemain, il fallait encore les poursuivre et les combattre.

A Smolensk la bataille n'avait été qu'un fatal carnage; pour dissimuler le nombre des morts, on s'empressa d'enterrer les cadavres des Français et de ne laisser à la vue de tous que les soldats moscovites, froides dépouilles : ils étaient là étendus, et leurs muscles puissants, leur visage aux traits tartares se faisaient facilement distinguer sur la poussière. A Valoutina-Gora, il fallut encore combattre; jamais de victoires des sueurs, des carnages, des morts, des blessés aux larges coups; telle était la destinée de cette campagne aux contrées lointaines; il n'y avait pas des vainqueurs et des vaincus, mais des soldats qui s'entr'égorgeaient à la baïonnette. Dans ces croisements de fer il se fit des prodiges de valeur, des régiments français s'y couvrirent de gloire en face de leurs fermes adversaires, et l'histoire doit conserver le souvenir de ces éclatantes actions; la division Gudin fut surtout magnifique, elle y perdit son brave chef, un des vieux encore des campagne d'Italie; la plupart de ses officiers furent atteints par la mitraille, et Napoléon les récompensa tous avec sa majesté et sa grandeur habituelles; il fut prodigue de décorations et de titres.

Depuis quelques temps l'empereur paraissait triste et préoccupé ; les uns attribuaient cet état mélancolique de l'âme à la maladie qu'il portait depuis son enfance, quelques-uns à l'aspect de cette expédition stérile, les autres au changement de température arrivé subitement comme par un coup de foudre; dans ces contrées tout est extrême, le passage est rapide de la chaleur au froid; quelque endurci que pût être Napoléon, il ne contemplait pas sans quelque émotion les ravages que faisait la mort parmi ces rangs pressés; peut-être aussi sa prescience apercevait-elle de loin les résultats de sa campagne fatale; l'histoire de Charles XII revenait à son esprit si éminemment historique, et l'aspect du Borysthène même n'était pas capable de le détourner de si noires pensées. D'ailleurs il y a dans toutes les âmes quelque chose qui annonce les malheurs de l'avenir; ce n'est point un culte superstitieux que ce pressentiment qui fait frissonner à l'aspect d'une destinée ainsi livrée au hasard; alors on prend tout comme un présage, et le soleil qui s'obscurcit et les nuées d'oiseaux de proie qui battent les ailes autour des tentes. Le génie de Napoléon

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pouvait, avec sa grandeur habituelle, prévoir d'avance le mauvais état de sa campagne ; il était entré en Russie avec plus de 450,000 hommes; les corps détachés à droite et à gauche, depuis la mer Baltique jusqu'à la Vistule, les avaient sans doute amoindris; mais la vaste colonne qu'il conduisait lui-même comptait plus de 240,000

La correspondance militaire du quartier général est néanmoins extrêmement active. Le major général au maréchal Ney.

« Smolensk, le 19 août à huit heures du matin.

» M. le duc, je reçois votre rapport de ce matin à six heures; l'armée ennemie aura pu prendre deux partis : 1o ou faire sa retraite avec une forte arrière-garde, afin de ne faire par jour que les marches qui lui conviendront; alors il faut suivre la route qu'aura tenue cette arrière-garde. 2o L'ennemi peut avoir fait sa retraite sur toutes les routes, comme il la fit en quittant Witepsk, et alors il faut préférer s'appuyer sur la route de Stabna, point d'intersection des routes de Witepsk et de Dukhowszina, en envoyant de forts partis pour s'assurer que la route de Rudnia est libre; il faut également envoyer de forts partis sur la route de Dorogobaz, route de Moscou. L'empereur a prescrit à la division Bruyère de se rendre à vos ordres, et sa majesté a été étonnée d'apprendre que vous croyez n'en avoir pas besoin. Sa majesté pense, au contraire, que non-seulement la division Bruyère vous sera nécessaire, mais qu'il faudrait encore y joindre deux divisions de cuirassiers; il faut dans ce pays marcher avec 20,000 hommes de cavalerie, ce qui est le grand avantage de celui qui poursuit sur celui qui se retire; celui qui poursuit doit tenir sa cavalerie à portée, tandis que celui qui fait sa retraite, rencontrant des défilés, est dans le cas de s'en trouver embarrassé. L'empereur a fait réitérer ce matin l'ordre au général Bruyère de vous rejoindre. Envoyez au-devant de lui; sa majesté pense que sans cela vous ne pouvez rien faire. » Signé: ALExandre. »

Napoléon au major général.

<< Smolensk, le 24 août 1812.

>> Mon cousin, vous trouverez ci-joint un bon sur l'intendant pour fournir au prince de Schwartzenberg une seconde avance de 500,000 fr.; faites connaître au prince ma satisfaction de la victoire qu'il a remportée; que demain je marche sur l'ennemi, qui a l'air de prendre position à vingt lieues d'ici, sur la route de Moscou; que je désire qu'il fasse en sorte que les troupes que l'ennemi a en Wolhynie ne viennent pas se porter sur moi, que je lui recommande de les occuper. Écrivez au général Reynier dans le même sens. Vous ferez connaître au prince de Schwartzenberg que j'ai demandé à l'empereur d'Autriche que tous les avancements se fissent dans son corps, et qu'il leur fût accordé des récompenses; que je me réserve, de mon côté, d'en accorder sur le rapport qu'il me fera ; que j'attends ses propositions. Écrivez au duc de Tarente pour lui faire connaître ce qui s'est passé et que je me mets en marche. Écrivez aussi au général Saint-Cyr, faites lui savoir que j'attends ses propositions pour accorder des récompenses à son corps d'armée ; qu'il résulte des bulletins russes que Wittgenstein n'a que deux divisions, formées de bataillons de réserve qui ne sont composés que de recrues.

>> Sur ce, etc.

» NAPOLÉON.»

hommes quand elle passa le Niémen. A Smolensk ce fut effrayant à voir à la revue, et d'après les états de l'armée, on ne retrouva que 157,000 hommes sous les armes; ainsi près de 100,000 hommes étaient dévorés par la guerre; était-ce par suite de ces grandes batailles qui décident du sort des empires et préparent la paix? on n'en avait pas livré; 20,000 hommes à peine avaient péri au champ d'honneur, et cependant plus de cinq fois le nombre manquaient à l'appel; qu'étaient-ils devenus? et ici les rapports répondaient tristement : les maladies, la fatigue, avaient produit ces ravages, l'épidémie n'était pas la moins meurtrière des causes qui avaient décimé les rangs de cette armée.

Maintenant quel parti restait-il à prendre? car plus ces marches dans les contrées lointaines se multipliaient, plus les Russes se renforçaient par leurs milices et les levées en masse, tandis que les soldats de Napoléon voyaient leurs rangs s'éclaircir; on parlait bien des renforts qui venaient appuyer les régiments en marche au fond de la Russie; on formait en toute hâte des légions lithuaniennes sur la Vistule et le Niémen; le corps du maréchal Victor recevait l'ordre de hâter son mouvement sur Smolensk; mais ces renforts ne remplaçaient qu'avec peine les vides laissés par les désertions, les maladies et la mort. A mesure que l'on pénétrait dans ces contrées, les souffrances s'agrandissaient, les magasins manquaient, le désordre était partout, et comment les troupes auxiliaires pouvaient-elles seconder Napoléon à travers des pays ainsi ravagés? Plus le nombre des combattants serait grand, plus la disette serait cruelle; la prophétie revenait à la pensée de plus d'un de ces hommes : « comment faire vivre 150,000 hommes dans un pays qui ne put pas même nourrir les 24,000 soldats de Charles XII? »

On voit dès lors la sollicitude de Napoléon pour conserver la garde sous sa main ; il n'engage jamais ce beau corps de réserve; la garde a une plus forte discipline, elle reçoit une distribution mieux réglée ; tandis que l'armée de ligne se porte sur les routes, dans les champs pour marauder, la garde tient ses rangs, reste tout entière groupée autour de la tente de Napoléon, comme si elle répondait de sa gloire. L'empereur la caresse, l'entretient dans ses nobles dispositions; il semble que, dans le pressentiment de cette retraite qui apparaît à ses yeux sombre déjà, il veut se réserver un corps d'élite, une masse d'hommes éprouvés qui fassent autour de lui comme un bataillor

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