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17-19 août.-De Munich à Pieve di Cadore.

Je franchis à Kufstein la frontière autrichienne. J'entre en Italie par le Val d'Ampezzo. A peine en Autriche, la propreté, l'ordre, l'air d'aisance cossue qui me frappaient en Allemagne font place à une certaine négligence indolente. Les wagons de chemin de fer, dont le luxe et le confort sont si grands en Allemagne, deviennent moins soignés, et les employés, moins polis, vous y empilent sans pitié. Je revois des mendiants, race que, depuis quinze jours, je pouvais croire disparue de la terre. La tenue des soldats s'est relâchée, et la joliesse sautillante des officiers autrichiens contraste avec la distinction, parfois un peu gourmée, des officiers allemands. Arrivé en Italie, j'entre dans le royaume de la misère joyeuse et de la saleté aimable. Le pays d'ailleurs est si beau, et les habitants si gais et si bons enfants, que je me résigne à l'avance aux mille petites privations que leurs hôtels et leur cuisine vont m'infliger.

Je quitte l'Allemagne émerveillé des progrès matériels qu'elle a faits depuis vingt ans, de l'incroyable développement de sa richesse, de l'aisance qui règne partout. J'ai entendu, il est vrai, des Allemands se plaindre de ce développement du bien-être et de la richesse, prétendre que la jeunesse ne songe plus qu'à gagner largement sa vie, que dans les Universités on délaisse les études désintéressées, la philologie et l'histoire, pour ne s'occuper que de chimie ou d'électricité. Ils disent que Bayreuth est un phénomène unique, qui seul donne encore à l'Allemagne une influence idéale sur le monde, que partout ailleurs l'art est en baisse, que la musique même n'est plus cultivée avec autant de sérieux, que les prétendues représentations modèles de Beethoven, Mozart et Wagner à Munich, annoncées à grand renfort de réclames par toute l'Europe, sont une preuve lamentable de la négligence, du manque de conscience des directeurs, des musiciens et des chanteurs. Il y a même des Allemands assez grincheux pour se plaindre que Bayreuth corrompe l'originalité allemande en attirant à soi tant d'étrangers, surtout tant de Français et d'Anglais, qui y forment presque la majorité du public. D'autres grognent contre l'hégémonie prussienne, et affectent de parler avec dédain de l'Empereur, qui, disent-ils, n'a

d'admirateurs qu' en France. En Bavière, en particulier, cet esprit frondeur est très répandu, et l'ultramontanisme s'y trouve en ce moment fortifié par une véritable poussée de sentiments nationaux particularistes. Le clergé distribue par milliers, dans les campagnes, un petit médaillon qui porte d'un côté l'image du prince Ludwig, et de l'autre les fières paroles qu'il a prononcées à Moscou devant le prince Henri de Prusse: "Verbündete, nicht Vassalen" (alliés, non vassaux). Je ne compâtis pas trop à toutes ces plaintes. Je vois pour l'Allemagne une source considérable, non seulement de force, mais aussi d'influence, dans son progrès industriel. En exportant ses produits, elle étend aussi son action et propage son esprit. Si le désir de s'enrichir par le commerce et l'industrie diminue chez elle le prolétariat savant, le nombre des ratés des lettres et de la science, et surtout la préserve de cette fièvre de fonctionarisme qui ruine et énerve la France, c'est tant mieux pour l'Allemagne. Si elle n'a plus actuellement de grands hommes, sauf le vieux Mommsen et le vieux Bismarck, je ne vois pas que les autres nations soient en ce moment beaucoup mieux partagées, et sans parler de l'énorme somme de travail intellectuel qui se fait dans les Universités, il y a dans l'Allemagne du Nord un mouvement littéraire qui, avec Sudermann, Hauptmann, Fulda et quelques autres, commence à exercer une action en dehors des frontières. L'incroyable réputation faite aux œuvres de Nietzsche suffit à prouver l'intérêt qui s'attache aujourd'hui aux choses d'Allemagne, et si Bayreuth exerce un tel prestige, ce n'est pas, avouons-le franchement, quoique allemand, mais aussi parce qu'allemand. L'armée est toujours aussi bien dressée, les soldats aussi bien tenus, les officiers aussi exacts à leurs devoirs. Les sentiments particularistes sont dominés partout par l'attachement de la nation à l'Unité, si chèrement achetée, et dont les effets bienfaisants sont ressentis par tous, même par les socialistes. Je reviens d'Allemagne très frappé par les signes de force, d'activité pacifique et de progrès que j'ai vus dans tous les lieux où j'ai passé. Il est nécessaire que les Français sachent ce qu'est l'Allemagne actuelle, et ce qu'ils peuvent espérer ou craindre d'elle.

GABRIEL MONOD.

NAPOLEON ET WELLINGTON.

PAPIERS INÉDITS DE P.-J. PROUDHON
PUBLIÉS PAR CLÉMENT ROCHEL

(Suite)

LES grands hommes ne nous paraissent grands, que parce que nous les regardons par leur grand côté. Il faut les mesurer d'ensemble, sur toutes les faces, et faire la somme.

(C.f. Revue Germanique du 30 novembre 1859: "Compterendu des fêtes célébrées en Allemagne, à propos de l'anniversaire de Schiller." C.f. les lettres de celui-ci à Goethe, et sa Vie par A. Weil, dans le Nord. Il y a de mesquins côtés dans Schiller.*)

Le culte des grands hommes que certains soi-disant Humanistes voudraient établir aujourd'hui, en guise de religion, est une continuation de la théologie ou symbolique religieuse, un reste d'idolâtrie.

Il n'y a pas de grands hommes; il y a des hommes, plus ou moins approchant du type abstrait; et des individus, en masse, qui, par le vice de l'éducation et le malheur des temps, tombent plus ou moins bas au-dessous de ce type.

* C.f. aussi comment il annonçait sa collaboration au journal la Thalie du Rhin (Die Rheinische Thalia), lorsque le baron Dalberg l'appela près de lui à Manheim: "J'écris comme citoyen du monde. Je ne sers aucun prince. De bonne heure, j'ai perdu ma patrie pour l'échanger contre le genre humain, que je connaissais à peine en imagination." Cette profession de foi vaut celle de Proudhon : "L'ancien Brutus sacrifia ses deux fils, convaincus de trahison envers la patrie. Je sacrifierais la patrie avec mes enfants, si je les croyais coupables de trahison envers l'humanité." Les lettres dont parle Proudhon ont leur beauté douloureuse, mais jamais Schiller ne tombe dans un doute frivole. Quand l'idée de ce qui est noble cesse d'être sacrée à ses yeux, il ne veut point la détruire. Il lui cherche un refuge dans la sphère plus étroite de l'homme et de la nature, et en fait un chef-d'œuvre de l'esprit humain. — C.f. M. de Barante, Mélanges historiques et littéraires, t. 111 (Vie de Schiller).

NO. XI. (VOL. IV.)

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Il en est des hommes comme des tableaux et des diamants, dont le prix s'accroît selon une progression qui dépasse de beaucoup celle du volume, du poids, de l'étendue ou du mérite réel.

Supposons qu'on puisse juger, sainement et sans risque d'erreur, de la valeur intellectuelle d'un homme par les dimensions du cerveau: la dimension moyenne du cerveau étant représentée par a de circonférence, celui dont le cerveau serait 2 vaudrait double, si par x +

I

ΙΟΟ

x +
8, etc.

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ΙΟΟ

3

4, si par x +

100

En sorte que l'individu dont le cerveau ne présen

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terait qu'une différence de Ou serait estimé 32!*

100

20

* Ces termes d'équation sont de pure convention, bien entendu, et ne donnent point de solution dans les non-équivalences intellectuelles. Proudhon a établi pour le XVIIe siècle, un tableau qui complète sa pensée :

"Vingt ou vingt-cinq hommes, souvent moins, représentent tout un siècle. Ce sont les sources de sa vie, les foyers de sa pensée, la force impulsive de son mouvement. Ce sont eux enfin qui l'inspirent, l'excitent, le font marcher, le résument. Leur biographie serait facilement toute l'histoire. Tels sont, pour le XVIIe siècle, les noms suivants :

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Sur ces 22 noms, il y a 9 Français, 6 Anglais, 3 Hollandais, 1 Suédois, 1 Italien, 1 Allemand, 1 Polonais.

Au reste, chacun fait sa liste à son point de vue particulier et, comme il conçoit la société ; on ne trouverait pas deux listes sur dix mille qui fussent identiques."

* Proudhon a laissé dans ses papiers le scénario d'un drame, Galilée, qui fut publié par M. Edmond Lepelletier, dans la Nouvelle Revue, au mois de février 1895. Ce scénario est très poussé et conçu dans une forme théâtrale fort ingénieuse, pour "dramatiser les luttes de l'esprit et les agitations de la pensée, de manière que le spectateur s'y intéresse, comme il s'intéresse aux luttes des passions et aux révolutions de la politique."

Divisez le Régent, estimé vingt millions, en vingt fragments égaux, vous n'en aurez plus que pour 100,000 francs.

Plus on étudie attentivement l'histoire du Consulat et de l'Empire, plus on s'aperçoit que l'Etablissement impérial était condamné d'avance; tout comme l'entreprise d'Espagne, celle de Moscou, celle de Waterloo étaient condamnées d'avance et perdues.

Le principe de l'Empire, c'est la conquête, tendance à la monarchie universelle.

Ce principe venait trop tard; incompatible avec la civilisation; c'était une idée usée depuis dix-huit siècles, et dont l'impuissance avait été démontrée une seconde fois par l'impraticabilité du système féodal.

Napoléon, guerroyant vite, remportant des victoires de mauvais aloi, remplaçant la force réelle par le prestige, accumulant conquête sur conquête, sans en digérer aucune, devait promptement aboutir à la catastrophe.

Son empire de dix ans n'est qu'une charlatanerie de dix ans, qui n'a pas un instant de stabilité.

Aucun homme de sens de son temps n'a eu foi en lui.

Pitt, le premier, comprend que tout cela est factice; Wellington, encore mieux, et le prouve.

C'est en vain qu'on énumère les fautes de l'Empereur, et qu'on prétend que, s'il les eût évitées, son empire pouvait être établi solidement. Pour être juste, il faut énumérer les fautes des Gouvernements, et avouer que si ces fautes avaient été évitées, Napoléon n'eût pas duré quatre ans. Quelle imprévoyance, en effet, chez tous ces princes, qui se laissent battre. les uns après les autres! Cette Prusse, qui laisse défaire les Russes et les Autrichiens à Austerlitz et qui attaque ensuite l'armée française à léna !... Ces généraux espagnols !... Cette expédition de Walcheren !...

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Le beau moment de l'Empire, c'est après Friedland. semble qu'il eût pu s'affermir et arriver à une paix solide. Il ne restait contre lui que l'Angleterre !... Mais l'Angleterre, c'était trop. Il fallait la chasser de partout: donc, prendre Portugal, Espagne, Italie, Hollande, Rhin, Villes hanséatiques,

etc.

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