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Pendant le cours des quatre années que nous venons de parcourir, nos quatorze armées ressemblaient à des armées romaines qui avaient pour chefs des Camilles et des Fabricius. Animées du même enthousiasme pour la liberté, pleines du même désintéressement, enfantant des prodiges par une généreuse émulation, capables de résister aux plus grandes fatigues comme aux plus dures privations, occupées de la patrie et non pas d'elles-mêmes, ne demandant ni proie ni récompenses, elles offrent un spectacle unique dans l'histoire des peuples modernes. Nos soldats étaient, sans nul doute, les premiers soldats du monde pour le courage, mais surtout par des sentimens et des pensées qui rappelaient les plus belles époques des républiques anciennes. Les chefs, qui avaient grandi avec eux sur les champs de bataille, avaient acquis une haute réputation que relevait encore la simplicité de leur vie. On remarquait à leur tête plusieurs hommes d'élite. sortis presqu'à la fois des rangs de nos armées : Kellermann, qui leur avait montré le chemin de la victoire; Dumouriez, né avec du génie pour la guerre, mais infidèle à la gloire et à la patrie; Dugommier, plein de talens et de vertus, mais enseveli dans l'un de ses triomphes; Pérignon, son heureux successeur; le sage Moncey; le modeste Jourdan qui a sauvé la France, et n'a jamais trompé personne; Pichegru, qui, après avoir rendu de si grands services à son pays, allait flétrir ses lauriers en trahissant l'armée confiée à sa garde; Moreau, destiné à le surpasser en

génie militaire, et à expier la faiblesse ou plutôt la nullité de son caractère politique, en mourant les armes à la main contre des Français, et sous les drapeaux de l'étranger. De tous ces hommes à qui la liberté avait révélé leur génie et fourni un grand thẻâtre pour le développer, peut-être le plus étonnant était Lazare Hoche, le libérateur de l'Alsace, le pacificateur de la Vendée. Simple soldat avant la révolution, et général en chef à vingt-cinq ans, Hoche avait les talens d'un capitaine et ceux d'un homme d'état; mais la mort devait bientôt l'arrêter dans une carrière où il avait éclaté par des succès capables de le conduire au pouvoir où peut-être il aurait pu se maintenir. Après ces vainqueurs des généraux de l'Europe, on distinguait au second rang des hommes dignes du premier : Desaix, né avec le génie de la guerre, à la fois audacieux et prudent, intrépide aux combats et habile dans le conseil ; Gouvion-Saint-Cyr, presque égal à Moreau; Championnet, digne de succéder à Jourdan; Kléber, le bras droit de tous les généraux en chef et le seul qu'on osât leur substituer en leur absence, Kléber si grand à la bataille d'Héliopolis; et enfin Masséna, le premier des généraux de division sous Dugommier, et qui comptait déjà les plus étonnans faits d'armes, avant de se placer à côté des capitaines du siècle par la bataille de Zurich. Notre armée renfermait encore une foule de lieutenans habiles auxquels un gẻnéral en chef pouvait confier le succès d'une entreprise en leur assignant le poste du talent et du dan

ger; ils sont morts ou vivent couverts de gloire. Les moins illustres d'entre eux avaient une renommée. quand Bonaparte arrivait, avec le secret de son génie, au commandement. Presque inconnu de nos armées, excepté de celle d'Italie, il était ignoré de la France sans appui que l'estime de Carnot et la bienveillance mobile de Barras, qui eux-mêmes ne pouvaient avoir beaucoup de confiance dans leur sition; étranger aux partis, quoiqu'il eût une opinion et qu'il parût avoir donné des gages à la Révolution; il n'avait ni influence politique, ni moyen d'en acquérir que par des victoires, et ne possédait pour trésors que sa fortune et son épée.

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CHAPITRE II.

CAMPAGNES D'ITALIE Jusqu'au DÉPART POUR L'Égypte,

Bonaparte prit le commandement de l'armée d'Italie le 20 mars 1796, époque dont l'anniversaire a été marqué pendant vingt ans par un si grand nombre d'événemens dans le cours de sa carrière. Cette armée, quoique renfermée long-temps sur un théâtre trop étroit pour elle, n'était ni sans gloire, ni sans enthousiasme; elle avait terminé une campagne heureuse par la brillante affaire de Loano, où Schérer, fidèle au plan de Masséna, et admirablement secondé par cet intrépide général qui en eut presque tout l'honneur, fit perdre aux alliés 4,000 hommes restés sur le champ de hataille, et 5,000 prisonniers, outre tout le pays occupé par les Sardes; mais ce succès n'avait point eu les conséquences utiles que nous aurions dû en retirer. Lorsque Bonaparte arriva, l'armée, éparse dans les rochers qui bordent la rivière de Gênes, sans vivres, sans souliers, sans habits, sans armes, privée de solde, dépourvue d'artillerie, livrée à l'indiscipline, et composée de 40,000 hommes seulement, voyait devant elle 90,000 combattans, abondamment pourvus de tout, secondés par la facilité des communications, retranchés dans des positions inexpugnables, et commandés

par un vieillard expérimenté. Bonaparte, après avoir pourvu aux besoins les plus pressans de l'armée, commença par se concilier l'esprit des généraux qui, comme Masséna, auraient pu s'offenser de la préférence qu'il venait d'obtenir sur eux (1). Il s'empara plus facilement de l'esprit des soldats, en leur montrant l'Italie comme le terme de leurs privations et la source de leur gloire. « Camarades, leur dit-il, vous manquez de tout au milieu de ces rochers; jetez les yeux sur les riches contrées qui sont à vos pieds, elles nous appartiennent, allons en prendre possession. » A ces mots, toutes les voix répètent le cri français, le cri précurseur de la victoire; la conquête de l'Italie est jurée, chacun sera fidèle à son

serment.

Bonaparte soumet ses opérations à un plan qu'il avait médité long-temps à l'avance, celui de séparer les armées autrichienne et piémontaise, commandées, la première par Beaulieu et Argenteau, la seconde par Colli et Provéra. Argenteau est attaqué, battu à Montenotte, puis rejeté sur Millésimo et jusqu'à Dégo, où il éprouve de nouvelles défaites. Beaulieu fuit, épouvanté, par Acqui et la vallée de Corba; Provéra, établi à Cossaria, se laisse envelopper, et se

(1) Cependant Masséna et Augereau, à la première nouvelle de sa nomination au commandement en chef de l'armée d'Italie, lui écrivirent l'un et l'autre pour le féliciter, en lui disant : « Depuis long-temps vous connaissez la justice que je » rends à vos talens militaires. »

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