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jours davantage. Il y avait une double raison à cela.

D'abord l'opposition aux vues politiques qu'on lui supposait. La restitution des biens nationaux et autres choses de cette espèce avaient seules suffi pour détacher d'elle.

Ensuite il y eut, dès cette époque, une agence active qui ne laissa rien échapper de tout ce qui pouvait dépopulariser la maison de Bourbon. On saisit adroitement le ridicule, qui en France est une arme si puissante, et dans cette circonstance on l'employa sous toutes ses formes. On eut l'air de mépriser ce moyen dangereux; mais il fit des plaies profondes. La famille royale parut bientôt isolée au milieu de la nation.

J'avais été autrefois trop avant dans les affaires pour ne pas rechercher les causes de ce que j'apercevais, et qui était si général, que, dans la terre où je vivais retiré, les gens de la campagne me disaient que j'eusse patience, que cela ne pouvait pas durer.

Ce ne fut néanmoins que plus tard que je sus tout ce qui avait produit les effets que je remarquais du fond de mon exil. Je le rapporterai tel qu'on me l'a donné; mais auparavant je dois raconter une anecdote qui m'est personnelle, parce que cela revient à l'appui de l'opinion que l'on voulait établir sur la formation des listes de proscription.

J'ai toujours cru que c'était à quelque machinateur de nouvelles révolutions que je dus l'ordre qui me fut donné de sortir de Paris. Quelque répugnance que j'eusse à y obtempérer, je fus obligé de le faire, car je n'étais pas dans une position assez bonne pour braver la malveillance qui s'acharnait sur moi. Il était d'ailleurs si facile aux intrigans à projets nouveaux, de mettre leurs faits et gestes à l'adresse d'un homme qui avait été ministre de la police, que je dus prendre garde à moi. Les choses en étaient au point que mes démarches les plus simples étaient devenues suspectes. On en jugera par le fait suivant.

des

Je m'étais livré à la grande culture; la récolte

pommes de terre avait manqué, je fus obligé de faire acheter deux ou trois cents sacs de ces tubercules sur les marchés des environs de Paris, d'où, après les avoir emmagasinés dans une des remises de mon hôtel, on les conduisait à ma terre à dix lieues de la capitale. Croirait-on qu'une chose aussi simple devint une affaire de gouvernement, et qu'on ne craignit pas d'adresser à des princes du sang une dénonciation d'accaparement, de projet d'affamer Paris? Il y eut un ordre donné au commissaire du quartier de constater l'existence et la quantité de ces pommes de terre, et recevoir ma déclaration sur l'emploi que je comptais en faire. Cette ridicule visite eut

lieu avec la sévérité la plus grave; je dois l'avouer, les employés de police qui l'exécutaient en étaient honteux; mais enfin ils devaient obéir.

Obligé de quitter Paris, je me retirai dans ma terre où je vivais seul, ma femme et mes enfans étant restés dans mon hôtel.

Nous étions au mois de novembre; un homme à décoration se présente et demande à m'entretenir; je le reçois : il m'apprend qu'il est un de mes obligés, que la reconnaissance lui prescrit de me dévoiler ce qui se trame contre moi. « Ne << restez pas ici, monsieur le duc, medit-il, ne restez << pas ici; je ne puis trop vous engager à rentrer « à Paris, d'où on ne vous a pas assurément << fait sortir sans motifs. Avant-hier, on devait « se présenter chez vous; on ne l'a pas fait, mais << la chose n'est que différée. Dans peu de jours, «< vous verrez entrer ici quatorze personnes con<< duites par un nommé D***(1), que vous de

(1) Ce D*** avait été sous-officier dans l'armée de Condé pendant la révolution; il est de l'Alsace.

A la dissolution du corps de Condé, il rentra en France, et, à la campagne de 1805, je l'avais envoyé en Allemagne comme espion. Il avait rempli deux ou trois missions avec assez d'intelligence, je l'envoyai après les affaires d'Ulm, à l'armée de l'archiduc Charles en Italie; il devait venir me

VII.

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a vez connaître; les autres sont des hommes de « même espèce (il me les nomma): l'on vien« dra vous réclamer de l'argent; ce sera le pré« texte que l'on prendra pour commencer une

prévenir aussitôt que cette armée se mettrait en marche pour regagner Vienne.

Comme il passait lui-même par cette capitale je lui avais donné une lettre à l'adresse d'un particulier de cette ville qui devait la remettre à un autre pour lequel elle renfermait des billets à ordre.

D*** rompit le cachet, vit de quoi il était question, prit les billets à ordre, et, pour éviter la réclamation de celui à qui ils étaient destinés, il alla le dénoncer au gouvernement autrichien, qui le fit arrêter; et lui, D***, au lieu de se rendre à l'armée de l'archiduc Charles, alla en Bohême, d'où il vint se placer près de Ratisbonne; et passant tantôt d'une rive du Danube sur l'autre, en se disant commissaire bavarois lorsqu'il était sur la rive autrichienne, e commissaire autrichien lorsqu'il était sur la rive bavaroise, illevait ainsi des contributions sur toutes les deux.

Il fut arrêté faisant ce métier, et il aurait été infailliblement fusillé, si la paix ne s'était pas faite; il fut renvoyé à Paris pour y être mis en prison jusqu'à ce que l'on eût pu tirer des mains des ennemis celui qu'il avait fait arrêter en le dénonçant, et comme cela fut long, ce D*** souffrit en France ce qu'il avait fait souffrir à son semblable en Autriche.

Je fus bien étonné de voir cet homme-là chevalier de Saint-Louis, garde de la porte du roi, et depuis chef d'escadron de gendarmerie.

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querelle dans laquelle on doit vous assassiner. « On est sûr de l'impunité, déjà même on a rédigé « le rapport de cette aventure, afin de la mettre << dans les journaux. Il est conçu de manière à «< faire penser que l'on serait venu chez vous « vous réclamer de l'argent et vous proposer un «<< défi que vous auriez refusé, mais que, forcé par « les hommes d'honneur auxquels vous aviez affaire, vous avez été contraint de l'accepter; << et comme l'on a supposé que vous blesseriez quelqu'un en vous défendant, on a de même « supposé que c'est en duel que vous auriez << blessé le premier, le second, tous ceux qui le << seraient; mais qu'enfin vous auriez succombé « à votre tour.

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<«< Je ne puis vous en dire davantage sans

m'exposer moi-même; mais pour rien, ne res<< tez chez vous, parce que je ne pourrais pas << venir deux fois vous donner un pareil avis. »

Cet honnête homme me quitta, et, comme l'on pense bien, j'envoyai au ministre de la police une copie de sa déclaration, lui indiquant les noms qu'il m'avait cités. Ils étaient aisés à trouver, puisque ce *** était chevalier de SaintLouis, et garde de la porte de la maison du roi. Je fis donner communication de son projet à son capitaine, M. de Mortemart, et je n'en entendis plus parler.

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