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plaisait à l'armée. Il lui parlait avec ce respect sérieux qui relève des troupes humiliées par les revers. Il se posait devant les officiers en homme qui vient recevoir des leçons, non en donner aux maîtres de la guerre, et qui désire être adopté par des braves malheureux.

Le duc de Berry, prince d'une fougue plus spirituelle et plus turbulente, rappelait la jeunesse de Charles II sans rappeler ses grâces et ses entraînements. Il affectait l'imitation des manières et du ton de l'empereur vis-à-vis des troupes, ses familiarités avec le soldat, ses rudesses avec les généraux. Il croyait flatter la jeune armée en prenant ses défauts. pour modèle et pour gloire. Il s'était entouré des officiers les plus légers et les plus insolents de l'état-major de Napoléon, mêlés à quelques amis de son enfance rentrés avec lui de l'émigration. Des mots maladroits, des scènes violentes, des gestes brusques et souvent offensants, des revues perpétuellement passées avec la sévérité d'un élève de Frédéric II et avec le dédain d'un vieux soldat pour des troupes neuves, des reparties plus brutales que soldatesques, des légèretés de conduite, des amours qu'on pardonne aux Henri IV, mais qu'on blâme dans les princes dont la gloire ne couvre pas les faiblesses, une agitation perpétuelle et sans autre but que de capter l'attention publique, rendaient ce prince, quoique bon, brave et généreux, un sujet de raillerie, d'antipathie populaire et de désaffection militaire entre l'opinion publique et les Bourbons. Il avait cependant des vertus de cœur, des promptitudes d'esprit, le courage de ses aïeux, la passion de la gloire, la franchise du soldat, les retours magnanimes et spontanés sur les offenses qu'il avait faites, les fidélités de l'amitié, les prodigalités de l'amour, le goût et l'intelligence des arts; il aurait plu aux Français s'il avait été moins pressé de plaire, à l'armée s'il avait moins affecté les manies de soldat. L'impatience, la brusquerie, la tenue soldatesque, la supériorité du rangaffichée au milieu des généraux ses maîtres, gâtaient tout.

Il lui fallait réparer le lendemain les fautes de la veille. A chacune de ses tournées dans les garnisons et de ses revues à Paris, il rapportait de nouvelles impopularités à sa maison et à sa cause.

XXXVIII

Le comte d'Artois, père de ces deux princes, était déjà à Paris ce qu'il avait été à Versailles en 1790, et ce qu'il avait continué d'être en Angleterre, le centre et l'espérance de la contre-révolution. Entouré de toute la haute Église, de toute l'émigration et de toute la noblesse, il était la cour du passé mécontent et exigeant, à côté de la cour politique et conciliatrice de son frère. Il semblait se préparer à hériter des fautes que Louis XVIII lui laisserait à réparer. Il ne manifestait néanmoins au dehors aucune opposition trop formelle au gouvernement. Il s'était contenté d'y avoir un œil et une main dans la personne de M. de Vitrolles, qu'il avait fait nommer secrétaire d'État du conseil des ministres. Mais l'influence intime de M. de Blacas et l'influence extérieure de M. de Talleyrand avaient promptement annulé l'action de M. de Vitrolles dans les affaires. Un esprit frondeur, des intrigues sourdes, des rapports mystérieux avec Fouché et Barras pour demander à la révolution le secret de museler l'esprit révolutionnaire, des espionnages de haute police, des plans éventuels de gouvernement, des ligues de journaux, des encouragements et des écrits ultra-royalistes, des subsides de cour dévorés par des écrivains adulateurs et faméliques, formaient toute la politique du frère du roi. La duchesse d'Angoulême, qui n'avait, comme les femmes, que des instincts pour politique, penchait du côté de cette cour du comte d'Artois. Elle était trop pieuse pour désirer la

vengeance; mais elle avait trop souffert et trop pleuré pour n'avoir pas la secrète horreur de tout ce qui lui rappelait le sang de son père et de sa mère. Elle voulait bien pardonner à la révolution, mais elle ne voulait pas la voir. Elle plaignait le roi son oncle d'être obligé d'employer les mains, suspectes ou flétries à ses yeux, des hommes de la république et de l'empire. Elle en comprenait la nécessité, mais elle ne pouvait se contraindre à leur sourire; elle se réfugiait chez son beau-père le comte d'Artois, ou quand elle paraissait chez le roi, elle s'enveloppait dans sa dignité et dans son silence glacial. On prenait pour de l'orgueil ce qui n'était que de la mémoire et du deuil. Elle s'aliénait ainsi les cœurs, qui n'avaient pas la justice de lui pardonner ses aversions.

XXXIX

Le vieux prince de Condé végétait au Palais-Bourbon au milieu d'une cour surannée de vieux serviteurs et de vieux soldats de son armée, qui contrastaient avec l'armée nouvelle et qui s'arrachaient les grades, les faveurs et les prodigalités du trésor. Son fils le duc de Bourbon, entouré de quelques femmes et de quelques amis, compagnons de sa mauvaise fortune, se réfugiait dans le château de Chantilly et s'étourdissait sur ses malheurs dans des chasses incessantes au sein de ses forêts natales.

la

On voit qu'à l'exception du roi, aucun de ces princes rentrés de la maison de Bourbon n'avait été formé par nature ou façonné par l'éducation pour reconquérir par l'ascendant de la popularité le cœur de la France. Ce que le duc d'Orléans reconquérait dans l'ombre n'était pas reconquis pour les Bourbons. Il séparait déjà sa cause de la causc

de la dynastie. Il préméditait un avenir, mais un avenir pour lui seul.

XL

La France cependant ne témoignait aucun éloignement pour la famille royale. Les revers récents écrasaient les opinions. On se contentait de respirer un moment entre deux orages, on essuyait ses plaies, on se reposait de ses agitations, on se pliait avec facilité au temps, on espérait bien de l'avenir, on s'enivrait de l'idée d'une longue paix, on était fier de la liberté rendue à la tribune, de la discussion discrètement permise aux journaux. Les impérialistes partageaient la cour, les grands commandements militaires, les magistratures, les préfectures, avec les grands noms de l'ancienne noblesse; les républicains jouissaient de la chute de cette longue tyrannie du Cromwell de la liberté française, ils n'exigeaient pas des Bourbons plus que des républicains vieillis ne peuvent exiger d'un roi. Les royalistes s'entouraient de souvenirs, de piétés royales, de légendes du Temple, de la Conciergerie, de l'échafaud du roi et de la reine, des cérémonies expiatoires consacrées à la mémoire des victimes de la cause royale, Louis XVI, la reine, Louis XVII, madame Élisabeth, Pichegru, Moreau, confondus à dessein dans un même culte de souvenirs, afin que l'opinion du peuple vît des partisans des Bourbons dans tous ceux qui avaient conspiré contre la tyrannie de Napoléon. On exhumait du cimetière de la Madeleine, tombeau banal des suppliciés, les restes du roi et de Marie-Antoinette à demi consumés par la chaux vive, pour leur faire des obsèques royales à Saint-Denis. Les généraux et les maréchaux, les dignitaires de l'empire, les corps constitués, les acadé

mies, les écrivains et les poëtes se pressaient en foule à ces cérémonies, maudissaient ces crimes, en lavaient l'armée et la nation. Ils flattaient de leurs imprécations et de leurs larmes une race royale dont ils avaient depuis vingt-cinq ans oublié la cause. Ils se confondaient avec la vieille aristocratie et l'émigration dans ces solennités pour être confondus avec elles dans les faveurs qui en étaient le prix. On eût dit qu'il n'existait plus en France un seul hommie de cette nation, de ces assemblées, de cette république ou de cet empire qui avaient vu ces temps, ces guerres, ces tribunaux, ces immolations. La France entière semblait dater du retour des Bourbons. Les régicides eux-mêmes rejetaient sur la terreur et le malheur des temps, des votes de mort dans le jugement de Louis XVI ou dans celui du duc d'Enghien que chacun d'eux s'efforçait de désavouer ou d'expliquer. Ils ne se contentaient pas de l'amnistie, ils briguaient l'attention et la faveur du roi. Ils voulaient forcer l'entrée des Tuileries pour y retrouver sous des princes rentrés le prix des services suspects qu'ils avaient rendus à Napoléon, ou des complicités qu'ils avaient partagées avec les noms les plus sinistres de la république.

XLI

Louis XVIII n'avait qu'à modérer le zèle de ses anciens amis et l'impatience des nouveaux. Il n'avait aucune opposition à combattre. La seule difficulté pour lui consistait alors à partager ses faveurs et ses sourires dans son palais avec assez d'impartialité et de mesure entre l'ancienne et la nouvelle cour, pour que le mécontentement des vanités blessées ne fit pas prévaloir trop imprudemment l'une de ces cours sur l'autre, et pour que l'ancienne et la nouvelle

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