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Je vous avais appelés pour m'aider, et vous êtes venus dire et faire ce qu'il fallait pour seconder l'étranger. Au «lieu de nous réunir, vous nous divisiez.

<< Votre commission a été entraînée par des gens dévoués « à l'Angleterre. M. Lainé, votre rapporteur, est un mé«chant homme. Son rapport a été rédigé avec une astuce << et des intentions dont vous ne vous doutez pas. Deux << batailles perdues en Champagne eussent fait moins de << mal.

«Dans votre rapport, vous avez mis l'ironie la plus san« glante à côté des reproches. Vous dites que l'adversité m'a « donné des conseils salutaires. Comment pouvez-vous me reprocher mes malheurs? Je les ai supportés avec hon«neur, parce que j'ai reçu de la nature un caractère fort et «fier, et si je n'avais pas cette fierté dans l'âme, je ne me « serais pas élevé au premier trône du monde.

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« Cependant j'avais besoin de consolations, et je les << attendais de vous. Vous avez voulu me couvrir de boue; mais je suis de ces hommes qu'on tue, mais qu'on ne « déshonore pas.

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« Était-ce par de pareils reproches que vous prétendiez « relever l'éclat du trône? Qu'est-ce que le trône, au reste ? Quatre morceaux de bois revêtus d'un morceau de velours. << Tout dépend de celui qui s'y assied. Le trône est dans la << nation. Ignorez-vous que c'est moi qui la représente par«dessus tout? On ne peut m'attaquer sans l'attaquer elle«même. Quatre fois j'ai été appelé par elle, quatre fois j'ai << eu les votes de cinq millions de citoyens pour moi. J'ai un « titre, et vous n'en avez pas. Vous n'êtes que les députés « des départements de l'Empire.

«Est-ce le moment de me faire des remontrances, quand << deux cent mille Cosaques franchissent nos frontières? Est« ce le moment de venir disputer sur les libertés et les << sûretés individuelles, quand il s'agit de sauver la liberté politique et l'indépendance nationale? Vos idéologues

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« demandent des garanties contre le pouvoir, dans ce mo«<ment toute la France ne m'en demande que contre l'en<< nemi.

« N'êtes-vous pas contents de la Constitution? C'est il y « a quatre mois qu'il fallait en demander une autre, ou << attendre deux ans après la paix.

« Vous parlez d'abus, de vexations; je sais cela comme « vous. Cela dépend des circonstances et des malheurs du temps. Pourquoi parler devant l'Europe armée de nos «débats domestiques? Il faut laver son linge sale en fa« mille. Vous voulez donc imiter l'Assemblée constituante « et recommencer une révolution? mais je n'imiterais pas « le roi qui existait alors; j'abandonnerais le trône, et j'ai«merais mieux faire des peuples souverains que d'être roi << esclave. >>

XXIV

Ces paroles manquaient de respect à une nation, et manquaient de justice à un homme. J'ai un titre, et vous n'en avez pas, dans la bouche du soldat qui avait dérobé tous les titres, l'épée à la main, au peuple français, était la plus insolente dérision qui fût jamais tombée d'un trône sur une représentation souveraine. Mais si de telles injures étaient méprisables dans la bouche d'un triomphateur ivre de victoires et d'autorité, elles empruntaient, du moins cette fois, une certaine grandeur d'audace aux revers qui frappaient Napoléon. Il se redressait devant l'infortune; il disait son dernier mot à l'adversité. Ce dernier mot n'était pas une dégradation de lui-même, mais un redoublement de défi au destin et de mépris à l'opinion. C'était un atten

tat de plus à la souveraineté et à la dignité du peuple, mais l'attentat, du moins, était courageux. Ses courtisans seuls le trouvèrent sublime. La généralité de l'opinion le trouva brutal et insensé. Il en espérait un grand effet sur l'imagination de la multitude, il ne fit alors qu'un grand étonnement, un grand scandale, un grand soulèvement de dignité blessée dans le pays. Il humiliait la nation au moment où il avait besoin de la susciter. Les nations puisent quelquefois du dévouement dans l'infortune, jamais dans l'humiliation. Ce discours, passant de bouche en bouche dans toutes les parties de l'Empire, fit croire à cette démence céleste qui précède la chute des hommes égarés. Il avait voulu semer la terreur dans les âmes de ses ennemis, il n'y jeta que l'irritation et le dédain.

XXV

Mais après avoir étonné, il voulut attendrir. La veille de son départ pour l'armée, le 22 janvier, il convoqua au palais les chefs de la garde nationale de Paris. La pénurie de troupes et la nécessité de couvrir quelques jours au moins la capitale que ses manœuvres pouvaient découvrir, l'avaient contraint à reconstituer cette milice civique que le nom de la Fayette et les souvenirs de 89 lui rendaient suspecte. Armer la garde nationale, c'était, à ses yeux, réarmer la révolution. Mais ne pouvant faire appel au droit, il trouvait moins dangereux de faire appel aux armes des citoyens. Il s'était réservé d'ailleurs le commandement en chef de cette armée du foyer domestique. En son absence, il en avait remis le commandement au maréchal Moncey. Le maréchal Moncey était incapable de manquer à un

devoir, aussi maniable et aussi sûr que son épée. La garde nationale était honorée et fière d'obéir à un vieux soldat qui avait partagé la gloire, jamais les torts de la tyrannie. Napoléon présenta théâtralement l'impératrice MarieLouise et son fils aux officiers de la garde nationale. Cette présentation n'avait pas pour objet seulement Paris, mais Vienne. Il voulait rappeler à l'empereur d'Autriche, son beau-père, que les coups dont les armées le menaçaient allaient porter jusque sur sa propre fille. Il lui montrait son petit-fils dans les bras et par-dessus la tête des gardes nationaux. Cette scène était une négociation sourde par laquelle il espérait trouver une complicité dans le cœur de l'empereur François II.

Marie-Louise était peu connue des Parisiens, peu aimée de la France. Enlevée à Vienne comme une dépouille de la victoire, conquise plus que demandée, succédant dans la couche du héros à l'impératrice encore vivante Joséphine, que ses grâces créoles, sa bonté superficielle et sa légèreté d'ame rendaient, par ces défauts mêmes, plus populaire chez un peuple superficiel et léger; étrangère au milieu de la France, parlant avec timidité sa langue, étudiant avec embarras ses mœurs, Marie-Louise vivait renfermée et comme captive dans l'intérieur officiel dont l'empereur l'avait entourée. Cette cour de femmes belles, titrées à neuf, jalouses d'étouffer tout autre éclat que celui de leur rang et de leur faveur, ne laissait percer de la nouvelle impératrice que les naïvetés et les gaucheries naturelles à une femme presque enfant, mais de nature à la dépopulariser dans sa propre cour. Cette cour était la calomnie respectueuse de la jeune souveraine. Marie-Louise se réfugiait dans le cérémonial, dans la retraite et dans le silence contre la malveillance qui l'épiait. Intimidée par la renommée, par la grandeur et par la brusque tendresse du ravisseur dans lequel elle n'osait voir un époux, on ignore si cette timidité lui permettait de l'aimer d'un sentiment sans contrainte.

Napoléon l'aimait par supériorité et par orgueil. C'était le blason de son affiliation aux grandes races. C'était la mère de son fils, la perpétuité de son ambition. Mais bien qu'il n'affichât pas de favorites par dédain plus que par vertu, on lui connaissait des caprices passagers pour de belles femmes de son entourage. La jalousie, sans oser les accuser, pouvait glacer le cœur de Marie-Louise. Le public avait l'injustice d'exiger de Marie-Louise les retours et les dévouements passionnés de l'amour, quand sa nature ne pouvait lui inspirer que le devoir et le respect pour un soldat qui n'avait vu en elle qu'un otage de l'Allemagne et un gage de postérité.

Cette contrainte gênait ses charmes naturels, solennisait sa physionomie, intimidait son esprit, comprimait son cœur. On ne voyait en elle qu'une décoration étrangère attachée aux colonnes du trône. L'histoire même, écrite sous l'ignorance de la vérité et sous les ressentiments des courtisans napoléoniens, a calomnié cette princesse. Ceux qui l'ont connue lui restitueront non la gloire théâtrale et stoïque qu'on exigeait d'elle, mais sa nature. C'était une belle fille du Tyrol, les yeux bleus, les cheveux blonds, le visage nuancé de la blancheur de ses neiges et des roses de ses vallées, la taille souple et svelte, l'attitude affaissée et langoureuse de ces Germaines qui semblent avoir besoin de s'appuyer sur le cœur d'un homme, le regard plein de rêves et d'horizons intérieurs voilés sous le léger brouillard des yeux. Les lèvres un peu fortes, la poitrine pleine de soupirs et de fécondité, les bras longs, blancs, admirablement sculptés, et retombant avec une gracieuse langueur sur la toile comme lassés du fardeau de sa destinée. Le cou habituellement penché sur l'épaule. La statue de la Mélancolie du Nord dépaysée dans le tumulte d'un camp français. La prétendue nullité de son silence cachait des pensées féminines et des mystères de sentiment qui l'emportaient loin de cette cour, magnifique mais rude exil. Dès qu'elle était rentrée dans l'ombre de ses appartements intérieurs ou dans

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