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HISTOIRE

DE LA VIE ET DES ÉCRITS

DE

LORD BYRON

Esquisse de la Littérature anglaise au commencement du XIXe siècle

Par M. MONDOT.

S Ier.

Dessein de ce Livre. · Génie et caractère de Lord Byron. - Importance de ses œuvres.

« Nous venons d'être atteints, écrivait Walter Scott en 1824, par un de ces coups que l'ange de la mort frappe par intervalles, pour réveiller la conscience de l'humanité. Lord Byron, qui se promenait parmi les peuples comme un être supérieur aux hommes, a payé son dernier tribut à la nature. Quel vide il laisse sur la scène du monde! Quelle main osera prendre après lui la harpe divine de Shakspeare, dont il faisait si bien résonner toutes les cordes! Ses productions, qui se succédaient sans relâche, au lieu d'épuiser sa verve, en augmentaient la fécondité. Les vers sortaient spontanément de sa plume, comme les feuilles se détachent d'un superbe chêne aux souffles glacés de l'aquilon. Hélas! il vient d'être coupé, cet arbre merveilleux, tandis qu'il était encore dans sa vigueur! Le grand poète n'est plus! Nous perdons le flambeau des lettres, et nous restons stupéfaits, comme 12

III.

si l'astre qui éclaire le monde s'éteignait soudainement au milieu de la voûte céleste. »

C'est à peu près en ces termes que s'énonçait le critique écossais. Ses regrets mêlés d'admiration étaient ceux de toute l'Angleterre ; c'étaient ceux du monde police. Y avait-il alors une nation qui n'eût traduit Childe-Harold, le Corsaire, Lara, Don Juan, la Fiancée d'Abydos. ..? Lord Byron ne faisait-il pas à Paris, comme à Londres, les délices des lecteurs ? N'était-il pas, comme dirait Quintilien, l'océan d'où sortaient les fleuves de poésie nouvelle qui se précipitaient d'un bout de l'Europe à l'autre sans être arrêtés par les frontières des États? Qu'est devenu cet enthousiasme? Nous sera-t-il donné d'en réveiller, sinon une étincelle, du moins un souvenir? C'est dans cet espoir que nous allons étudier simultanément la vie, l'époque et les œuvres de cet homme extraordinaire. Les singularités de sa conduite expliqueront celles de ses écrits. Les unes et les autres procédaient moins de ses caprices que des vicissitudes de sa destinée et des mœurs de son temps.

Entre autres talents, il avait cet esprit que Pope fait consister dans la facilité d'exprimer mieux que personne ce qui semble se trouver dans la pensée de tous. Ses ouvrages devaient donc prendre l'empreinte de son siècle. Il les publia successivement entre 1806 et 1824, c'est-à-dire pendant que les États de l'Europe, unis dès longtemps par la communauté d'idées, de mœurs et de périls, éprouvaient leurs plus violentes secousses, et commençaient ensuite à se rasseoir sur des bases mal affermies. La politique avait de la peine à s'orienter dans ce monde renouvelé. L'autorité des traditions étant méconnue, le goût d'innover s'étendait sans limites. Les lettres et les arts sortis de leurs anciennes voies, tâtonnaient pour s'en frayer d'autres. Si la philosophie et la religion se rapprochaient sur le terrain des principes, c'était pour se porter des atteintes plus meurtrières. La morale ressentait les contrecoups de tant d'ébranlements. Ainsi, tandis que l'ordre matériel ne se rétablissait qu'au milieu des catastrophes, celui des idées avait encore plus de peine à se dégager des ruines, et les lumières qui recommençaient à poindre faisaient mieux apercevoir l'étendue des bouleversements.

Ce fut dans ce tumultueux enfantement de l'ordre actuel que Lord Byron captiva l'attention publique. Et pourquoi faisait-il éclater sa voix? Était-ce pour déplorer les calamités récentes? Nullement : il affectait d'avoir pour

l'espèce humaine un dédain mêlé d'aversion. S'intéressait-il à la prospérité de son pays? Pas davantage : il s'exila jeune encore de l'Angleterre, et n'y reparut que pour s'y créer des motifs d'un éloignement perpétuel. S'était-il dévoué à quelque secte, à quelque grande entreprise? Tant s'en faut il se glorifiait d'errer au milieu de l'humanité sans en faire partie. Mais cet observateur qui ne tenait à rien, ne laissait pas de s'occuper de tout. En professant le scepticisme, il dogmatisait sur la religion, sur la philosophie, sur la politique. Ses paradoxes, séduisants par leur hardiesse, l'étaient bien davantage par l'éclat de l'expression. Ses vers, sans avoir toujours un but déterminé, s'élançaient pleins de fougue en culbutant à droite et à gauche ce qui s'offrait devant eux. Instigateur de toutes les témérités, il personnifiait en lui cet esprit aventureux qui, venant de changer la face de l'Europe, s'agitait encore comme si tout lui restait à faire.

Quoiqu'il fût l'interprète violent des passions qui bouleversent les sociétés, il n'en décrivit pas moins la nature avec une sincère admiration. Il parcourut le Portugal, l'Espagne, la Grèce, l'Asie Mineure, la Suisse, l'Italie. Tandis qu'il y contemplait avec ravissement l'éternelle magnificence des rivages et des montagnes, sa mémoire lui rappelait à propos les vicissitudes des divers peuples. Aussi libre que Pindare, et souvent non moins heureux dans ses digressions, il rapprochait les splendeurs passées des misères présentes, et trouvait dans ces contrastes les plus brillantes inspirations.

Mais au moment même où il parait le plus absorbé dans la contemplation de la nature et de l'humanité, il ne laisse pas de se peindre lui-même. Chacun de ses poèmes a pour sujet un des entraînements de son cœur ou l'un des systèmes de son esprit. S'il décrit le monde extérieur, c'est pour rendre les impressions qu'il en reçoit. Il réalise l'idée profonde que l'antiquité se faisait de la poésie: pour lui, c'est une création d'objets existants déjà, mais qu'il refait à sa ressemblance. C'est sous cette forme imaginaire qu'il les aperçoit et les montre. Première dupe de son enthousiasme, comme dirait Platon, il se laisse aller aux illusions avant d'y entrainer ses admirateurs.

Son originalité n'éclate pas moins dans ses expressions. Son style mérite l'éloge que Longin fait de celui de Démosthènes : il entraîne comme l'ouragan et brile comme la foudre. Les traits de force et de vigueur n'en sont pas seulement des ornements, ils en constituent le corps: c'est une succession

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