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RECHERCHES

SUR LES

Origines étymologiques de l'idiome Catalan

(PREMIER MÉMOIRE.)

Par M. F.-R. CAMBOULIU.

Une opinion généralement acceptée au sujet de la civilisation des peuples dits néo-latins, c'est que cette civilisation est à peu près en entier d'origine romaine ou germanique, et que les faibles débris d'éléments étrangers à ces deux sources dont on peut constater çà et là l'existence, n'ont aucune importance historique. En Espagne et dans la Gaule, aussi bien qu'en Italie, les Romains auraient fait d'abord table rase en exterminant ou en s'assimilant les anciennes populations qui occupaient ces contrées; puis, sur ce fonds essentiellement latin, serait venue s'étendre une forte couche de germanisme, et de là nos mœurs, nos institutions, nos langues, tout ce qui constitue notre civilisation actuelle. Gaulois, Ibères, Étrusques, Osques, Sabins, Grecs d'Italie et de Marseille, auraient disparu sous cette double conquête sans laisser d'autres traces de leur existence qu'un souvenir et un nom.

Cette opinion, je l'avoue, m'a toujours paru excessive, et, malgré les nombreux partisans qu'elle compte tant en France qu'en Allemagne, j'ai toujours pensé qu'elle n'était point le dernier mot de la science, et que des recherches plus complètes, des analyses plus exactes, feraient voir les choses sous un autre 64

III.

jour. J'ai peur qu'on ne s'en soit un peu trop tenu jusqu'ici aux considérations générales et aux arguments extérieurs. Il faudrait, ce me semble, serrer la question de plus près et l'attaquer avec tous les moyens d'investigation que la science moderne met à notre disposition. Personne n'ignore aujourd'hui les précieuses lumières qu'on peut tirer de la philologie, pour la solution des problèmes historiques. Les mots et les formes du langage sont des monuments tout aussi importants, tout aussi significatifs que les ruines ou les médailles. Ces monuments ont-ils été consultés sur la question des origines de la civilisation néo-latine? A-t-on fait à ce point de vue une étude sérieuse et complète du français, de l'espagnol, du provençal, de l'italien et des nombreux idiomes locaux qui se groupent autour de ces quatre langues principales? Non. Or, tant que cette étude n'est point faite, nous nions que l'on puisse déterminer jusqu'à quel point la conquête romaine effaça du sol les civilisations antérieures'. M. Fauriel avait relevé dans le seul provençal près de trois mille mots qui ne sont point d'origine latine, et dont la moitié au moins ne peut être rapportée avec certitude à aucune langue connue. Mes recherches personnelles me mettent à même d'affirmer un fait analogue pour les idiomes trans-pyrénéens. Les travaux des Zeuss, des Dieffenbach, des Chevallet, des Belloguet, nous permettent d'entrevoir dès à présent dans la langue française un fonds celtique très-considérable et que de nouvelles recherches ne peuvent tarder à augmenter. Ce sont là des faits importants, des éléments essentiels de la question, avec lesquels il faudra absolument compter.

La persistance des mots est le signe de la persistance des choses, et évidemment il n'y a pas que les langues qui aient survécu à la conquête romaine et à l'invasion germanique.

Je sais bien que de tirer ces faits au clair ce n'est pas une petite entreprise: il y faut beaucoup de temps, beaucoup de patience, la connaissance d'une multitude de langues, sans compter les qualités d'esprit toutes spéciales que demandent les recherches de ce genre; mais la vérité historique est à ce prix. Et, d'ailleurs, ce travail, qui excéderait les forces d'un seul homme, peut à

1 Parmi les travaux qui touchent à cette matière, il faut mentionner en première ligne le Etymologisches Wörterbuch, de M. Diez, que nous aurons souvent occasion de citer dans le cours de ces Études.

la rigueur être divisé. Je vais, pour mon compte, tenter un effort dans ce sens sur un point très-limité, très-circonscrit, et où je me trouve en quelque sorte dans mon domaine.

Dans une série d'Études dont je ne donne ici qu'un premier échantillon, je me propose d'analyser l'idiome de la Catalogne et d'en expliquer historiquement le vocabulaire et la grammaire.

Comme tous les pays de l'Europe occidentale, la Catalogne a été occupée, depuis les temps historiques, par des peuples d'origine et de race fort diverses. Les plus anciens textes nous signalent d'abord dans cette contrée, les Ibères, qui ont ou n'ont pas habité le reste de la péninsule appelée de leur nom: Ibérie, mais que nous voyons établis de temps immémorial dans le bassin de l'Ebre et les pays limitrophes. A quelle race appartenaient les Ibères? C'est encore aujourd'hui un problème ou du moins une question fort controversée, sur laquelle la suite de ces Études jettera, je l'espère, quelque clarté.

A côté des Ibères, et un peu mêlés avec eux, l'histoire nous montre encore, dès les temps les plus reculés, d'une part les Phéniciens, et plus tard les Carthaginois, qui possédaient des établissements tout le long de la côte ; et de l'autre les Celtes. Celtes purs au Nord, à partir des limites actuelles des départements de l'Aude et des Pyrénées-Orientales, ou à peu près; Celtibères à l'Ouest et au Sud, dans les provinces actuelles d'Aragon et de Valence.

Plus tard, vers le milieu du vre siècle, les Grecs de Marseille viennent fonder, entre l'embouchure de l'Ebre et les Pyrénées, la colonie d'Emporion, à côté d'une ville ibérienne dont un simple mur la séparait. Puis viennent la conquête et la domination romaines; puis les Goths; puis les Arabes, et enfin les Franks. Les comtes de Barcelone, rois d'Aragon, dont la dynastie s'éteignit au commencement du xve siècle, étaient d'origine franke.

Retrouver dans l'idiome actuellement en usage dans le pays, les traces que peuvent y avoir laissées ces occupations successives; démêler, par une application rigoureuse des méthodes et des procédés de la philologie contemporaine, les éléments grecs, latins, celtiques, gothiques, etc., qui constituent cet idiome, telle est la tâche que je me suis proposée, tâche considérable encore, bien qu'elle n'embrasse qu'un petit détail de la question d'ensemble que je posais tout à l'heure. Mais c'est surtout dans des recherches de ce genre qu'il faut savoir borner son ambition, si l'on veut arriver à des résultats positifs.

CHAPITRE PREMIER.

MOTS CATALANS D'ORIGINE CELTIQUE.

Les contrées où se parle aujourd'hui l'idiome catalan n'ont jamais été occupées par la race celtique, mais elles ont été pendant de longs siècles en contact immédiat avec cette race, tant au Nord qu'au Midi et à l'Ouest. Dès la première apparition des Celtes dans l'histoire, nous trouvons des tribus de cette nation établies dans la péninsule hispanique. Il y en avait au Nord-Ouest (Gallaici, Galice); au Sud-Ouest (Celtici, Estramadure et Andalousie); il y en avait surtout au centre où, mèlès aux anciens habitants du sol et vivant avec eux sur le pied d'égalité, ils formaient la redoutable confédération des Celtibères. L'histoire ne fournit aucune donnée pour fixer, même d'une manière approximative, la date de l'invasion celtique en Espagne. Tout ce qu'on peut affirmer avec quelque certitude, c'est que cette invasion fut postérieure à l'arrivée des Phéniciens de Tyr et de Sidon, et qu'elle précéda l'établissement des Carthaginois et des Grecs sur la côte orientale.

La Celtibérie embrassait à peu près tout le pays compris aujourd'hui dans les deux Castilles. Mais les tribus les plus belliqueuses étaient établies dans la partie orientale, sur les confins du bassin de l'Ebre, dont elles étaient séparées par les monts Indubeda, aujourd'hui mont Cayo. Là se trouvaient les Arevakes qui luttèrent pendant vingt ans contre les Romains; là s'élevaient les villes de Segeda, de Pallantia, de Numance; là étaient encore les Berons, peuple issu également de l'émigration celtique, et qui formait comme un poste avancé des Celtibères vers le cours supérieur de l'Ebre. (Strab., lib. III, cap. IV, 12 et seq.) Bien que soumis aux Romains à partir de l'année 155 avant J.-C., les Celtibériens conservèrent pendant longtemps leur langue nationale. On voit dans Tacite (Ann., Iv, 45) qu'ils la parlaient sous le règne de Tibère, et il est permis de croire qu'elle se maintint dans la région montagneuse de l'Aragon pour le moins aussi longtemps que le celtique dans la Narbonnaise, où l'on sait que cet idiome était en usage encore vers la fin du ive siècle. (Sulp. Sev., Dial., 1, 20.)

Du côté du Nord, le contact de la race celtique avec les pays catalans actuels remonte à une époque moins reculée. En combinant les renseignements que nous fournissent à cet égard les témoignages les plus anciens, on arrive à ce résultat : que ce fut seulement vers le commencement du ive siècle avant notre ère que les Volces Arécomiques franchirent les Cévennes et s'établirent dans la Narbonnaise. (Scylax, § 3; Scymmus, 200;

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Voir

Avienus, 608; -- Polybe, III, 55 et 59; - Strabon, lib. IV, cap. 1. encore Tite-Live, Mela, Silius Italicus.) Avant eux c'étaient les Ligures qui occupaient cette contrée. Les Volces s'avancèrent dans cette direction, non pas précisément jusqu'à la grande chaîne des Pyrénées, comme semblent l'indiquer les géographes anciens, mais seulement jusqu'aux Corbières, de manière à laisser aux Ibères les trois quarts environ du département actuel des Pyrénées-Orientales. (Voir notre mémoire sur cette question, dans le Recueil des mém. des Soc. savantes des départements.) Par une coïncidence toute fortuite peut-être, mais en tout cas curieuse à noter, c'est à peu près à cette limite que s'arrête encore aujourd'hui l'idiome catalan et que commence le languedocien. Ruscinon, bâtie au milieu de la plaine, appartenait cependant aux Gaulois à l'époque de la deuxième guerre Punique (Tite-Live, XXI, 24) et faisait saillie en quelque sorte dans le territoire des Ibères. Cet état de choses dura jusqu'au moment où les Romains vinrent soumettre la contrée et effacer les frontières qui séparaient les deux nations.

Ainsi répandue tout autour du bassin de l'Ebre, dont elle n'était séparée par aucune barrière naturelle bien considérable, la race celtique dut avoir des relations fréquentes avec les anciens habitants de ce pays. L'union qui s'établit entre les deux peuples dans la Celtibérie, où les Celtes ne furent jamais ni maitres ni sujets, permet de supposer entre ces derniers et les indigènes de grandes affinités de caractère. Les deux idiomes durent, par conséquent, se faire plus d'un emprunt, et rien ne serait moins surprenant que de trouver encore aujourd'hui dans la langue catalane des traces vivantes de ces antiques relations.

On sait qu'à part quelques fragments d'inscriptions à peu près indéchiffrables, il ne reste point de monuments de l'ancienne langue celtique. En recueillant dans les auteurs anciens les passages où il est question de cette langue, M. de la Villemarqué avait formé une liste de sept cents mots environ

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