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nages créés par lui, qu'il semble exprimer les hallucinations dans lesquelles s'égarait quelquefois son âme avide de choses extraordinaires.

Tandis que Sélim, seul avec Zuleika, donne un libre cours à ses illusions romanesques, quel est son étonnement d'apercevoir le pacha plein de fureur qui s'avance avec des satellites armés! Quel parti prendre? Appellera-t-il sa troupe? Mais elle ne peut arriver à temps pour le secourir! Il donne néanmoins le signal, et, tandis que ses hommes lancent leurs nacelles vers lui, il tient tête bravement aux gardes de Giaffir. Il en abat plusieurs ; il fait des prodiges. Déjà il voit arriver les bateaux de ses ardents rameurs; il peut se sauver encore; il n'a que deux pas à faire pour s'embarquer. Mais il sent que son amante est à jamais séparée de lui; il veut la voir encore une fois il se retourne, et ce mouvement lui fait recevoir dans la tempe une balle qui l'étend sans vie. Le coup partait de la main parricide qui avait préparé le poison pour son père. Il ne fut pas pleuré par celle qu'il adorait,.... elle était morte avant lui, de l'effroi qu'elle avait de le voir succomber dans cette lutte inégale.

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Cette composition est une des plus irréprochables de notre auteur. Si nous voulions en énumérer les beautés, il faudrait revenir sur nos pas et reprendre l'une après l'autre toutes les scènes que nous avons légèrement indiquées. Il n'en est pas une où l'on ne puisse admirer cette énergie de diction, cette richesse de poésie, cette condensation de pensées et d'images, qui marquent les plus beaux passages du Giaour. Chacun des trois personnages est dépeint avec autant de soin que s'il était l'objet unique du tableau.

Giaffir n'a qu'un but vers lequel il dirige constamment ses pensées, ses desseins et ses actions: c'est de conserver et de consolider son pouvoir. Astucieux et perfide dans son ambition, il se montre jaloux de son autorité jusque dans les plus petites choses, insolent et brutal dans son despotisme, plein de force et d'activité malgré son grand àge. Sans ressembler au voluptueux Ali-Pacha, si bien caractérisé dans le Childe-Harold, il a le même fonds de qualités et de défauts. On reconnait qu'ils jouent des rôles analogues: leurs masques se ressemblent.

Sélim fait ressortir le cauteleux égoïsme de ce vieillard par les élans de son âme généreuse. Mais, tandis que des aiguillons intérieurs l'excitent à déployer sa vigueur et son courage, il se voit enchaîné par les soupçons d'un

maître qui l'a toujours détesté et qui commence à le craindre. Ainsi, poussé en sens contraire par deux forces également irrésistibles; exalté, d'un autre côté, par son amour pour la fille de son tyran, il s'indigne contre les chaines qui l'entourent, et, faute d'une voie où il puisse s'affranchir en se signalant par des actions d'éclat, il se laisse emporter dans une carrière criminelle, mais embellie par les séductions du faux honneur. On a donc eu tort d'assimiler Sélim à Childe-Harold. Bien loin de s'être enivré, comme le jeune pèlerin, à la coupe de Circé, il ne l'a pas seulement effleurée du bout des lèvres. Le souffle du scepticisme et de la misanthropie n'a pas desséché son âme. En le voyant terminer une vie malheureuse par une fin aussi cruelle que prématurée, nous pouvons lui accorder nos sympathies.

Toutefois, la personne la plus intéressante, c'est Zuleika si belle et si tendre, qui a ressenti toutes les ardeurs de l'amour sans rien perdre de sa pudeur virginale ni de la tranquillité de son cœur. Après avoir coulé dans un bonheur bien mérité le peu d'années qui lui furent comptées, elle n'a vu son étoile pàlir qu'au moment où sa vie devait s'éteindre. Elle ressemble, comme le dit notre poète, à la rose qui n'a pas cessé d'entendre les chants caressants du rossignol, en déployant ses feuilles parfumées aux souffles du zéphir. Un seul orage a fondu sur elle, c'est celui qui devait l'emporter. L'affliction qu'on éprouve en voyant succomber ces deux victimes de Giaffir aurait je ne sais quoi de trop amer, si le poète n'avait l'art de l'adoucir. Dans la touchante élégie qu'il compose sur leur trépas, il nous montre le corps de Sélim mollement étendu sur une gerbe de joncs, flottant vers de lointaines. plages et jouissant, même après sa mort, de ce ballottement des vagues qui fut trop séduisant pour lui pendant sa vie. Sur la tombe de Zuleika, il place une rose décolorée, mais impérissable, autour de laquelle le rossignol fait toutes les nuits entendre des accents mélancoliques. Enfin, il nous raconte les légendes populaires qui se forment pour déplorer le funeste sort de ces deux amants, en immortalisant leurs noms et leur souvenir. Ainsi, le poète n'a rien omis de ce qui pouvait rendre sa composition accomplie. Venant de publier le Giaour en fragments détachés, il se devait à lui-même de prouver que, s'il l'emportait sur tous par l'originalité de l'invention, il ne le cédait à personne, quand bon lui semblait, dans l'art de coordonner ses conceptions pour en former un ensemble plein d'harmonie et de régularité.

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Byron portait au fond du cœur des plaies toujours prêtes à se rouvrir. Voyez-le vers la fin de 1815: n'a-t-il pas tous les éléments du bonheur ? n'est-il pas entouré d'hommages, admiré du public, loué par les journaux littéraires, recherché des grands seigneurs, sollicité par le souverain de s'attacher à la cour? Il avoue lui-même que sa misanthropie se dissipe; il s'en étonne; il écrit dans son journal, sous la date du 25 novembre 1815: «Par Mahomet! je commence à aimer le monde. Méfions-nous de ce pen>>> chant ; c'est une espèce de gloutonnerie sociale qui avale tout ce qui s'offre » devant elle. » Le lendemain matin, en se levant, il jette ces mots sur le même journal: «Je viens d'être réveillé en sursaut par un rêve! Qu'im>>porte! d'autres n'ont-ils pas rêvé?.......... Oui ; mais quel rêve!........ Elle n'a pu ›› m'atteindre.......... Oh! pourquoi les morts ne reposent-ils pas en paix? Comme >>mon sang s'est glacé!.... Et je ne pouvais pas me réveiller !........ Je n'aime >> pas ce rêve,... je frémis.... Ce sont des ombres, je le sais; mais ces >>ombres rappellent des réalités! Non, je ne saurais m'y résigner. Que ce >> rêve revienne, et j'essaierai si l'autre sommeil peut nous mettre à l'abri >>de pareilles visions.... Je me sens mal, très-mal;... mais sortons. Jackson >>> est déjà venu me demander. Le monde des boxeurs va toujours son >> train. Il faut que je dine chez Clib. J'aime l'énergie, l'énergie de toute >> espèce, même la brutale. J'ai besoin de me remonter au physique et au >> moral.» Le soir du même jour, en rentrant chez lui, il reprend son monologue: «Je viens de diner chez Clib en compagnie de Jackson, l'em>>>pereur du pugilat, et d'autres héros de sa bande. J'ai bu plus que je » n'aurais dû.......... trois bouteilles au moins!....» Quelques jours après, le 10 décembre, il mettait sur le même journal: «Je me suis ennuyé plus >>>que de coutume; je m'ernuie encore.... Oh! que je suis fatigué de con>> juguer ce verbe! et je ne trouve pas que la société me guérisse de ce mal. >>> Je suis trop insouciant pour me brûler la cervelle; cependant ce serait une >>> chose bonne pour George, mon neveu, et pas mauvaise pour moi.... N'im

>>porte! ne nous laissons pas tenter.» Il serait facile de glaner d'autres passages pareils, aussi bien dans le journal que dans les lettres qu'il écrivit pendant les derniers mois de l'année 1815, c'est-à-dire pendant l'époque la moins orageuse de sa vie; tant il est vrai qu'il ne fut jamais complètement à l'abri des accès de misanthropie. Ce fut pendant le mois de décembre de cette année qu'il composa le Corsaire. Ce poème fut donc écrit peu de mois après la Fiancée d'Abydos. Ils different essentiellement l'un de l'autre, et semblent être les expressions de sentiments tout opposés; néanmoins ils ont entre eux un rapport assez étroit.

Nous avons censtré, dans la Fiancée d'Abydos, l'apologie que Sélim fait du métier de pirate. Dans le poème du Corsaire, ces mêmes illusions sont présentées sous un jour plus séduisant elles acquièrent l'énergie de l'action sans perdre les gràces de l'idéal. Nous voyons d'abord une bande de ces déprédateurs cantonnée au sein d'écueils inabordables. Ils se sont creusé des cavernes au fond des golfes et bàti des forteresses sur les cimes des rocs. C'est là qu'ils entassent les fruits de leurs rapines. Tournés vers la haute mer pour guetter leur proie, ils se livrent aux transports d'une allégresse sauvage. Leurs chants sont un mélange d'idées généreuses et de sentiments féroces.

Qu'il est beau de voler, libres comme le vent,

Avec les ailes d'un navire!

D'étendre à volonté sur le vaste océan

Notre patrie et notre empire!

De disposer de tout, de régner sur les eaux!
De passer toujours sans tristesse

Du repos au travail, du travail au repos!
Qui décrirait notre allégresse?
Serait-ce toi, réponds, vil esclave des cours,
Qui pâlis quand gronde l'orage?

Ou bien toi, qui perdis dans d'ignobles amours
Et ta vigueur et ton courage?

Non, non pour célébrer le sort des matelots,
Et leurs triomphes et leurs fêtes,

Il faut avoir souri de la rage des flots

Et dansé parmi les tempêtes.

Il faut avoir senti, pendant les ouragans,

Soi-même en ses propres entrailles,

Les transports excités par le choc des autans
Mêlés au fracas des batailles.

Qu'il est beau de trouver en ces brillants combats
Tous les profits de la victoire!

Dût-on périr soi-même en donnant le trépas,

On ne tomberait pas sans gloire.

Heureux celui qui peut tout d'un coup sans douleur
Abandonner ainsi la vie !

D'une mort qui menace il ne sent pas l'horreur
Ni les affres de l'agonie!

Rien n'attriste sa fin: pas de pleurs ni de deuil,
Et son corps descendant sous l'onde,

Va sommeiller en paix dans ce vaste cercueil,
Au bruit de la vague qui gronde.

C'est ainsi que ces bandits farouches déguisent leurs brigandages sous les couleurs de l'héroïsme. Le poète, tout en continuant de les faire agir et parler devant nous, va maintenant s'appliquer à concentrer notre attention, et si c'est possible notre intérêt, sur leur capitaine. Par un caprice qui nous étonne, même de sa part, il commence par lui prêter les traits distinctifs de sa propre personne sa taille, son maintien, sa physionomie, son froncement de sourcils, les frissons soudains par lesquels se trahissaient les troubles de son âme. En faisant ainsi son autre lui-même d'un écumeur de mer, il manquait sans doute au respect qu'il se devait; mais pouvait-il rien imaginer de plus favorable au succès de son ouvrage? D'autres fautes qui ne contribuèrent pas moins au bénéfice de l'éditeur, devaient devenir contagieuses dans la poésie contemporaine. Ce fut d'abord d'insinuer que Conrad mettait dans son amour pour Médora d'autant plus d'ardeur et de délicatesse qu'il s'était plus complètement dépouillé des autres sentiments honnêtes. Qu'un malfaiteur puisse aimer sa compagne éperdûment, cela se conçoit ; mais prétendre que cette affection s'enflamme et s'épure par le contact des mauvais instincts plus que par celui des bons, n'est-ce pas avancer un paradoxe ? N'est-ce pas parodier la fable d'Arethuse, dont les eaux traversaient les flots de l'Océan sans y contracter aucune amertume? Le tort n'est-il pas encore

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