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abrégés de ce qu'il y avait de plus important; on a réimprimé le meilleur : le tout a été corrigé d'après les vrais principes de la morale. Vous voyez ce cabinet; il renferme les livres qui ont échappé aux flammes; ils sont en petit nombre; mais ceux qui sont restés ont mérité l'approbation de notre siècle.

« Curieux, je m'approchai, et consultant la prémière armoire, je vis qu'on avait conservé parmi les Hébreux, Moïse; parmi les Grecs, Homère, Sophocle, Euripide, Démosthènes, Platon, et surtout notre ami Plutarque; mais on avait brûlé Hérodote, Sapho, Anacréon et le vil Aristophane. Dans la deuxième armoire, destinée aux auteurs latins, je trouvai Virgile, Pline en entier, ainsi que Tite-Live; mais on avait brûlé Lucrèce, à l'exception de quelques morceaux poétiques. On avait supprimé les longs plaidoyers de Cicéron, mais on avait conservé ses ouvrages philosophiques. Salluste était resté. Ovide et Horace avaient été purgés : les odes du dernier paraissaient bien inférieures à ses épîtres. Sénèque était réduit à un quart. Tacite avait été conservé; mais on ne permettait la lecture de cet auteur profond qu'à des cœurs bien faits. Catulle avait disparu ainsi que Pétrone. Quintilien était d'un volume fort mince. La troisième armoire contenait les livres anglais. C'était celle qui ren

fermait le plus de volumes. On y rencontrait tous les philosophes qu'a produits cette île guerrière, commerçante et politique. Milton, Shakespeare, Pope, Young, Richardson jouissaient encore de toute leur renommée. La quatrième armoire offrait les livres italiens : la Jérusalem délivrée, le plus beau des poëmes connus, était à la tête. On avait brûlé une bibliothèque entière de critiques faites contre ce poëme enchanteur. Le fameux Traité des délits et des peines avait reçu toute la perfection dont cet important ouvrage était susceptible. Je fus agréablement surpris en voyant nombre d'ouvrages philosophiques sortis du sein de cette nation; elle avait brisé le talisman qui semblait devoir perpétuer chez elle la superstition et l'ignorance. Enfin j'arrivai en face des écrivains français. Je portai une main avide sur les trois premiers volumes : c'étaient Descartes, Montaigne et Charron. Montaigne avait souffert quelques retranchements. On avait brûlé et Mallebranche, le visionnaire, et le triste Nicole, et l'impitoyable Arnauld et le cruel Bourdaloue. Tout ce qui concernait les disputes scolastiques était tellement anéanti, que lorsque je parlai des Lettres provinciales et de la destruction des jésuites, le savant bibliothécaire fit un anachronisme des plus considérables. On parlait des jésuites comme nous parlons aujourd'hui des

druides. On avait fait rentrer dans le néant cette foule de théologiens dits Pères de l'Église, les écrivains les plus sophistiques, les plus déraisonnables, qui furent jamais, diamétralement opposés aux Locke, aux Clarke. J'ouvrais, je cherchais les écrivains de ma connaissance. Ciel, quelle destruction! Où donc est ce fameux Bossuet, imprimé de mon temps en quatorze volumes in-quarto. Tout a disparu, me répondit-on. Voyez son rival, cet aimable Fénelon, auteur du Télémaque et de plusieurs autres ouvrages que nous avons soigneusement conservés, parce qu'on y trouve l'accord rare et heureux de la raison et du sentiment. Nous avons mis à côté de cet écrivain les œuvres du bon abbé de Saint-Pierre. Parmi les poëtes français, je revis Corneille, Racine, Molière; mais on avait brûlé leurs commentaires; je retrouvai le terrible Crébillon, je reconnus mon ami La Fontaine, également chéri et toujours lu; que ce siècle avait mis ce fabuliste inimitable au-dessus de Boileau, qui faisait le dictateur au Parnasse et qui, privé d'invention, de génie, de force, de grâce et de sentiment, n'avait été qu'un versificateur exact et froid. On avait conservé plusieurs autres fables, entre autres quelques-unes de la Motte et celles de Nivernais. Le poëte Rousseau me parut bien chétif; on avait gardé quelques odes et cantates; mais pour

ses tristes épîtres, ses fatigantes et dures allégories, on pense bien que de telles ordures avaient subi le feu qu'elles méritaient depuis longtemps. Je ne vis aucun de ces poëtes frivolistes qui n'avaient flatté que le goût de leur siècle. Je tombai sur un Voltaire. O ciel! m'écriai-je, qu'il a perdu son embonpoint! Où sont ces vingt-six volumes in-quarto, émanés de sa plume brillante, intarissable? Si ce célèbre écrivain revenait au monde, qu'il serait étonné! Messieurs, je suis charmé, édifié de trouver ici Rousseau tout entier. En dérangeant les livres de la dernière armoire, je revis avec plaisir l'Esprit des lois, l'Histoire naturelle, le livre de l'Esprit, commenté en quelques endroits. On n'avait pas oublié l'Ami des hommes, le Bélisaire, les œuvres de Linguet, ni les discours éloquents de Thomas, de Servan, de Dupaty, de Le Tourneur et les Entretiens de Phocion. On avait refait l'Encyclopédie sur un plan plus heureux. Au lieu de ce misérable goût de réduire tout en dictionnaire, on avait présenté chaque art en entier. Tout ce qu'on avait écrit contre la religion chrétienne avait été brûlé comme livres devenus absolument inutiles. Je demandai les historiens, et le bibliothécaire mé dit: Ce sont en partie nos peintres qui se sont chargés de cet emploi. Les faits ont une certitude physique qui sont du ressort de leur pinceau. Nous

avons fait un rapide extrait, peignant les siècles à grands traits et ne montrant que les personnages qui ont véritablement influé sur le destin des empires. Nous avons omis ces règnes où l'on ne voi que des batailles et des exemples de fureur.»>

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