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de son sang l'ambition d'un soldat suprême, mais couvrant du nom grandi de la France les contresens au siècle, les misères et les dégradations de la patrie. Voilà le fondateur, voilà l'homme! Un homme au lieu d'une révolution! Un homme au lieu d'une époque! Un homme au lieu d'une patrie! Un homme au lieu d'une nation! Rien après lui! Rien autour de lui que son ombre stérilisant tout le dix-huitième siècle absorbé et détourné en lui seul. On dira toujours la gloire personnelle, on ne dira jamais ce qu'on a dit d'Auguste, de Charlemagne et de Louis XIV, le siècle de Napoléon. Il n'y a pas de siècle, il n'y a qu'un nom, et ce nom ne signifie rien pour l'humanité que lui-même.

XLVII.

Faux en institutions, car il remonte; faux en politique, car il avilit; faux en morale, car il corrompt; faux en civilisation, car il opprime; faux en diplomatie, car il isole; il n'est vrai qu'en guerre, car il verse bien le sang humain. Mais celui qui l'épargne, qu'est-il donc? Son génie individuel est grand, mais c'est le génie du matérialisme. Son intelligence est vaste et claire, mais c'est l'intelligence du calcul. Il compte, il pèse, il mesure, il ne sent pas, il n'aime pas, il ne compatit pas; il est

statue plus qu'il n'est homme. C'est là son infériorité devant Alexandre et devant César. Il rappelle plutôt l'Annibal de l'aristocratie. Peu d'hommes ont été ainsi pétris, mais pétris à froid. Tout est solide, rien ne bouillonne, rien ne s'émeut dans cette pensée. On sent cette nature métallique jusque dans son style. Il est peut-être le plus grand écrivain des choses humaines depuis Machiavel. Bien supérieur dans le récit de ses campagnes à César, son style n'est pas de la parole écrite seulement, c'est de l'action. Chaque mot dans ses pages est, pour ainsi dire, le contre-coup et la contre-empreinte du fait. Il n'y a ni lettre, ni son, ni couleur entre la chose et le mot : le mot, c'est lui. La phrase concise, mais sculptée sur le nu, rappelle ces temps où Bajazet et Charlemagne ne sachant pas écrire leur nom au bas des actes de leur empire trempaient leur main dans l'encre ou dans le sang, et l'appliquaient avec toutes ses articulations empreintes sur le parchemin. Ce n'était pas la signature, c'était la main même du héros qu'on avait éternellement sous les yeux. Ainsi des pages de ses campagnes dictées par Napoléon. C'est le verbe du mouvement, de l'action et du combat.

XLVIII.

Cette renommée dont il avait fait sa moralité, sa conscience et son principe, il la mérita donc par sa nature et par son intelligence de la guerre et de la gloire. Il en a inondé aussi le nom de la France. La France, obligée d'accepter sa tyrannie et ses crimes, doit aussi accepter sa gloire avec une sévère reconnaissance. Elle ne pourrait séparer son nom du sien sans diminuer son propre nom. Ce nom s'est incrusté dans ses torts comme dans sa grandeur. Elle a voulu de la renommée, il lui en a donné. Mais ce qu'elle lui doit, c'est surtout un grand bruit.

XLIX.

Cet écho qui se continue dans la postérité, et qu'on appelle encore improprement gloire, a été son moyen et son but. Qu'il en jouisse donc! Homme de bruit, qu'il retentisse à travers les siècles! Mais que ce bruit ne pervertisse pas la postérité et ne fausse pas le jugement du peuple. Cet homme, une des plus vastes créations de Dieu, s'est mis avec plus de force qu'il ne fut donné à aucun homme d'en accumuler sur la route des révolutions et des améliorations de l'esprit humain comme pour arrêter les

idées et faire rebrousser chemin aux vérités. Le temps l'a franchi; les idées et les vérités ont repris leur courant. On l'admire comme soldat, on le mesure comme souverain, on le juge comme fondateur de peuples. Grand par l'action, petit par l'idée, nul par la vertu voilà l'homme!

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FIN DU PREMIER VOLUME.

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