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qu'on vient de la lire, fut rejetée par la compagnie, puisqu'elle ne se trouve point à la tête de l'édition de 1694. On n'y trouve point non plus celle de Perrault, dont à la vérité on a conservé plusieurs phrases; et comme l'abbé Regnier nous assure dans ses mémoires que l'Académie préféra à l'épître qu'il avait faite, celle dont Charpentier était l'auteur, il en faut conclure que Charpentier fut apparemment chargé par l'Académie de composer une troisième épître, où il conserverait ce qui lui paraîtrait de meilleur dans les deux autres. C'est sans doute celle qu'on lit à la tête de la première édition, et que nous croyons devoir insérer ici, afin qu'on puisse la juger, soit en elle-même, soit en la comparant avec les deux dont on vient de lire la critique.

AU ROI.

SIRE,

« L'Académie Française ne peut se refuser la gloire de pu» blier son Dictionnaire sous les auspices de son auguste protec»teur. Cet ouvrage est un recueil fidèle de tous les termes et » de toutes les phrases dont l'éloquence et la poésie peuvent » former des éloges; mais nous avouons, sire, qu'en voulant >> travailler au vôtre, vous nous avez fait sentir plus d'une fois » la faiblesse de notre langue. Lorsque notre zèle ou notre >> devoir nous ont engagés à célébrer vos exploits, les mots de » valeur, de courage et d'intrépidité nous ont paru trop faibles; » et quand il a fallu parler de la profondeur et du secret impé» nétrable de vos desseins, que la seule exécution découvre aux » yeux des hommes, les mots de prévoyance, de prudence, et » de sagesse même, ne répondaient qu'imparfaitement à nos

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idées. Ce qui nous console, sire, c'est que sur un pareil sujet, » les autres langues n'auraient aucun avantage sur la nôtre. » Celle des Grecs et celle des Romains seraient dans la même impuissance, le ciel n'ayant pas voulu accorder au langage. » des hommes des expressions aussi sublimes que les vertus qu'il leur accorde quelquefois pour la gloire de leur siècle. » Comment exprimer cet air de grandeur marqué sur votre » front, et répandu sur toute votre personne, cette fermeté » d'âme que rien n'est capable d'ébranler, cette tendresse pour » le peuple, vertu si rare sur le trône, et ce qui doit toucher particulièrement les gens de lettres, cette éloquence née avec » vous, qui, toujours soutenue d'expressions nobles et précises, » vous rend maître de tous ceux qui vous écoutent, et ne leur laisse d'autre volonté que la vôtre? Mais où trouver des » termes pour raconter les merveilles de votre règne ? Que l'on >> remonte de siècle en siècle, on ne trouvera rien de compa»rable au spectacle qui fait aujourd'hui l'attention de l'uni

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» vers; toute l'Europe armée contre vous, et toute l'Europe trop » faible.

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» C'est sur de tels fondemens que s'appuie l'espérance de l'im» mortalité où nous aspirons ; et quel gage plus certain pouvonsnous en souhaiter que votre gloire, qui, assurée par elle» même de vivre éternellement, dans la mémoire des hommes, >> Ꭹ fera vivre nos ouvrages? L'auguste nom qui les défendra » du temps, en défendra aussi la langue qui aura servi à le célébrer; et nous ne doutons point que le respect qu'on aura » pour une langue que vous aurez parlée, que vous aurez employée à dicter vos résolutions dans vos conseils, et à donner » vos ordres à la tête de vos armées, ne la fasse triompher de » tous les siècles. La supériorité de votre puissance l'a déjà » rendue la langue dominante de la plus belle partie du monde. Tandis que nous nous appliquons à l'embellir, vos armes » victorieuses la font passer chez les étrangers; nous leur en >> facilitons l'intelligence par notre travail, et vous la leur >> rendez nécessaire par vos conquêtes; et si elle va encore plus >> loin que vos conquêtes, si elle se voit aujourd'hui établie dans » la plupart des cours de l'Europe; si elle réduit, pour ainsi dire, les langues des pays où elle est connue, à ne servir » presque plus qu'au commun du peuple; si enfin elle tient le premier rang entre les langues vivantes, elle doit moins une » si haute destinée à sa beauté naturelle qu'au rang que vous >> tenez entre les rois et les héros.

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>> Que si l'on a jamais dû se promettre qu'une langue vivante pût parvenir à être fixée, et à ne dépendre plus du caprice et » de la tyrannie de l'usage, nous avons lieu de croire que la >> nôtre est parvenue de nos jours à ce glorieux point d'immutabilité, puisque les livres et les autres monumens qui parleront » de votre majesté, seront toujours regardés comme faits dans » le beau siècle de la France, et feront à jamais les délices de >> tous les peuples et l'étude de tous les rois. Nous sommes, avec une profonde vénération,

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(4) Il ne faudrait pourtant pas abuser de ces maximes sur l'inutilité et l'inconvénient des disputes, et se servir d'un pareil motif, comme on l'a fait quelquefois, pour exclure des sociétés littéraires des hommes de beaucoup de mérite, sous prétexte qu'ils sont aigres et disputeurs. On ne doit rejeter pour de telles raisons que ceux qui joindraient peu de talent à un naturel peu sociable; mais cette considération doit être mise à l'écart, lorsqu'il est question d'un homme de génie que le public serait étonné de ne point voir assis parmi nous. On entend dire souvent

dans les Académies: Ce n'est pas le talent seul qu'il faut chercher dans un sujet, c'est le caractère; maxime vraie en elle-même, mais dont les sots et les médiocres ne profitent que trop souvent pour repousser les talens distingués qui leur fout ombrage.

Le parti le plus sage pour l'homme de lettres philosophe qui veut vivre tranquille et heureux, c'est de suivre la maxime dont Fontenelle a fait la règle de sa conduite. Les hommes, disait-il, sont sots, vains et méchans; mais tels qu'ils sont, j'ai à vivre avec eux, et je me le suis dit de bonne heure.

(5) On a plusieurs fois proposé dans les séances académiques de travailler en commun à une grammaire; mais après quelques essais de ce travail commun, on a bientôt senti l'impossibilité d'y réussir. Un tel ouvrage exige en effet, quant au plan général et raisonné, quant aux principes philosophiques, et quant à la manière de traiter les différentes parties de la grammaire, des discussions épineuses et profondes sur lesquelles il est souvent impossible à un corps de s'accorder, et dont le résultat, dressé au nom de la compagnie, sera toujours très-défectueux par la nécessité d'y concilier bien ou mal les différens avis. Les décisions et les travaux qu'un corps produit en commun, surtout lorsque l'objet doit embrasser un grand nombre de branches à la fois, ont l'inconvénient inévitable d'entraîner beaucoup d'imperfections et de négligence. Il n'en est pas de même des travaux dont l'objet ne demande à être considéré que par petites parties, comme la révision des articles du dictionnaire, et l'examen grammatical des bons auteurs français. Ce sont aussi les deux principaux objets dont la compagnie s'est occupée, et les seuls peut-être dont elle puisse s'occuper en corps. Le public peut juger, à chaque édition du dictionnaire, du travail assidu de l'Académie pour améliorer et enrichir cet ouvrage; et il ne serait pas difficile de mettre le même public en état d'apprécier les remarques faites par la compagnie sur nos bons auteurs. Dans ce double travail, on n'a presque jamais à décider que des questions isolées et particulières, susceptibles d'être examinées avec plus de détail par la compagnie entière que par quelqu'un de ses membres, parce que chacun peut apporter à cet examen les lumières, les connaissances et les vues particulières que ses réflexions, ses études et ses lectures ont pu lui fournir. Avouons cependant qu'un tel travail, par la multitude même de ceux qui y concourent, doit laisser encore beaucoup à désirer. On ne connaît que trop par expérience combien la vérité la plus incontestable a quelquefois de peine à s'établir dans des assemblées, même assez peu nombreuses. Prenez douze à quinze hommes qui tous en particulier aient l'esprit droit et juste; rassemblez-les, donnez-leur quelque objet à discuter, vous serez souvent étonné de voir à quel point ils s'égareront dans leurs raisonnemens et leurs décisions. J'ai oui dire au prince le plus célèbre de nos jours par ses victoires, qu'il n'avait assemblé de conseil de guerre qu'une seule fois, et qu'ayant entendu déraisonner dans ce conseil des généraux d'ailleurs très-éclairés, il avait juré de

n'en plus assembler de sa vie, qu'il avait tenu parole, et s'en était trèsbien trouvé.

Mais pourquoi les corps en général ont-ils moins de sens et de lumières que les particuliers? Par deux raisons; la première, parce que les hommes pris en corps donnent rarement à un objet qu'on leur propose la même attention qu'ils y donneraient étant consultés séparément; l'intérêt s'affaiblit en se partageant sur plusieurs têtes; chacun se repose sur son voisin de l'examen que la question mérite, et l'examen ne se trouve fait par personne. Une seconde raison, c'est la timidité des compagnies qui, toujours en garde pour ne se point compromettre, n'osent prononcer affirmativement sur des questions qu'un particulier déciderait sans hésiter. Elles craignent que le plus léger changement dans leurs principes, leurs opinions, leurs usages, n'entraîne des inconvéniens; et pour éviter ces prétendus inconvéniens, elles laissent subsister les erreurs et les abus. Dans tous les corps, dès qu'on propose une chose nouvelle, quelque raisonnable qu'elle soit, le cri de guerre des sols est toujours, c'est une innovation. Il n'y a, disait un homme d'esprit, qu'une réponse à faire à cette objection, c'est de servir du gland à ceux qui la proposent; car le pain, quand on a commencé d'en faire, était une grande innovation.

(6) Nous rapporterons ici, avec d'autant moins de scrupule, quelques vers de cette traduction, qu'il paraît que l'abbé Regnier, en revoyant ces enfans informes et contrefaits, a été le premier à les condamner, puisqu'il n'a osé s'en avouer le père dans la liste de ses ouvrages.

L'arc et la trousse au dos, son mouvement rapide
Fait craqueter les traits dans sa trousse homicide.....
Consultons un devin, un prêtre, un interprète
De songes....

Car je ne prétends pas de nos travaux soufferts
Seul n'avoir aucun prix, et le mien je le perds.....
Par ses beaux cheveux blonds la déesse guerrière,
Visible pour lui seul, le saisit par derrière.....
Il faudrait que je fusse, interrompit Achille,
Bien indigne, bien lâche, et d'une âme bien vile,
Pour te céder. Commande aux autres à ton gré;
A moi, non; car jamais je ne t'obéirai.

On ne
doit pas être étonné que ces vers aient donné de l'humeur à

Despréaux.

(7) Pour juger combien cette imitation du Pastor fido est peu digne du succès qu'elle eut dans le temps, il ne faut que rapporter l'endroit si connu de la scène dont il s'agit, et y joindre la traduction que l'abbé Regnier en a faite. On verra combien la copie est au-dessous de l'original, et même combien elle est faible et lâche, indépendamment de toute comparaison :

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« Si l'instinct et la loi, par des effets contraires,
» Ont également attaché,

» L'un tant de douceur au péché,

» L'autre des peines si sévères,

>> Sans doute, ou la nature est imparfaite en soi,

» Qui nous donne un penchant que condamne la loi;

» Ou la loi doit passer pour une loi trop dure,

» Qui condamne un penchant que donne la nature. »

Le savant littérateur La Monnaye a traduit ces mêmes vers du Pastor fido en vers latins qui valent un peu mieux que les vers français de l'abbé Regnier, et beaucoup moins que les vers italiens.

Si placita dulce est adeò succumbere culpæ,
Et placita tamen usque adeò pugnare necesse est,
Prava vel es natura nimis, contraria legi,

Vel tu, naturæ contraria, barbara lex es.

A l'occasion de ces vers de l'abbé Regnier, nous avons parlé du sonnet de Desbarreaux, et nous avons osé dire qu'il est détestable d'un bout à l'autre. Il suffira, pour le prouver, d'en souligner toutes les expressions ridicules :

Grand Dieu, tes jugemens sont remplis d'équité,
Toujours tu prends plaisir à nous être propice;
Mais j'ai tant fait de mal, que jamais ta bonté
Ne peut me pardonner sans choquer ta justice.

Oui, Seigneur, la grandeur de mon iniquité
Ne laisse à ton pouvoir que le choix du supplice:
Ton intérêt s'oppose à ma félicité,

Et ta clémence méme attend que je périsse.

Contente ton désir, puisqu'il t'est glorieux;
Offense-toi des pleurs qui coule de mes yeux :

Tonne, frappe, il est temps; rends-moi guerre pour guerre.

J'adore en périssant la raison qui t'aigrit :

Mais dessus quel endroit tombera ton tonnerre,

Qui ne soit tout couvert du sang de Jésus-Christ?

L'abbé Regnier, comme nous l'avons dit, réussissait mieux dans la poésie italienne que dans la française. De toutes les pièces qu'il a faites dans la première de ces deux langues, nous ne citerons que les vers suivans sur la mort de la duchesse de Montbazon ; ils nous paraissent d'une simplicité fine et élégante, qu'il serait difficile de rendre en français avec toutes ses grâces et sa naïveté :

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