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par une sage tolérance, également avouée de la religion et de la politique, qu'on peut empêcher toutes ces frivoles disputes d'être contraires au repos de l'Etat, et à l'union des citoyens. Mais quand viendra cet heureux temps?

Quoi qu'il en soit, les jansénistes, traités à leur mort comme des excommuniés, se soulevèrent contre cette nouvelle persécution. Le parlement, qui n'avait enregistré la bulle que malgré lui, prit leur défense, il bannit les prêtres qui refusaient de communier les jansenistes expirans; l'archevêque de son côté interdisait et privait de leur place les prêtres qui obéissaient au parlement; et ces malheureux Portes-Dieu, c'est ainsi qu'on les appelle, ayant pour perspective l'exil d'un côté, et la faim de l'autre, se trouvaient dans une fàcheuse alternative. Les gens raisonnables étaient surpris que l'archevêque, auteur de leur infortune, n'allât pas se présenter lui-même au parlement, déclarer qu'ils n'avaient rien fait que par ses ordres, et se rendre victime pour tant d'innocens. On avait d'autant plus lieu de s'y attendre, que la vertu de ce prélat et sa bonne foi dans cette affaire n'étaient nullement suspectes; les jansénistes l'appe laient persécuteur et schismatique, les courtisans opiniútre; ses partisans le comparaient à S. Athanase, appelé aussi, disaientils, opiniâtre et rebelle les courtisans de son temps.

par

La dispute s'échauffa de plus en plus ; la cour voulut inutilement la faire cesser; les jansénistes avaient trouvé moyen de causer plus d'embarras par leur mort, qu'ils n'avaient fait pendant leur vie. Les parlemens et l'archevêque furent exilés tour à tour. Enfin le roi, justement ennuyé de ces querelles, rappela les magistrats, et, de concert avec eux, imposa silence aux partisans et aux adversaires de la bulle.

Cette loi du silence, il est vrai, ne fut pas trop bien observée; elle fut surtout enfreinte par les éloges que les jansenistes en faisaient; ils imprimaient de gros volumes pour prouver qu'il fallait se taire; ils ressemblaient à ce pédant de Molière, qui après avoir parlé long-temps, et dit beaucoup de sottises, promet enfin de garder le silence (1), et voulant prouver qu'il tient sa promesse, interrompt à chaque moment la conversation, pour faire observer qu'il n'ouvre pas la bouche.

Les constitutionnaires, de leur côté, osaient dire que le roi n'était pas en droit d'ordonner à des sujets forcenés de se taire sur l'objet ridicule qui échauffait leurs têtes; que le fils aîné de l'Eglise manquait de respect à sa mère en voulant lui lier la langue lorsqu'elle avait tant de sujet, ils voulaient dire d'envie,

(1) Dépit amoureux, acte I, scène dernière.

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de parler (1); que le sixième concile général avait anathématise le type de l'empereur Constant, qui n'était aussi qu'une loi de silence. Les jansénistes répondaient que ce concile avait encore mieux fait en anathématisant le pape Honorius.

Le roi, occupé comme un bon père, suivant l'expression d'un auteur célèbre, à séparer des enfans qui se battaient, voulut s'appuyer d'une autorité respectable aux deux partis, et surtout au plus nombreux ; il jugea à propos de consulter sur cette question, dont toute la France était agitée, le feu pape Benoît XIV, homme d'esprit, qui n'aimait pas les Jésuites, et qui au fond méprisait cette controverse. Le pape répondit en adroit Italien; d'un côté il ordonnait l'acceptation de la bulle, ouvrage d'un de ses infaillibles prédécesseurs, qu'il ne pouvait honnêtement condamner; de l'autre, il déclarait en même temps que les jansénistes qui la rejetaient, n'en devaient pas moins être communiés à la mort, mais à leurs risques et fortunes, et après avoir été bien avertis du danger qu'ils couraient pour leur salut éternel. Depuis cette époque les refus de communion devinrent moins fréquens; les jansénistes et leurs adversaires crurent avoir également le pape pour eux, et la paix sembla presque ré

tablie.

Elle ne fut pas même altérée par la démarche que le parlement crut devoir faire quelque temps après, d'appeler de nouveau de cette bulle Unigenitus, dont il avait enregistré malgré Ini l'acceptation; il n'appelait pas à la vérité de la doctrine de la bulle, c'eût été toucher à l'encensoir, et il connaissait trop bien les limites de ses droits : il n'appela que de l'exécution de cette bulle, la déclarant contraire à ce qu'on nomme en France les libertés de l'Eglise gallicane. Cet appel n'eut pas l'éclat qu'on en espérait; il venait à la suite d'une quantité d'écrits dont la légèreté française commençait à être fatiguée. Les partisans de la bulle se moquaient même, avec indécence, de ces prétendues libertés de l'Eglise gallicane, en vertu desquelles le parlement, suivant les termes de ses arrêts, ordonnait aux prêtres, sous des peines infamantes, l'administration des sacremens; ils ne voyaient pas, disaient-ils, en quoi de pareils arrêts appuyaient et favorisaient la liberté de l'Eglise de France, en forçant ses ministres à ce qu'ils ne croyaient pas devoir faire. Ce discours, ces querelles, les brochures sans nombre qui en résultaient, servaient d'aliment à la frivolité et à la gaieté de la nation; on riait de l'animosité réciproque des théologiens des deux partis pour des questions qui le méritaient si peu car cette animosité, quoique très-ordinaire et de tous les temps, étonne et amuse (1) Voyez les écrits des constitutiounaires au sujet des refus de sacremens,

toujours les gens raisonnables. On ne riait pas moins de voir que malgré les ordres réitérés donnés à la Sorbonne, de ne plus parler de bulle Unigenitus dans ses cahiers ni dans ses thèses, elle marquât l'attachement le plus opiniâtre à cette bulle, qu'elle avait rejetée si long-temps. Il ne manquait plus, disait-on, à tout ce qui s'était passé d'étrange à ce sujet, que de défendre sans succès à la Faculté de théologie d'enseigner une doctrine qu'on avait eu bien de la peine à lui faire accepter. La philosophie, surtout, riait en silence de toutes ces disparates, et s'amusait de ce nouveau changement de scène, attendant avec patience l'occasion d'en profiter. Ceux d'entre les philosophes qui n'espéraient aucun fruit de ces querelles, prenaient le parti, plus sage encore, de se moquer de tout; ils voyaient l'acharnement réciproque des jansenistes et de leurs adversaires, avec cette curiosité sans intérêt qu'on apporte à des combats d'animaux, bien sûrs, quoi qu'il arrivât, d'avoir à rire aux dépens de quelqu'un.

Tant de coups réciproquement portés de part et d'autre avec violence, n'allaient pas encore jusqu'aux Jésuites; occupés d'une part à armer les évêques contre les restes expirans des jansénistes leurs ennemis, et de l'autre à animer sans bruit la cour de France contre les parlemens, ils étaient l'âme secrète de toute cette guerre, sans paraître s'en mêler. Mais les jansénistes qui, dans la querelle des sacremens, avaient ou croyaient avoir gagné du terrain, s'enhardissaient peu à peu, semblaient s'essayer à de plus grands coups; et l'archevêque, leur ennemi, aiguisait sans le savoir, à force de zèle, le glaive dont la société allait être bientôt percée.

Deux fautes capitales que firent alors les Jésuites à Versailles commencèrent à ébranler leur crédit et à préparer de loin leur désastre. Ils refusèrent, par des motifs de respect humain, de recevoir sous leur direction des personnes puissantes qui n'avaient pas lieu d'attendre d'eux une sévérité si singulière à tant d'égards; ce refus indiscret a contribué à précipiter leur ruine par les mains même dont ils auraient pu se faire un appni; ainsi ces hommes qu'on avait tant accusés de morale relâchée, et qui ne s'étaient soutenus à la cour que par cette morale même, ont été perdus dès qu'ils ont voulu, même à leur grand regret, professer le rigorisme, matière abondante de réflexions, et preuve évidente que les Jésuites, depuis leur naissance jusqu'à cette époque, avaient pris le bon chemin pour se soutenir, puisqu'ils ont cessé d'être, du moment qu'ils s'en sont écartés.

Dans le même temps qu'ils déplaisaient à la cour par leurs scrupules, ils y déplurent aussi par leurs intrigues. Ils dresse

rent des piéges secrets à des hommes en place, dont le crime à leurs yeux était de manquer de dévouement à la société, la seule patrie qu'ils connussent; l'effet ordinaire de ces sortes d'attaques est d'affermir le crédit qu'elles ne renversent pas; ceux qui étaient l'objet des menées jésuitiques n'en eurent que plus de faveur. Nous ignorons quelle disposition produisit en eux le coup qu'on avait voulu leur porter; mais il est difficile de croire que les intérêts de la société leur en soient devenus plus chers.

Tandis que les Jésuites, plutôt craints que soutenus par la plus grande partie du clergé, animaient contre eux les parlemens, et s'aliénaient les personnes de la cour qui avaient le plus de crédit, ils avaient aussi trouvé le secret d'indisposer vivement une classe d'hommes, moins puissante en apparence, mais plus à craindre qu'on ne croit, celle des gens de lettres. Leurs déclamations à la cour et à la ville contre l'Encyclopédie, avaient soulevé contre eux toutes les personnes qui prenaient intérêt à cet ouvrage, et qui étaient en grand nombre; leur déchaînement contre l'auteur de la Henriade, leur ancien disciple et long-temps leur ami, avait irrité cet écrivain célèbre, qui leur faisait vivement sentir la sottise qu'ils avaient faite de l'attaquer. Quelque fort qu'on soit ou qu'on s'imagine être, il ne faut jamais se faire des ennemis qui, jouissant de l'avantage d'être lus d'un bout de l'Europe à l'autre, peuvent exercer d'un trait de plume une vengeance éclatante et durable. C'est une maxime que la faveur et le pouvoir même ne doivent jamais faire perdre de vue, soit aux particuliers, soit aux corps, et que les Jésuites de nos jours semblent avoir oubliée pour leur malheur. Le lion fait semblant de dormir, laisse bourdonner la guêpe autour de ses oreilles, s'ennuie à la fin de l'entendre, se réveille et la tue. Pendant six ans et plus, les journalistes de Trévoux et les troupes légères que la basse littérature entretenait à leur solde, ont outragé l'homme célèbre dont nous parlons, qui paraissait l'ignorer, et les laissait faire. Enfin, las de se voir harcelé par tant d'insectes, il a mis les pandours au pilori, un bâillon à leurs chefs; et ce qui est important en France pour le gain d'une cause, a exposé les uns et les autres à la risée publique.

Pendant qu'il rendait les Jésuites ridicules, ils se rendaient eux-mêmes odieux à tous les sages de la nation, par l'intolérance qu'ils prêchaient dans ce même Journal de Trévoux, et le fanatisme qu'ils y affichaient. Ceux qu'on nomme philosophes, et qu'ils cherchaient à persécuter, n'oubliaient de leur côté aucune occasion de se venger dans leurs ouvrages, et se vengeaient de la manière la plus mortifiante pour les Jésuites, sans trop

se compromettre et s'exposer. Ils ne leur disaient pas comme les jansénistes: Vous êtes des ambitieux, des intrigans et des fripons. Cette accusation n'aurait pas humilié la société ; ils leur disaient : Vous êtes des ignorans ; vous n'avez plus parmi vous un seul homme de lettres dont le nom soit célèbre en Europe, et digne de l'étre. Vous vous glorifiez de votre crédit; mais ce crédit existe plus en opinion qu'en réalité, ce n'est plus qu'un chateau de cartes qu'on renversera dès qu'on osera souffler dessus. Ils disaient vrai, et l'événement l'a prouvé. Pour comble de malheur, les Jésuites, accablés de traits qu'ils s'étaient attirés par leur faute, n'avaient pas un seul défenseur en état de les repousser; les bons écrivains, les hommes de mérite, leur manquaient en tout genre; leurs nouveaux ennemis, opprimés par eux à Versailles, étaient plus forts la plume à la main; et on sent le prix de cet avantage chez une nation qui n'aime à lire que pour s'amuser, et qui finit toujours par se déclarer pour celui qui y réussit le mieux. Les Jésuites avaient pour eux le fantôme de leur pouvoir; leurs adversaires avaient la France et l'Europe.

Il faut avouer que les jansénistes, qui ne se sont jamais piqués d'être fins, l'ont été dans ces derniers temps bien plus qu'ils ne pensaient, et que les Jésuites, qui se piquent de l'être beaucoup, ne l'ont été guère. Ils ont donné, comme des sots, dans un panneau que leurs ennemis leur ont tendu sans s'en douter. Le gazetier janséniste, excité seulement par le fanatisme et par la haine, car ce satirique imbécile n'en sait pas plus long, a reproché aux Jésuites de poursuivre dans les jansenistes un fantôme d'hérésie, et de ne pas courre sus aux philosophes qui deviennent de jour en jour, selon lui, plus nombreux et plus insolens. Les Jésuites, bêtement, ont lâché leur proie qui se mourait, pour attaquer des hommes pleins de vigueur qui ne pensaient point à leur nuire. Qu'est-il arrivé? ils n'ont point apaisé leurs anciens ennemis, et s'en sont attiré de nouveaux dont ils n'avaient que faire; ils le sentent bien aujourd'hui, mais il n'est plus temps.

Telle était la position de ces pères, lorsque la guerre allumée entre l'Angleterre et la France occasiona à la société le fameux procès qui a entraîné sa destruction. Les Jésuites faisaient le commerce à la Martinique; la guerre leur ayant causé des pertes, ils voulurent faire banqueroute à leurs correspondans de Lyon et de Marseille; un jésuite de France, à qui ces correspondans s'adressèrent pour avoir justice, leur parla comme le rat retiré

du monde :

Mes amis, dit le solitaire,

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