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d'abord l'intention d'agir mieux, tout en employant un nouveau langage? Des papiers de M. d'Hauterive, inventoriés par M. Artaud, prouvent qu'on eut beaucoup de peine à empêcher Napoléon de faire fusiller le duc d'Angoulême, malgré la pièce officielle du Moniteur, pièce de parade qui nous reste : il trouvait mauvais que ce prince se fût défendu. Et pourtant le fugitif de l'île d'Elbe, en quittant Fontainebleau, avait recommandé aux soldats d'être fidèles au monarque que la France s'était choisi. La famille de Bonaparte avait été respectée; la reine Hortense avait accepté de Louis XVIII le titre de duchesse de Saint-Leu; Murat, qui régnait encore à Naples, n'eut son royaume vendu que par M. de Talleyrand pendant le congrès de Vienne.

Cette époque, où la franchise manque à tous, serre le cœur chacun jetait en avant une profession de foi, comme une passerelle pour traverser la difficulté du jour; quitte à changer de direction, la difficulté franchie : la jeunesse seule était sincère, parce qu'elle touchait à son berceau. Bonaparte déclare solennellement qu'il renonce à la couronne; il part et revient au bout de neuf mois. Benjamin Constant imprime son énergique protestation contre le tyran, et il change en vingt-quatre heures. On verra plus tard, dans un autre livre de ces Mémoires, qui lui inspira ce noble mouvement auquel la mobilité de sa nature ne lui permit pas de rester fidèle. Le maréchal Soult anime les troupes contre leur ancien capitaine; quelques jours après il rit aux éclats de sa proclamation dans le cabinet de Napoléon, aux Tuileries, et devient major général de l'armée à Waterloo; le maréchal Ney baise les mains du roi, jure de lui ramener Bonaparte

enfermé dans une cage de fer, et il livre à celui-ci tous les corps qu'il commande. Hélas! et le roi de France?... Il déclare qu'à soixante ans il ne peut mieux terminer sa carrière qu'en mourant pour la défense de son peuple..., et il fuit à Gand! A cette impossibilité de vérité dans les sentiments, à ce désaccord entre les paroles et les actions, on se sent saisi de dégoût pour l'espèce humaine.

Louis XVIII, au 20 mars, prétendait mourir au milieu de la France; s'il eût tenu parole, la légitimité pouvait encore durer un siècle; la nature même semblait avoir ôté au vieux roi la faculté de se retirer, en l'enchaînant d'infirmités salutaires; mais les destinées futures de la race humaine eussent été entravées par l'accomplissement de la résolution de l'auteur de la charte. Bonaparte accourut au secours de l'avenir; ce Christ de la mauvaise puissance prit par la main le nouveau paralytique et lui dit : « Levez-vous et emportez votre lit; » surre, tolle lectum tuum.

FUITE DU ROI.

JE PARS AVEC MADAME DE CHATEAUBRIAND.

EMBARRAS DE LA ROUTE.

Le Duc d'ORLÉANS ET LE PRINce de condé. TOURNAI.

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BRUXELLES.

LE ROI

Il était évident que l'on méditait une escampative: dans la crainte d'être retenu, on n'avertissait pas même ceux qui, comme moi, auraient été fusillés une heure après l'entrée de Napoléon à Paris. Je rencontrai le duc de Richelieu dans les Champs-Élysées: «On nous trompe,» me dit-il; « je monte la garde ici, car je ne compte pas << attendre tout seul l'empereur aux Tuileries. »

Madame de Chateaubriand avait envoyé, le soir du 19, un domestique au Carrousel, avec ordre de ne revenir que lorsqu'il aurait la certitude de la fuite du roi. A minuit, le domestique n'étant pas rentré, je m'allai coucher. Je venais de me mettre au lit quand M. Clausel de Coussergues entra. Il nous apprit que Sa Majesté étail

partie et qu'elle se dirigeait sur Lille. Il m'apportait cette nouvelle de la part du chancelier, qui, me sachant en danger, violait pour moi le secret et m'envoyait douze mille francs à reprendre sur mes appointements de ministre de Suède. Je m'obstinai à rester, ne voulant quitter Paris que quand je serais physiquement sûr du déménagement royal. Le domestique envoyé à la découverte revint il avait vu défiler les voitures de la cour. Madame de Chateaubriand me poussa dans sa voiture, le 20 mars, à quatre heures du matin. J'étais dans un tel accès de rage que je ne savais où j'allais ni ce que je faisais.

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Nous sortîmes par la barrière Saint-Martin. A l'aube, je vis des corbeaux descendre paisiblement des ormes du grand chemin où ils avaient passé la nuit pour prendre aux champs leur premier repas, sans s'embarrasser de Louis XVIII et de Napoléon : ils n'étaient pas, eux, obligés de quitter leur patrie, et, grâce à leurs ailes, ils se moquaient de la mauvaise route où j'étais cahoté. Vieux amis de Combourg! nous nous ressemblions davantage quand jadis, au lever du jour, nous déjeunions des mûres de la ronce dans nos halliers de la Bretagne!

La chaussée était défoncée, le temps pluvieux, madame de Chateaubriand souffrante: elle regardait à tout moment par la lucarne du fond de la voiture si nous n'étions pas poursuivis. Nous couchâmes à Amiens, où naquit Du Cange; ensuite à Arras, patrie de Robespierre: là, je fus reconnu. Ayant envoyé demander des chevaux, le 22 au matin, le maître de poste les dit retenus pour un général qui portait à Lille la nouvelle de l'entrée triomphante de l'empereur et roi à Paris; madame de Chateaubriand mourait de peur, non pour elle, mais pour moi.

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